Pour certains propriétaires de boisé, la production de bois est primordiale alors que pour d’autres ce sont les objectifs de conservation qui seront plus importants. Dans quelle mesure ces deux objectifs peuvent-ils être conjugués? Le maintien de peuplements à structure complexe est reconnu pour favoriser la biodiversité, la santé et la résilience des forêts. Toutefois, dans les forêts aménagées, on constate généralement que les attributs structuraux comme les gros arbres, les chicots et les gros débris ligneux à divers stades de décomposition sont moins abondants que dans les vieilles forêts. Qu’en est-il de nos érablières jardinées et comment pouvons-nous adapter nos pratiques afin de réduire les écarts entre ces deux types de forêts?
Les chercheurs de la Direction de la recherche forestière du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) étudient, depuis le début des années 1980, les effets de la coupe de jardinage dans les forêts de feuillus publiques du Québec. Pour ce faire, ils ont mis en place un réseau de placettes-échantillons qui comprend plus de 40 sites. Les objectifs initiaux étaient d’étudier les effets à long terme du jardinage sur la composition, la structure, la régénération et le rendement des érablières dans un contexte de production de bois d’œuvre de qualité. Plus récemment, avec la mise en place de l’aménagement écosystémique et considérant les enjeux liés à la biodiversité et à la résilience des forêts face aux changements globaux, des prises de données supplémentaires concernant notamment certains attributs structuraux comme les chicots et les débris ligneux ont été ajoutées. Afin de vérifier les effets de deux coupes de jardinage successives réalisées à des intervalles de 15 et 20 ans sur ces attributs, les chercheurs ont étudié 11 érablières situées dans six secteurs expérimentaux répartis d’est en ouest dans les domaines bioclimatiques de l’érablière et de la sapinière à bouleau jaune (carte 1). Dans chaque placette, les principaux attributs structuraux mentionnés précédemment ont été relevés. Les valeurs obtenues ont ensuite été comparées entre les placettes jardinées et les témoins sans intervention, mais aussi avec les seuils proposés pour la conservation des attributs structuraux relevés dans la littérature scientifique.
Les excavateurs primaires sont des espèces qui créent des cavités sur des arbres déjà affaiblis par une maladie ou des insectes pour nicher ou se nourrir. Les pics en sont un bon exemple. Par la suite, d’autres utilisateurs secondaires, tels des canards, des oiseaux de proie ou encore de petits mammifères vont utiliser les cavités déjà existantes.
Quels sont les attributs structuraux des peuplements jardinés?
Les résultats montrent que la densité des arbres vivants de gros diamètre et des arbres morts est généralement plus faible dans les placettes jardinées que dans les témoins (figure 1), à une seule exception (diamètre à hauteur de poitrine [DHP] des arbres vivants > 49 cm). De plus, seulement 20 % des placettes jardinées et des témoins atteignaient le seuil de DHP proposé dans la littérature pour les vieilles forêts (30 arbres vivants à l’hectare > 49 cm au DHP). Pour les débris ligneux, on a aussi obtenu un volume plus faible dans les placettes jardinées que dans les témoins (figure 2). L’écart était surtout constaté dans les classes de dégradation 3 et 4, qui correspondent respectivement à un état modéré et avancé de décomposition. Aucune placette jardinée n’avait le seuil de gros débris ligneux proposé pour les vieilles forêts (≥ 55 m3/ha) et seulement 36 % des placettes témoins atteignaient ce seuil. Les placettes jardinées avaient moins d’arbres à cavités que les témoins (figure 3), mais elles en contenaient suffisamment pour respecter les différents seuils proposés pour le maintien de l’habitat des excavateurs primaires (de 0,25 arbre/ha à 2,5 arbres/ha). De plus, la densité des arbres de DHP > 29 cm dans les placettes jardinées et dans les témoins était également supérieure aux seuils proposés dans la littérature pour le maintien de cet habitat (5 arbres/ha).
Ces résultats permettent de déterminer que les peuplements traités à deux reprises par une coupe de jardinage dans un intervalle de 15 à 25 ans maintiennent une quantité suffisante d’arbres à cavités pour les excavateurs primaires, mais que leurs attributs associés aux vieilles forêts se retrouvent sous les seuils proposés dans la littérature provenant de forêts généralement situées dans le nord-est des États-Unis. On note également que les placettes témoins sans intervention se trouvent aussi en forte proportion sous ces seuils. Toutefois, il faut noter que les seuils proposés sont probablement un peu élevés, puisqu’ils proviennent en majorité d’études réalisées plus au sud où les arbres peuvent atteindre des dimensions supérieures, notamment à cause du climat et des sols qui sont souvent plus favorables à la croissance de l’érable à sucre.
