Si l’on demande à Jean Tremblay, un technicien forestier œuvrant en Estrie, sa vision du nerprun, il le qualifie de « désastre écologique ». Si l’on sort de cette zone rouge du nerprun, on remarque rapidement qu’il est peu connu, voire inconnu, de plusieurs propriétaires, et même de certains professionnels forestiers. Pourtant, le nerprun bourdaine est présent dans un minimum de neuf régions administratives du Québec et les observations tendent à démontrer que les distributions et densités sont en réelle croissance.
L’infiltration du nerprun au Québec
Le nerprun bourdaine est une plante exotique, originaire de l’Europe et de l’Asie, qui a été introduite en Amérique dans les années 1800 pour des raisons médicinales, c’est-à-dire pour les propriétés laxatives de ses fruits. Plus tard, il fut planté en haie pour sa croissance rapide, son aspect touffu et son entretien minimal. En fait, lorsque la haie devient trop grosse, il suffit de la couper au ras du sol et, l’année suivante, la haie est de retour, plus fournie qu’auparavant.
La plus vieille occurrence dans les milieux naturels québécois connue et répertoriée dans l’herbier Louis-Marie date de 1924 et c’était dans les Laurentides. En 1933, ce fut le tour du Centre-du-Québec et, en 1963, celui de l’Estrie. Il est difficile de saisir le parcours du front d’envahissement du nerprun en forêt privée. Pourquoi le nerprun est-il devenu une préoccupation majeure en Estrie au milieu des années 2000 et non pas dans les autres régions?
James Kerr, technicien forestier chez Aménagement forestier et agricole des Sommets, témoigne de sa première rencontre avec la plante. Il a acheté une propriété en 1994 à Cookshire-Eaton et y a réalisé une coupe dès la première année. Par la suite, il a rapidement observé l’installation d’arbustes feuillus non identifiés jusqu’alors. Il savait que le nerprun bourdaine était une plante confirmée en Estrie, mais il ne la connaissait pas. Il dit d’ailleurs : « j’aurais bien aimé ça, à cette époque, que quelqu’un m’explique c’était quoi cette espèce-là, le nerprun bourdaine, parce que j’aurais vraiment pris ça au sérieux et j’aurais travaillé fort pour m’en débarrasser ». Aujourd’hui, il dit que « quand on attend trop, c’est l’explosion des populations […]. Il faut essayer de contrôler le nerprun dès l’apparition […]. Si on attend trop longtemps, la banque de semences devient trop élevée et c’est quasiment impossible de [le] contrôler ensuite ».
À ce jour, il n’existe toujours pas d’inventaire de nerprun ou de relevé précis sur la distribution du nerprun au Québec. La plateforme Web Sentinelle répertorie la présence d’espèces exotiques envahissantes, dont le nerprun bourdaine, sur la base d’observations et de signalements volontaires. Selon cette source, le nerprun se retrouve dans neuf régions administratives : Estrie, Montérégie, Centre-du-Québec, Chaudière-Appalaches, Montréal, Outaouais, Lanaudière, Mauricie et Capitale-Nationale. Notons toutefois que cette source n’est pas complète. D’ailleurs, on n’y voit que deux signalements dans la municipalité de Cookshire-Eaton alors que le nerprun est présent sur de nombreux lots forestiers du secteur. Pour cette raison, la Table estrienne sur les espèces exotiques envahissantes recense, depuis deux ans et sur une base volontaire, la présence du nerprun pour mieux cerner son importance. Les responsables ont noté que l’espèce est extrêmement présente sur le territoire estrien et semble être particulièrement développée le long de la rivière Saint-François.
L’enjeu du nerprun en Estrie est une réalité depuis plusieurs années. L’envahissement se poursuit dans d’autres régions. Il est crucial que tous les propriétaires de boisés tiennent compte de cette menace pour leurs boisés.
Le développement du nerprun
Dans le cas du nerprun et de son développement, rien n’est plus explicite que des images. Je vous présente donc une série d’images du nerprun à différents stades d’envahissement.
