Mettre en valeur les érablières rouges issues de rejets de souches ? - Partie 2 : Éclaircie des taillis et des futaies sur souches


La pérennité de l’érable rouge dans le couvert forestier est attribuable au fait qu’il peut occuper tous les étages et se régénérer à l’ombre au moyen de semis et de rejets de souches. Ces traits d’adaptation remettent en question son statut d’essence de mi-succession vouée à disparaître au profit d’essences encore plus tolérantes à l’ombre, comme l’érable à sucre et le hêtre à grandes feuilles.


 

L’érablière à érable rouge est relativement stable surtout sur les stations subhydriques où la concurrence des autres feuillus est moins vive. En fait, les taux de mortalité de l’érable rouge tendent à diminuer au fur et à mesure que les arbres gagnent en hauteur pour finalement atteindre l’étage supérieur du couvert et s’y maintenir.

L’érable rouge atteint 18 ou 19 m de hauteur à 50 ans dans les sols moyennement drainés ou bien drainés et propices à sa croissance. Les érables rouges issus de semis sont durables et peuvent atteindre de fortes dimensions sur les stations où le sol de texture moyenne est profond et humide. L’érable rouge s’adapte assez bien à la sécheresse de sorte que les érablières à érable rouge font preuve d’une certaine résilience. En effet, l’histoire nous apprend qu’au Québec les épisodes de sécheresse n’ont pas été assez graves pour empêcher les érables d’atteindre l’étage supérieur du couvert et de s’y maintenir. 

Si l’érable rouge est là pour rester, alors, il vaut mieux s’en occuper et l’aménager convenablement, plutôt que de laisser la nature faire les choses. Le scénario du laisser-aller n’est certainement pas la meilleure option pour les taillis d’érable rouge poussant sur les meilleures stations.

 

Rappel

Les « taillis » représentent les parties d’un bois ou d’une forêt dans lesquelles il n’y a que des arbres de faibles dimensions essentiellement issus de rejets de souche ou de drageons. Les « futaies sur souches » représentent quant à elles les peuplements feuillus comportant une forte proportion de tiges en bouquet de dimensions commerciales issues de rejets de souches.

 

Un érable en bouquet est un système dynamique. Avec le temps, les rejets mourants libèrent au pourtour de la souche des espaces qui sont comblés par de nouvelles pousses. Dans les vieux bouquets d’érable rouge âgés de 70 ans, au moins trois générations de rejets peuvent cohabiter sur le même système racinaire, mais la vigueur des tiges décroît à chaque génération. 

La dégradation précoce du bois chez les érables rouges en bouquet est inévitable parce que les moignons des rejets disparus infectent les grosses tiges survivantes. Les arbres vieillissent donc prématurément, rongés de l’intérieur par la pourriture du pied et la coloration noire du cœur. La souche et les racines se dégradent, victimes du pourridiéagaric, et les risques de bris ou de dépérissement en cime augmentent avec le temps. Livrés à eux-mêmes et sans entretien, les arbres en bouquet ont une faible croissance en diamètre qui compromet la production acéricole ou ligneuse à long terme.

En optant pour le scénario du laisser-aller, la voie est déjà tracée dans les futaies sur souches d’érable rouge. La coupe de récupération du bois à pâte peut aider à remettre en production ces superficies vouées à devenir peu productives bien avant que les érables n’atteignent leur plein développement.

 

Ce qu’il faut faire en priorité

La mise en valeur des érablières à érable rouge est prioritaire sur les stations fertiles, car la marge de manœuvre du sylviculteur et les possibilités d’amélioration sont plus grandes qu’ailleurs.

 

Le rendement des éclaircies effectuées dans les érablières à érable rouge dépend de la proportion et de l’âge des rejets, de la composition en essences et de la fertilité du sol. L’éclaircissage par puits de lumière convient aux taillis constitués surtout de gaules et de perches. Les coupes partielles visant à récolter en priorité les arbres matures (les peupliers surtout) et les bouquets d’érable rouge en perdition sont appropriées pour traiter les futaies sur souches abandonnées depuis plusieurs décennies.

