En Montérégie, les grands territoires agricoles présentent souvent plusieurs types de jeunes friches riveraines. Ces sites deviennent des parcelles de choix pour y implanter des nouveaux groupements composés d’espèces d’arbres de valeur, parfois devenues rares. Parallèlement, depuis une dizaine d’années, un mouvement de boisement et de planification de connectivité est amorcé en milieu agricole pour favoriser les corridors fauniques.
Dans le sud du Québec, on estime à moins d’une quarantaine de chênaies bicolores de plus de 5 hectares dont plusieurs sont présentes dans la Vallée du Richelieu. Pour la plupart, l’espèce n’est pas dominante. Pour augmenter le nombre de ce type de forêt, des projets de boisement sont nécessaires, comme celui présenté dans cet article.
Choix du site
À Saint-Georges-de-Clarenceville, à un kilomètre de la frontière du Vermont, une terre agricole est devenue en 2012 la propriété du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP) en collaboration avec Conservation de la nature Canada (CNC). La propriété comprend un habitat d’importance pour la tortue molle à épine, une espèce menacée au Canada, présente uniquement à la baie Missisquoi au Québec. L’acquisition de la propriété visait donc à préserver l’habitat de cette espèce, mais aussi à favoriser de nouveaux habitats fauniques en milieu agricole.
En 2016 et 2017, cette terre de 45 hectares, entourée de champs de maïs, a été aménagée selon trois secteurs. Une plantation de 1 080 arbres y a été réalisée pour créer un système agroforestier intercalaire (SAI) expérimental de 13 hectares dans sa portion est (voir le Progrès forestier, automne 2018). Sa partie ouest comprend des champs de foin et un pâturage totalisant 12 hectares. Sa partie centre de 20 hectares est traversée par le ruisseau East Swamp qui a été redressé dans les années 1950-1960 pour évacuer les crues de la plaine inondable de 0-2 ans et de celle de 0-20 ans. Ce secteur est une jeune friche de six ans ayant été utilisée en partie pour la culture de maïs et de soya. Cette plaine inondable est un bel exemple de sites disponibles pour implanter un peuplement d’arbres de valeur, patrimoniaux et rares pour le sud du Québec et la région.
Aménagement de la plaine inondable
Un plan d’aménagement de boisement a été élaboré par la firme CLG AGFOR pour créer une forêt riveraine diversifiée qui prolongerait les érablières argentées et la chênaie bicolore situées à l’embouchure du ruisseau, au sud de la propriété. Le but des travaux était d’accélérer les successions végétales de cette friche tout en y intégrant des espèces d’arbres feuillus de valeur associées à ces milieux humides et présentes localement autour de la baie Missisquoi.
Pour bien positionner les espèces d’arbres, une caractérisation des sols nous informait que la partie est présente un sol limoneux sur argile et que la partie ouest possède un sol loameux grossier dans la zone 0-20 ans. Ainsi, six groupements forestiers ont été élaborés selon le gradient d’humidité en lien avec l’éloignement du ruisseau et les limites des deux zones de crues : 0-2 ans et 0-20 ans (voir le plan). Dans la portion est, plus humide et argileuse, les quatre groupements implantés furent des érablières argentées à érable rouge ou à chêne bicolore et des chênaies bicolores à érable rouge ou à caryer ovale. Dans les zones mieux drainées, au nord, des chênes à gros fruits et des micocouliers occidentaux ont complété ces groupements. Dans la partie ouest, longeant un peuplement naturel très dense de peupliers deltoïdes, une érablière à tilleul d’Amérique et une érablière à caryer cordiforme y ont été aménagées sur des sols plus grossiers en plaine 0-20 ans. En plus de l’érable à sucre, du tilleul et du caryer, les essences compagnes plantées furent le chêne à gros fruits, le chêne blanc, le chêne rouge, le micocoulier occidental et le pin blanc. À l’ouest, un boisé en arboretum d’arbres riverains de la vallée du lac Champlain a été aménagé. Les 180 arbres plantés étaient le tulipier de Virginie, le platane occidental, le mûrier rouge, le chêne jaune, le chêne des marais complété par le noyer noir. La plantation a pour but de tester l’adaptation des cinq espèces américaines en milieu agricole à la limite sud du Québec en lien aux changements climatiques.
