C’est le printemps, la forêt s’anime avec tous ses habitants, petits et grands. Parmi eux, les tiques attirent régulièrement l’attention en raison de leur importance en santé publique. Largement répandus dans le monde, ces parasites subissent d’importants changements de répartition liés aux actions humaines sur les écosystèmes et aux changements climatiques.
Quelque 900 espèces de tiques sont répertoriées dans le monde, dont environ 25 sont importantes pour la santé en raison de leur capacité à transmettre des microorganismes tels que virus, bactéries et protozoaires (parasites sanguins). Les tiques dépendent entièrement de la prise d’un repas de sang sur un animal vertébré pour compléter leur cycle de vie et elles se sont adaptées à une variété impressionnante d’animaux et d’environnements à travers le monde.
Les tiques appartiennent à l’ordre des acariens. Morphologiquement plus proches des araignées que des insectes, elles ont des corps non segmentés, huit pattes et aucune aile. Lorsqu’elles se nourrissent, leur abdomen extensible se gorge du sang de l’animal hôte et les tiques augmentent considérablement de volume. C’est lors du repas sanguin qu’un échange de pathogènes peut avoir lieu entre la tique et l’hôte. Les tiques passent par trois stades de vie actifs (larve, nymphe et adulte) et se nourrissent une seule fois à chaque stade. La vie d’une tique se résume ainsi à trouver un hôte, ingérer du sang, le digérer, muer et recommencer. Le cycle de vie se boucle lorsque les femelles adultes, après fécondation et repas sanguin, pondent leurs œufs. L’ensemble du cycle s’étend généralement sur quelques années, tout dépendant des espèces et des conditions environnementales.
Les changements climatiques et l’émergence des tiques au Québec
Le réchauffement climatique a eu un impact significatif sur l’établissement et la prolifération des tiques au Québec. Par exemple, les températures moyennes au printemps, à l’automne et en été sont cruciales pour la survie et les activités des tiques, influant sur la durée de leur cycle de vie. Une saison cumulativement plus chaude accélère leur cycle vital en favorisant un développement plus rapide d’un stade à l’autre. Ce processus est essentiel pour la croissance des populations de tiques et détermine si de nouvelles populations de tiques parviennent à s’installer dans une région. Pour certaines espèces comme la tique d’hiver, les conditions de neige au sol au printemps et à l’automne sont également cruciales. L’absence de neige pendant ces périodes, lorsque les femelles pondent leurs œufs, favorise la survie des tiques femelles adultes, contribuant au développement des populations.
En résumé, les changements climatiques favorisent la prolifération des tiques au Québec, une tendance qui devrait persister dans les prochaines années. Cette situation est surtout notable par l’accroissement de la présence de deux espèces liées aux cervidés : la tique d’hiver de l’orignal, entraînant de la mortalité chez ces animaux, et la tique à pattes noires, également connue sous le nom de tique du chevreuil, responsable de la transmission de la maladie de Lyme.
La tique d’hiver de l’orignal : un enjeu de gestion de la faune
Selon les données historiques, on pense que les tiques d’hiver parasitent communément les orignaux de plusieurs régions en Amérique du Nord, probablement depuis quelques centaines d’années. Toutefois, on observe actuellement une tendance à l’augmentation de leur présence et de leurs impacts sur l’état de santé des populations d’orignaux dans plusieurs régions, dont au Québec. Contrairement à la majorité des tiques, ces conséquences ne sont pas attribuables à la transmission de pathogènes, mais plutôt à l’infestation importante des animaux par les tiques. Sur l’hôte, ces parasites peuvent devenir très abondants, jusqu’à des centaines de milliers sur un seul individu. La tique achève l’ensemble de son cycle de vie sur un seul animal, prenant ses trois repas de sang successifs sur le même individu.
Les orignaux fortement parasités développeront une réaction inflammatoire, causée par une hypersensibilité à certains composés présents dans la salive des tiques. Cette inflammation pousse les orignaux à se toiletter de manière intensive, utilisant leurs sabots ou leurs dents, ou se frottant contre des arbres, entraînant ainsi la rupture et la chute des poils et pouvant causer une perte significative du pelage. En plus de ces dommages physiques, les orignaux peuvent souffrir d’anémie. Bien que chaque tique prélève une toute petite quantité de sang à l’animal, leur nombre important peut conduire à un prélèvement global suffisant pour engendrer une anémie. Dans l’ensemble, ces différents stress affectent l’énergie des orignaux, particulièrement en hiver, une période déjà exigeante pour ces animaux, et pendant laquelle la tique est particulièrement active sur l’animal.
Cette tique ne se nourrit que rarement sur les humains et n’est pas connue pour transmettre des agents pathogènes provoquant des maladies.
Depuis 2012, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs effectue des dénombrements de tiques sur les orignaux abattus lors de la chasse pour effectuer un suivi de la tique d’hiver et de son impact. Ce suivi a démontré que la majorité des orignaux chassés dans le sud du Québec, notamment dans les régions de l’Estrie, de la Mauricie, de l’Abitibi-Témiscamingue, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, étaient infestés par les tiques. Des recherches se poursuivent pour documenter les différences de densité de tiques entre les régions, les facteurs qui influent sur celles-ci, ainsi que les impacts et les interventions possibles.
