Régénérer le bouleau jaune en Estrie, suivi après 22 ans


La sylviculture du bouleau jaune représente un défi tant au niveau de la régénération de l’espèce qu’au niveau de la production de tiges de qualité. C’est pour mieux comprendre quelles sont les conditions favorables au développement du bouleau jaune que le CERFO a établi, en 1997, un dispositif expérimental dans la municipalité de Woburn en Estrie. Cet article fait état des résultats obtenus dans ce dispositif 22 ans après l’application des traitements.


 

Le bouleau jaune est une essence de grande valeur, mais il présente une diminution constante de sa présence dans le sud du Québec depuis la colonisation. Deux dynamiques naturelles favorisent son établissement : (1) le renversement d’un arbre qui met à nu le sol minéral et offre les conditions nécessaires à la germination et à l’installation de l’espèce et (2) la présence rare de grands feux engendrant parfois des peuplements de bouleau jaune presque purs. Dans les deux cas, le succès d’établissement serait lié au développement racinaire des semis qui est facilité sur un substrat minéral. Une sylviculture inappropriée pour l’écologie de l’espèce et l’absence de grands feux seraient à l’origine de la régression du bouleau jaune dans le paysage forestier du sud du Québec.

 

Comment favoriser l’installation du bouleau jaune?

Plusieurs travaux de recherche sur l’installation du bouleau jaune se sont succédé au Québec. On pensera d’abord aux trouées scarifiées de Hatcher (1966), aux coupes par bande de Boivin (1977), aux trouées et aux coupes par bandes de Martien Roberge à Dudswell, à la culture en jeune âge dans les coupes par bandes par Pierre Ricard et dans les coupes à blanc par Lise Robitaille, au jardinage par trouées de Zoran Majcen et son équipe, puis aux parquets (petites coupes à blanc de 1 ha) explorés par différents chercheurs. Les résultats de ces travaux ont révélé que la sylviculture du bouleau jaune repose d’une part sur la synchronisation d’un scarifiage avec une bonne année semencière et d’autre part sur l’équilibre entre l’apport en lumière et le contrôle de la végétation compétitrice. En effet, en milieu ouvert, la compétition exercée par les feuillus intolérants peut rapidement exclure les jeunes semis de bouleau jaune. Dans ces conditions, un dégagement des jeunes tiges peut alors être requis, mais tout en faisant attention à la propension du bouleau jaune à développer des fourches lorsqu’il croît en milieu trop ouvert. À l’inverse, le jardinage par pied d’arbre n’offre pas les conditions de germination favorables pour le bouleau jaune. De plus, l’ouverture du couvert est souvent insuffisante pour fournir l’apport de lumière nécessaire pour la croissance du bouleau jaune et les essences plus tolérantes à l’ombre sont alors favorisées. 

 

Dispositif expérimental installé en Estrie en 1997

L’idée a donc germé, il y a près de 25 ans, de comparer au même endroit différents régimes sylvicoles pour cultiver le bouleau jaune, allant du régime de futaie jardinée aux régimes de futaie équienne. Certaines nouvelles hypothèses comme l’effet positif du maintien de semenciers sur la densité et le potentiel compétitif du bouleau jaune se devaient d’y être explorées. Le CERFO a ainsi établi, en collaboration avec les acteurs régionaux et le ministère des Ressources naturelles de l’époque, le dispositif expérimental Woburn situé près de la municipalité du même nom dans les Cantons-de-l’Est. Sur 10 ha d’une riche érablière à bouleau jaune située au bas d’une longue pente apportant un enrichissement du sol par drainage oblique, six différents traitements faisant varier la taille et la répartition spatiale des ouvertures du couvert forestier ont été installés : le jardinage par pied d’arbre (CJ), le jardinage par trouées (CJT), la coupe progressive d’ensemencement (CPE), l’éclaircie commerciale (EC), la coupe par parquet (PAR) et la coupe par parquet avec réserve de semenciers (SEM). Le jardinage par pied d’arbre et l’éclaircie commerciale sont les traitements ayant créé les plus petites ouvertures (de la taille d’une cime d’arbre ~ 30 m2) alors que les parquets ont créé les plus grandes ouvertures (1 ha). Un scarifiage à la taupe a été initialement effectué, suivi d’un second scarifiage à l’aide d’une excavatrice en 1998. Un dégagement à l’européenne a été effectué en 2010 afin de tester son effet sur la survie et la croissance des tiges d’essences désirées (bouleau jaune [BOJ], érable à sucre [ERS], bouleau à papier et frêne d’Amérique). Ce dégagement vise à conserver une cohorte dense de jeunes tiges utiles en essences désirées plutôt que d’effectuer une sélection positive de tiges d’avenir à dégager. Le dispositif a été inventorié en 1998, 2005 et 2010, puis en 2020 où un inventaire de la régénération et du bois sur pied a été effectué. 

 

Conditions gagnantes : grandes ouvertures et dégagement

Les résultats ont permis de constater que les traitements ayant le plus ouvert la canopée (PAR et SEM) ont permis de mieux régénérer le bouleau jaune, à condition de bénéficier d’un dégagement à l’européenne. Le dégagement a surtout permis de conserver une meilleure distribution de bouleau jaune pour le parquet sans semenciers (figure 1 : PAR). Dans ce même traitement, le dégagement a également permis d’augmenter la densité du bouleau jaune tout en réduisant la densité des essences commerciales non désirées (C_ND), soit le sapin et les peupliers. Ces résultats confirment aussi le faible potentiel du jardinage par pied d’arbre (CJ) pour régénérer le bouleau jaune, mais indiquent également un faible succès dans le cas du jardinage par trouées (CJT) et même de la coupe progressive d’ensemencement (CPE). Pour l’éclaircie commerciale (EC), comme la régénération n’est pas un objectif spécifique à ce stade de développement, il est normal que les résultats soient eux aussi plus faibles que dans les parquets.