 

Sélection des tiges d’avenir dans un taillis

Les interventions les plus prometteuses devraient cibler en priorité les stations les plus fertiles où les bouquets d’érable poussent avec d’autres feuillus tolérants. Le sylviculteur peut ainsi améliorer la composition du futur peuplement, compter sur une croissance vigoureuse des tiges libres de croître, et le cas échéant, sur une cicatrisation rapide des blessures de coupe.

Le succès des interventions d’éclaircissage repose sur le meilleur choix possible des tiges à dégager pour stimuler leur croissance en diamètre, tout en minimisant le risque d’infection par les champignons de carie. Idéalement, il faut éclaircir avant que les tiges dominantes ne deviennent des perches de 15 cm ou plus de diamètre à hauteur de poitrine. Sinon, les rejets trop nombreux se fusionnent à la base en grandissant, ce qui restreint le choix de la meilleure tige à dégager (figure 1).

 

 

La fenêtre temporelle idéale pour éclaircir les taillis d’érable rouge se situe de 10 à 20 ans après la coupe selon la qualité de la station, parce que le choix de la meilleure tige bien conformée est facile à faire. Les arbres en bouquet sont alors formés de tiges dominantes de 8 cm ou plus de diamètre et la hauteur moyenne varie de 8 à 12 m selon la qualité de la station.

Le repérage et le marquage des tiges d’avenir réparties uniformément visent à obtenir le plein boisement à maturité. Le plein boisement varie surtout en fonction de l’essence, de l’origine (semis ou rejet) et du stade de développement (tableau 1). On conçoit aisément que l’espace vital d’un bouquet d’érable rouge est plus grand que celui d’un arbre issu d’un semis et c’est pourquoi il y a souvent moins de rejets disponibles qui peuvent être dégagés pour obtenir une distribution spatiale des tiges d’avenir suffisamment uniforme.

 

 

Dans le cas d’un bouquet, le défi sur le terrain consiste à marquer avec de la peinture le meilleur rejet comportant le minimum de risque d’être blessé lors de la coupe des tiges concurrentes. Pour y arriver, il faut créer un puit de lumière en coupant toutes les tiges dans un rayon de 0,75 à 1 m au pourtour du houppier de celle à conserver. 

Le coût des opérations pour libérer les rejets d’avenir dépend de plusieurs facteurs, mais les efforts consentis pour la sélection judicieuse des meilleures tiges sont déterminants. Le jugement du marteleur est crucial dans le choix des rejets à dégager.

Il faut garder à l’esprit qu’un bouquet dense d’érable rouge de 7 à 8 m de hauteur occupe un espace de 4 à 5 m de diamètre. La récupération d’un bouquet dégradé crée une ouverture d’environ 16 m2, profitant aux arbres dominants situés en périphérie. 

Les rejets à dégager sont choisis et marqués pendant la saison de végétation, parce qu’il est facile d’évaluer la vigueur et l’état des houppiers. Par contre, réaliser la coupe tardivement en automne est à la fois rapide et pratique. 

Le choix des meilleures tiges d’avenir s’appuie sur des critères simples en respectant le plus possible l’ordre de priorité suivant :

  1. Dégager les tiges uniques d’érable et autres feuillus issus de semis;

  2. Conserver un rejet issu du collet au détriment de ceux souvent plus gros partant de l’arête de la souche ou à plus de 15 cm de hauteur (figure 2 a, b);

  3. Conserver un rejet partant d’une petite souche de moins de 15 cm de diamètre au détriment des autres (figure 2 c, d);

  4. Conserver un rejet isolé sur une souche de 15 à 25 cm de diamètre au détriment des autres (figure 2 f);

  5. Conserver un ou deux rejets isolés, distants l’un de l’autre, dont la cicatrice de pied est inférieure à une face sur une souche de plus de 25 cm de diamètre (figure 2 e).