La tique à pattes noires : un enjeu de santé publique
De son côté, la tique à pattes noires est l’espèce de tique la plus commune dans l’est de l’Amérique du Nord. Elle s’est établie dans certaines régions du Québec, le long de la frontière avec les États-Unis, depuis 2007-2008. On la trouve dans les forêts feuillues et mixtes, où elle habite la litière de feuilles mortes à la recherche d’un nouvel hôte à chaque stade de sa vie. Se nourrissant principalement sur des oiseaux et des mammifères sauvages, elle peut également piquer les humains et les animaux domestiques qui fréquentent ces mêmes habitats forestiers. Aussi appelée tique du chevreuil en raison de ses liens étroits avec le cerf de Virginie, elle utilise ce dernier comme hôte privilégié pour se reproduire au stade adulte.
Active dès que la température monte au-dessus de 4°C, la tique peut transmettre aux humains et aux animaux de compagnie la bactérie Borrelia burgdorferi, responsable de la maladie de Lyme, ainsi que d’autres pathogènes provoquant, par exemple, la babésiose, l’anaplasmose et la maladie de Powassan. Parmi ces maladies, la maladie de Lyme est de loin la plus courante au Québec. Bien qu’elle puisse être efficacement traitée dans la plupart des cas lorsqu’elle est détectée précocement, elle pose un problème préoccupant, car elle peut passer inaperçue et évoluer vers une forme plus grave. En effet, les premiers symptômes ressemblent à une grippe et si la piqûre de tique n’est pas détectée, la personne risque de ne pas rechercher le traitement antibiotique nécessaire pour guérir l’infection. En l’absence de traitement, cette infection peut entraîner des symptômes tels que des problèmes articulaires, neurologiques et cardiaques.
Avec les changements climatiques, la tique à pattes noires connaît une expansion significative vers le nord du Québec ainsi qu’une augmentation générale de son abondance à travers la province. La maladie de Lyme représente aujourd’hui une préoccupation importante de santé publique dans la province, en raison de son incidence qui augmente de façon rapide et soutenue depuis la dernière décennie. Pour l’année 2022, un total de 586 cas ont été déclarés au Québec.
La vigilance individuelle, le meilleur moyen de se protéger!
La prévention des piqûres de tiques et de la maladie de Lyme implique l’adoption de mesures individuelles, lesquelles revêtent une importance cruciale pour toute personne exposée aux environnements forestiers feuillus ou mixtes des régions à risque principalement, mais pas exclusivement. Les recherches démontrent que le temps passé à l’extérieur dans l’habitat des tiques à pattes noires représente le principal facteur de risque d’être piqué par des tiques. Par exemple, les enfants qui jouent à l’extérieur, les travailleurs forestiers et les personnes qui jardinent à proximité d’une zone boisée sont tous des exemples de groupes particulièrement vulnérables. Que ce soit dans un contexte de loisir, de travail ou autour de sa résidence, il est essentiel d’intégrer des comportements préventifs dans les habitudes quotidiennes.
En plein air, le port de vêtements longs et l’utilisation de répulsifs contenant du DEET ou de l’icaridine, et de vêtements traités à la perméthrine aideront à diminuer les risques de piqûres. Assurez-vous que les produits utilisés soient homologués par Santé Canada. Puis, de simples habitudes telles que rester sur les sentiers et éviter de s’asseoir au sol dans la forêt réduiront également votre risque d’exposition. Si vous habitez dans une région où les tiques sont abondantes, vous pouvez aménager l’extérieur de votre résidence afin de minimiser la présence des tiques dans les endroits que vous utilisez fréquemment, comme en tondant le gazon et en ramassant les feuilles mortes. Pensez à inspecter régulièrement vos animaux de compagnie après une visite dans des environnements à risque et à utiliser des produits anti-tiques recommandés par les vétérinaires.
Diverses recherches ont démontré que prendre un bain ou une douche en rentrant d’une activité en plein air était une habitude favorisant une vérification régulière du corps à la recherche de tiques. C’est une bonne pratique à adopter, car ces parasites peuvent être si petits (surtout les nymphes qui ont la taille d’un grain de pavot) qu’ils peuvent facilement être confondus avec un grain de beauté. Seule une inspection attentive permet de les repérer! De plus, ces petits parasites ont bien profité de l’évolution naturelle et nous piquent le plus souvent de manière totalement indolore, une autre stratégie pour passer inaperçus. Si une tique vous a piqué, sachez que le fait de la retirer rapidement est un moyen efficace de vous protéger de la maladie de Lyme. En effet, la tique doit rester attachée 24 à 48 heures à son hôte pour qu’une transmission efficace de la bactérie causant cette maladie se produise. En cas de piqûre prolongée dépassant 24 heures, informez-vous auprès d’Info-Santé, de votre médecin ou de votre pharmacien, car un traitement antibiotique préventif pourrait être indiqué.