En résumé, dès que des semences sont présentes en condition mi-ombragée ou ensoleillée, le nerprun peut s’installer. Il possède la capacité de survivre longtemps en sous-étage. Puis, dès qu’il y a un peu de lumière, il est parti! On le taille et il produit une quantité innombrable de rejets. On ne fait rien et il prend toute la place. Il étouffe tout sur son passage en créant une jungle sombre et très branchue.
Les risques de l’envahissement
La présence du nerprun peut causer d’importants préjudices aux milieux forestiers. Parmi ceux-ci, on note :
-
Une réduction, voire une absence, de régénération naturelle ;
-
Une perte de biodiversité, d’habitats fauniques et, par conséquent, d’espèces fauniques ;
-
Une réduction des superficies forestières productives et des revenus liés à l’aménagement forestier ;
-
Une réduction de la valeur de revente des lots boisés ;
-
Une réduction du succès de chasse ;
-
Des limitations quant à la pratique des loisirs en forêt ;
-
Et plus encore…
Bien que le nerprun bourdaine produit une grande quantité de fruits comestibles, il est de faible intérêt face à la faune en raison des propriétés laxatives de ces fruits. D’ailleurs, le cerf de Virginie n’en mange qu’en dernier recours. Il en est de même pour ses rameaux l’hiver.
Il a tout du bon envahisseur
Le nerprun semble avoir tout raflé à la loterie des gènes de l’envahisseur. Sa croissance est très rapide avec parfois plus d’un mètre en hauteur par année en pleine lumière. Il développe ses feuilles tôt au printemps et il les perd tardivement à l’automne, ce qui lui donne un avantage en capacité photosynthétique. Sa production de fruits est très abondante. Les semences restent viables deux à trois ans, voire six ans, dans le sol. De plus, elles ont un haut taux de germination. Les semis peuvent survivre de nombreuses années en sous-couvert. Le nerprun est peu consommé par les herbivores. Les fruits sont dispersés par les oiseaux sur de grandes distances. Le nerprun se reproduit aussi par drageonnement et produit un grand nombre de rejets. Après un débroussaillage, une tige coupée peut en former plus de 100. Côté habitat, on le retrouve un peu partout. À ce jour, il est plus abondant dans les forêts perturbées par des évènements naturels ou des aménagements forestiers et dans les forêts ayant un historique d’usage agricole. Il reste néanmoins présent dans tous les autres types : de l’érablière à la tourbière.
Étape 1 de la lutte : l’identification
Si l’on veut agir vite, il faut sans plus tarder apprendre à l’identifier et prendre le temps de le faire à chacune de nos sorties. D’ailleurs, un des seuls avantages que nous avons sur le nerprun est qu’il est facilement identifiable. Avec un peu de pratique, on se met à le voir partout sans même le chercher. Ça devient presque une obsession et je parle par expérience.
En somme, voici les caractéristiques du nerprun bourdaine. Les feuilles sont d’un vert lustré sur le dessus et des nervures créent des ondulations sur la feuille. L’écorce des tiges de deux centimètres et moins contient des lenticelles bien apparentes en forme de trait blanc. En grossissant, les lenticelles deviennent moins apparentes. Le bois est jaune et le bois de cœur des tiges plus volumineuses est rouge. On peut voir tout au long de la saison estivale des fleurs et des fruits à différents stades de maturation (vert, rouge et noir), ce qui est une caractéristique de l’espèce. En écrasant le fruit, on trouve deux à trois semences bien visibles.
La suite…
J’espère qu’à la lecture de ce texte et de ceux qui suivront dans ce dossier, toute personne impliquée dans la gestion d’une ou de plusieurs forêts québécoises prendra au sérieux cet envahisseur. Il est important que le nerprun soit systématiquement détecté dans les boisés et plus particulièrement avant tout aménagement forestier, peu importe sa nature. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons adapter nos aménagements et limiter sa prolifération.
Au moment de distribuer ce magazine (fin avril 2021), les feuilles de nerprun devraient commencer à s’ouvrir. Il sera donc facile de le distinguer des autres végétaux dont les bourgeons sont toujours fermés. Sortons tous dehors et commençons à le rechercher!