Malgré tout, les peuplements contiennent quand même une quantité non négligeable d’attributs spécifiques aux vieilles forêts et conservent une structure complexe avec le maintien d’arbres dans une large étendue de diamètre. Conséquemment, ces peuplements jardinés peuvent être des habitats viables pour une grande diversité d’espèces et leur structure est favorable à leur résilience. Néanmoins, si les objectifs de productions de bois et de conservations d’attributs de vieilles forêts sont considérés, il faut admettre que la pratique de la coupe de jardinage avec comme principal objectif d’améliorer la production de bois de qualité pourrait être adaptée. Toutefois, il apparaît aussi que des seuils mieux adaptés à nos conditions devraient être définis pour nos forêts de feuillus nordiques. Ces seuils pourraient être définis à partir de nos rarissimes vieilles forêts non exploitées possédant probablement des caractéristiques différentes de celles de nos voisins du sud. À défaut d’avoir ces données, les valeurs obtenues dans les parties non traitées de cette étude demeurent utiles pour aider à définir ces seuils, même si ces forêts ont été exploitées partiellement dans les années antérieures au début de l’étude.
Les conséquences de l’adaptation des pratiques sur la production de bois de qualité et le volume de bois récolté
L’adaptation des pratiques de jardinage afin de maintenir des attributs de vieilles forêts demande notamment de laisser davantage de gros arbres sur pied et de favoriser les débris ligneux par le maintien sur pied d’arbres non vigoureux ou encore par le maintien des arbres abattus au sol. Ces adaptations ne sont pas sans conséquence sur la production de bois de qualité et sur le volume de bois récolté. Comme la maturité financière des feuillus durs est généralement atteinte à un DHP entre 40 et 50 cm selon les espèces et les sites, maintenir sur pied de gros arbres de qualité [DHP > 39 cm] a des conséquences économiques. Dans ce contexte, une approche de zonage où le territoire serait divisé en zones de production distinctes pourrait permettre d’atteindre plus facilement les objectifs d’aménagement écosystémique de la forêt tout en minimisant les conséquences sur la production de bois. Ainsi, on pourrait considérer des zones de production extensive où certains attributs pourraient être conservés, des zones de production intensive vouées principalement ou exclusivement à la production ligneuse et des zones de conservation favorisant le développement de vieilles forêts. Ce concept de zonage est cependant plus difficilement applicable en forêt privée à l’échelle d’un seul lot boisé. Un propriétaire privé pourra choisir de conserver des attributs structuraux sur sa propriété en pratiquant une coupe de jardinage mieux adaptée à cet objectif. Néanmoins, le concept de zonage n’est pas à rejeter pour la forêt privée puisqu’il pourrait aussi être appliqué à l’échelle régionale en considérant l’ensemble des propriétés publiques et privées et les objectifs des propriétaires.
Conclusion
Nos observations démontrent que l’application de la coupe de jardinage permet de maintenir plusieurs attributs structuraux caractérisant les veilles érablières, mais souvent en quantité moindre. Toutefois, des seuils correspondant à notre réalité de forêt feuillue nordique restent à être mieux définis. À l’échelle du peuplement, des adaptations comme la rétention de gros arbres, de chicots ou d’arbres à cavités peuvent être facilement considérées lors du martelage, mais il faut aussi définir des cibles à l’échelle régionale sous forme de zonage afin de conserver une proportion de peuplements se rapprochant davantage des caractéristiques des veilles forêts, notamment des peuplements avec des surfaces terrières plus élevées et des structures différentes de ceux traités dans un objectif d’optimiser la production de bois.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier M. Martin-Michel Gauthier, ing. f., Ph. D., anciennement chercheur à la Direction de la recherche forestière, pour sa contribution à l’analyse des données et la rédaction de l’article scientifique qui est à la base de cet article de vulgarisation.
En savoir plus
Consultez la version complète de l’article à l’adresse suivante : https://doi.org/10.1093/forestry/cpy031