Les relations hôtes-parasites, une question d’évolution
Les parasites sont présents dans les écosystèmes forestiers depuis des centaines de milliers d’années et ne sont certainement pas près de disparaître. En les étudiant, on se rend compte à quel point ces bestioles peuvent être fascinantes et adaptées à résister aux épreuves du temps. Les parasites, tels que les tiques, développent des relations étroites avec leurs hôtes. Ils en sont même complètement dépendants, puisque ces derniers constituent leur unique source de nourriture et même leur refuge pour quelques jours ou quelques mois. Plusieurs années de recherche scientifique nous ont appris que les parasites et leurs hôtes ont la faculté d’évoluer conjointement. Cette coévolution entraîne à terme l’atteinte d’un état d’équilibre qui favorise la survie du parasite et de ses hôtes.
En effet, ça peut paraître contre-intuitif à première vue, mais d’un point de vue évolutif, le parasite bénéficie d’un bon taux de survie de son hôte, assurant ainsi la durabilité de la source de nourriture dont il a besoin. Le parasite évolue pour développer des adaptations physiques et comportementales pour s’accrocher solidement à son hôte et se reproduire avec succès. En réaction, l’hôte évolue pour développer ses mécanismes de défense et de résistance, tels que des réponses immunitaires et comportementales, pour contrôler le nombre de parasites. Normalement, cette « course aux armements » évolutive maintient un équilibre où le nombre de parasites reste bas sur la plupart des hôtes et où les conséquences sévères pour la santé de ces derniers sont rares. Des cas tels que celui des orignaux infestés par les tiques d’hiver suggèrent une coévolution inachevée, où l’hôte n’a peut-être pas encore développé les mécanismes de défense nécessaires pour coexister avec ses parasites. Dans d’autres cas, comme celui du cerf de Virginie et de la tique à pattes noires, on suppose au contraire une longue histoire de coévolution, sur la base d’indices témoignant de la forte résilience du cerf face à la tique. Par exemple, le cerf est l’une des rares espèces à avoir développé un mécanisme immunitaire lui permettant de tuer les bactéries Borrelia burgdorferi (causant la maladie de Lyme) qui peuvent lui être transmises lors du repas sanguin de la tique. De plus, le cerf semble mieux tolérer la présence abondante des tiques sur son pelage, contrairement à ce que l’on observe chez les orignaux.
Ainsi, ces créatures peu appréciées que sont les tiques sont étonnement bien adaptées à leur environnement et jouent probablement un rôle important dans le maintien de l’équilibre écologique. Tout comme les prédateurs influent sur les cycles de populations des proies, les parasites contribuent aux processus de sélection naturelle en accélérant l’élimination des individus les plus faibles dans les populations animales. Cependant, les écosystèmes évoluent à un rythme accéléré, jamais atteint auparavant. Les conditions climatiques changeantes entraînent des modifications importantes et particulièrement rapides aux niches écologiques des espèces. De plus, l’activité humaine provoque des changements profonds sur les écosystèmes, qui exacerbent notamment l’émergence des tiques. Par exemple, la surpopulation actuelle des cerfs de Virginie, induite par la fragmentation des habitats naturels et l’absence de prédateurs dans certaines régions, engendre des déséquilibres notables dans les écosystèmes. Les impacts incluent la dégradation du milieu en raison du surbroutage et la multiplication des tiques, qui profitent de la présence de cerfs pour leur reproduction. La recherche d’un équilibre écologique prenant en compte les multiples facteurs interagissant dans notre monde en mutation est un défi croissant. Cela nécessite une approche intégrée et orientée vers des solutions durables tant pour les populations humaines qu’animales, et permettre aux générations futures de bénéficier d’un accès à une nature bien conservée. À l’image de nos amis les cerfs et les orignaux, nous devrons certainement développer nos stratégies d’adaptation face à ces petits parasites qui partagent désormais nos arrière-cours.
Image d’en-tête : Une tique à pattes noires au stade adulte. Crédit : Catherine Bouchard
En savoir plus
Consultez les ressources ci-dessous :
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Maladies transmises par les tiques dues au changement climatique – Canada.ca : www.canada.ca/fr/sante-publique/services/rapports-publications/releve-maladies-transmissibles-canada-rmtc/numero-mensuel/2019-45/numero-4-4-avril-2019/article-2-maladies-transmises-tiques-changement-climatique.html
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Maladie de Lyme et autres maladies transmises par les tiques – Santé Canada : www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/maladie-lyme/surveillance-maladie-lyme.html
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La bonne façon de retirer une tique – Santé Canada : www.canada.ca/fr/sante-publique/services/video/maladie-lyme-bonne-facon-retirer-tique.html
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Plateforme publique d’identification d’images et de suivi des populations de tiques au Canada – Etick.ca : www.etick.ca
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La tique d’hiver de l’orignal – Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs : www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/sante-animale/maladies-animales/liste-maladies-animales/tique-hiver-orignal
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