Un rejet bien conformé et issu du collet ou à moins de 15 cm de hauteur n’est pas forcément dominant. Il est droit, sans branche fourchue ni double tête, ni coude, ni chicot dressé, ni baïonnette, avec seulement de petites branches latérales ou de petits nœuds.

 

 

Une règle établie depuis des lustres

On sait depuis longtemps que les souches de feuillus coupées à ras le sol produisent des rejets aptes à développer leur propre système racinaire et devenir des individus autonomes de qualité. Au XVIe siècle, la règlementation dans le sud-ouest de l’Allemagne stipulait qu’il fallait couper les arbres à moins de 30 cm du sol pour favoriser une repousse vigoureuse. Environ 120 ans plus tard, ce seuil était réduit à 15 cm. Les rejets partant près du sol sont solides et peu sensibles aux infections fongiques provenant de la souche pourrie.

 

Sélection des tiges d’avenir dans une futaie sur souches 

Viser le plein boisement est irréalisable dans les vieux taillis devenus des futaies sur souches, car le nombre de tiges convenables à l’hectare est souvent insuffisant. C’est pourquoi libérer de 125 à 150 tiges/ha est un objectif de production réaliste (tableau 1).

L’enrichissement de feuillus nobles et de pins blancs est l’avenue à privilégier dans les érablières à érable rouge où le nombre d’arbres de qualité convenable s’avère insuffisant. Les plants profitent ainsi de l’éclaircie et d’une ambiance forestière dans les trouées issues de la récolte des arbres en perdition. Ils poussent convenablement en autant que les conditions du sol conviennent à leur croissance. Par exemple, l’enrichissement avec des plants d’érable à sucre est inapproprié si le sol est trop acide et le drainage est imparfait. L’enrichissement nécessite néanmoins des mesures de protection minimales pour éviter le broutage des cerfs de Virginie. Le broutage de l’orignal est toutefois un obstacle important et difficile à contrer.

 

La période idéale pour faire la coupe

Les opérations réalisées en automne après la chute des feuilles facilitent le dégagement des tiges d’avenir et la visualisation de l’effet attendu du traitement. La coupe en été est préférable si l’éclaircie est couplée avec un enrichissement de feuillus nobles et de pins blancs. La coupe au printemps est proscrite en raison du risque élevé de blessures aux arbres.

 

Les recommandations suivantes sont valables pour choisir et dégager les meilleurs arbres à conserver dans les futaies sur souches d’érable rouge tout en gardant à l’esprit que l’intervention ne peut redonner aux arbres les qualités requises pour produire du bois haut de gamme :

  1. Les tiges droites sans bifurcation ni fourche ni nœud pourri sont les meilleurs sujets;

  2. Les rejets tardifs dont le diamètre est inférieur à 25 % de la circonférence (< 1 face) de la tige dominante peuvent être coupés sans risque, lorsqu’ils partent à moins de 15 cm de hauteur (figure 3 a);

  3. Les rejets tardifs de 10 cm ou plus de diamètre et partant à 15 cm ou plus de hauteur sont conservés intacts parce que la coupe crée inévitablement des blessures ouvrant la voie aux champignons de coloration et de carie de la tige principale (figure 4);

  4. La tige dominante d’un bouquet est choisie si aucune autre de même diamètre ne se fusionne à la base à 15 cm plus de hauteur (figure 3 b);

  5. Les tiges de qualité, espacées et formant une fourche en U, à 15 cm ou plus de hauteur sont conservées comme un seul arbre; les tiges sont connectées par le cœur et la coupe de l’un créerait une blessure béante susceptible de dégrader l’autre avec le temps.