Les résultats de la figure 1 indiquent également que l’érable est omniprésent et favorisé, peu importe le degré d’ouverture de la canopée. Ses densités sont plus élevées dans les parquets (PAR et SEM), mais ne sont pas affectées par le dégagement ce qui témoigne de la grande plasticité de cette essence (figure 1). Pour les essences non commerciales (NC_ND), le coefficient de distribution (le pourcentage des parcelles où ces essences sont présentes) demeure toutefois élevé dans les parquets, même en présence de dégagement. Ceci est explicable par une plus grande proportion d’érable à épis s’établissant au détriment des érables de Pennsylvanie dans les parcelles dégagées. 

 

 

Le dégagement à l’européenne a également permis d’accroître significativement le pourcentage de cime des bouleaux jaunes (taille de la cime/hauteur totale * 100) contrairement à l’érable à sucre (figure 2). Cette observation indique une plus grande capacité photosynthétique pour les bouleaux jaunes dégagés comparativement aux tiges non dégagées et, possiblement, une plus grande croissance dans le futur. 

 

 

Le dégagement à l’européenne a été effectué tard dans le développement du dispositif et il est probable qu’une intervention plus hâtive (généralement autour de quatre à sept ans après la coupe) ait favorisé une plus grande abondance du bouleau jaune. 

 

Effet et survie des semenciers

Malgré le sacrifice qu’il représente en termes de récolte, le maintien des semenciers dans les parquets a eu un effet positif sur la régénération en bouleau jaune, puisqu’il a permis de conserver un coefficient de distribution et une densité plus élevée même sans dégagement. Il est intéressant de constater que parmi les  25 semenciers par hectare laissés debout dans les coupes par parquet avec réserve de semenciers (SEM), 23 étaient encore vivants en 2020. Toutefois, la qualité de ces tiges s’est dégradée avec le temps et leur croissance annuelle tendait à être plus faible que celles des arbres résiduels dans les autres traitements. Par conséquent, bien que ces arbres aient survécu, ils ne devraient pas être considérés comme des réserves à récolter lors des futures interventions, mais plutôt comme des legs biologiques.

 

Reconstitution des volumes et prochaines interventions

En ce qui a trait au bois sur pied, aucun des traitements n’avait retrouvé les niveaux initiaux de surface terrière (figure 3). Seul le jardinage par trouées (CJT) avait retrouvé une surface terrière supérieure au seuil de 24 m2/ha qui est la cible pour autoriser une nouvelle intervention. 

Pour le jardinage par trouées (CJT) et l’éclaircie commerciale (EC), une intervention peut être réalisée dès maintenant : un second jardinage est prescrit pour le jardinage par trouées (CJT) et une seconde éclaircie pourra être réalisée dans l’éclaircie commerciale (EC). Pour la coupe progressive, comme la régénération est bien installée, elle pourrait être prête pour connaître sa coupe finale. Il serait alors souhaitable d’effectuer une rétention de legs biologiques et d’arbres fauniques. Dans le cas des autres traitements, les interventions pourront être réalisées d’ici 10 à 15 ans selon une première éclaircie dans les parquets dans 10 ans et une seconde coupe de jardinage dans le jardinage par pied d’arbre (CJ) dans 15 ans lorsque la surface terrière aura atteint 24 m2/ha. 

 

 

Un lieu de démonstration régional et une source d’inspiration

Les résultats obtenus au dispositif Woburn ont permis de confirmer l’importance du scarifiage et de l’équilibre entre l’ouverture du couvert et la gestion de la compétition pour la régénération du bouleau jaune. Ce dispositif a permis de démontrer le potentiel des coupes par parquet pour régénérer une cohorte dense et bien distribuée de bouleau jaune à condition de bénéficier d’un dégagement tôt dans le développement du peuplement. Enfin, le maintien de semenciers dans les parquets est recommandé pour donner de meilleures chances au bouleau jaune de s’établir et d’avoir une densité à l’hectare intéressante et un coefficient de distribution élevé. Nous rappelons ici que, pour optimiser les résultats, il devrait y avoir synchronisation du scarifiage avec une bonne année semencière et que le dégagement à l’européenne (nettoiement hâtif) devrait être réalisé entre quatre et sept ans après la coupe initiale.

Les résultats démontrent également la manière dont on peut aménager pour favoriser l’érable à sucre. Dans certaines conditions, l’érable à sucre est bien établi et ne nécessite pas de dégagement pour sa survie. Malgré une forte mortalité des tiges résiduelles dans le jardinage par pied d’arbre, certains traitements ont atteint des surfaces terrières intéressantes pour une seconde intervention. Il est notre souhait que ce dispositif novateur et de grande valeur grâce à sa facilité d’accès et sa proximité devienne un outil pédagogique régional et qu’il contribue au développement de la stratégie régionale de production de bois et à la recherche sur la sylviculture du bouleau jaune au Québec.

 

 


En savoir plus

Contactez l’équipe par courriel : sroyertardif@cerfo.qc.ca

Visitez le www.cerfo.qc.ca

 

 

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