La réalisation des travaux
Les plantations des 12 espèces de feuillus et du pin blanc ont été réalisées en 2016 et 2017 sur une superficie de boisement de 8 hectares. Au total, 2 600 arbres ont été mis en terre dont 650 chênes bicolores. Considérant les arbres de friches déjà présents, les densités plantées furent de 500 arbres/hectares dans la partie ouest et de 625 arbres/hectares pour les érablières argentées et les chênaies bicolores. Dans cette plaine inondable, n’ayant pas eu de travail du sol depuis 6 ans, les herbacées denses et les zones de fortes reprises des frênes et des peupliers orientaient les travaux vers un boisement par microsites pour chaque arbre. Les plants ont été disposés à une distance de 2 m et plus de tout frêne ou peuplier ayant 2 m et plus de haut pour limiter la compétition racinaire. Avant la mise en terre, on a procédé à un débroussaillage à ras le sol, suivi de la pose d’un paillis de plastique noir. Après la plantation, une spirale contre les rongeurs fut installée avec un protecteur Climatik contre le broutement du cerf retenue par une tige d’acier de 2,8 m et un piquet de pruche de 1,2 m résistant à la pourriture. Les paillis au sol et les Climatiks noirs absorbent la chaleur autour des jeunes plants en plus de les protéger contre le vent de plaine. Ils accélèrent donc la croissance des arbres.
Les travaux d’entretien ont impliqué trois débroussaillages, entre juin et septembre, autour des paillis de plastique individuels réalisés avec une débroussailleuse à lame. Les conditions d’inondations sont un facteur limitant la croissance, surtout au printemps. Dans les sites plus secs, certaines espèces comme le chêne blanc et le caryer ovale sont reconnus pour avoir une croissance lente. Des travaux de coupes sélectives de peupliers deltoïdes de plus de 2,5 m de haut ont commencé afin d’assurer un contrôle pour l’établissement de ces espèces de valeur. Certains bosquets de peupliers sont maintenus comme protection contre les vents dominants. Lors des regarnis, les taux de mortalité observés ont été plus élevés dans la zone plus humide de 0-2 ans.
Afin de diversifier les habitats, une grande fiche herbacée de près de 8 hectares de part et d’autre du ruisseau East Swamp a été laissée. Des arbustaies de houx verticillés, céphalantes occidentales, viornes trilobées, cornouillers stolonifères et sureaux du Canada y ont été plantées pour établir une strate plus basse, dense et avec une diversité de fleurs et de fruits en été.
Conclusion
Avec un travail soutenu de contrôle des arbres de friche, il faudra attendre vers 2035 pour commencer à circuler dans ces nouveaux groupements forestiers mis en place. Une nouvelle faune y sera associée avec ces arbres à noix. Ce large corridor boisé de 250 mètres en plaine inondable se prolongera avec les 17 rangées d’arbres au champ du système agroforestier intercalaire (SAI) adjacent. Un dicton américain résume bien l’objectif de ce projet : farm the best, buffer the rest.
Remerciements
Nous remercions les personnes suivantes qui se sont impliquées dans le projet : Lyne Bouthillier et Hafid Amrane, MFFP, Valérie René, Conservation de la nature Canada, Arnold Reynolds, agriculteur, André Sabourin, botaniste, et Denis Péladeau, technicien agroforestier. Ce projet a été réalisé avec l’appui financier d’Environnement et Changement climatique Canada, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et de la Fondation de la Faune du Québec.
En savoir plus
Contactez Charles Lussier : c2lussier@gmail.com / www. clgagfor.com