  6. La tige isolée ou celle partant à moins de 15 cm de hauteur est conservée au détriment des autres rejets;

  7. Les bouquets de deux ou trois arbres bifurquant à la base avec une fourche en V doivent être dégagés comme un seul arbre si au moins une tige vigoureuse et sans défaut débilitant domine les autres (figure 3 c);

  8. Les tiges multiples dont les dominantes bifurquent en forme de U à la base, en dessous de 15 cm, devraient aussi être dégagées, afin de conserver la meilleure tige (figure 3 d);

  9. Sur les terrains en pente, il faut choisir la tige la plus droite possible située en amont; cette mesure est aussi valable pour les jeunes bouquets (figure 2 h);

  10. Dans les endroits venteux ou en lisière d’un bois, les rejets face au vent dominant sont les plus résistants. Par précaution, il vaut mieux conserver deux tiges plutôt qu’une dans les jeunes bouquets exposés (figure 2 g).

 

 

Les tiges jumelles de même diamètre posent problème chez les feuillus, puisqu’aucune méthode cohérente n’est appliquée lors des éclaircies. Les tiges jumelles ne sont pas forcément issues de rejets, mais il faut agir tout comme si c’était le cas. Bref, il faut les conserver intactes si la fourche se situe au-dessus de 15 cm de hauteur sinon, il faut récolter les deux. Laisser une seule tige est la pire chose à faire chez les arbres à double tronc, puisque la tige restante se dégradera bien avant que la blessure ne cicatrise. 

 

 

Le risque de pourriture est par contre réduit si les tiges jumelles partent du collet ou à moins de 15 cm de hauteur. On peut alors conserver la tige dominante et récupérer l’autre sans risque (figure 5). Ces dernières recommandations concernant les tiges jumelles sont applicables aux feuillus de tous diamètres. Chez les conifères, la consigne est encore plus simple : il faut récolter les deux arbres ou les conserver intacts.

 

 

Conclusion

L’essentiel des consignes pour choisir la tige la plus prometteuse dans un bouquet d’érable rouge se résume à la règle 15-15-10. Malgré ces précautions pour minimiser les risques, les conditions gagnantes permettant d’augmenter à la fois la croissance et la qualité des tiges ne sont pas connues dans les futaies sur souches d’érable rouge. Le retour sur l’investissement justifiant les efforts consentis pour améliorer les futaies sur souches d’érable rouge n’est pas garanti surtout si le nombre d’arbres de belle venue à l’hectare est insuffisant. Dans l’éventualité d’une amélioration modeste de la qualité des tiges d’érable rouge issues de rejets, le gain de croissance en diamètre obtenu après une ou deux éclaircies offre tout de même la possibilité de mettre du bois en marché ou de mettre en production acéricole les érablières à érable rouge dans un délai projeté plus court que le scénario du laisser-aller.

 

LA RÈGLE 15-15-10

Le choix des tiges d’avenir les plus prometteuses dans les bouquets d’érable rouge se résume essentiellement à trois critères simples à retenir et à appliquer : 

  • Sélectionner en priorité une tige d’avenir bifurquant à moins de 15 cm de hauteur à partir de la plus haute racine de la tige à conserver;

  • Sélectionner en priorité une tige d’avenir partant d’une souche de moins de 15 cm de diamètre;

  • Éliminer sans risque branches, tiges et rejets tardifs de moins de 10 cm de diamètre sans laisser de moignons.

 

Remerciements 

Les auteurs tiennent à remercier M. Michel Huot pour la veille de la littérature scientifique de même que Dr Benoit Truax pour ses commentaires et suggestions. Ce projet a été initié et supervisé par l’Agence forestière des Bois-Francs (AFBF) dans le cadre du programme d’aménagement durable du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs dont la MRC de l’Érable est le délégataire désigné.

 


En savoir plus

Pour accéder à la revue de littérature complète et vérifier les disponibilités d’une formation de terrain, contactez par courriel Mme Carine Annecou, chargée de projets à l’AFBF : carine.annecou@afbf.qc.ca

 

 

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