La sylviculture d'adaptation : pour faire face aux changements climatiques


Plusieurs perturbations en lien avec les changements climatiques affecteront les forêts du sud du Québec dans les prochaines décennies. Face aux changements, l’importance de considérer les projections climatiques dans l’aménagement forestier se fait de plus en plus ressentir. La sylviculture d’adaptation en vue d’augmenter la résistance et/ou la résilience des peuplements pourrait faire partie de la solution.


 

L’Agence de mise en valeur des forêts privées des Appalaches (AMVAP) collabore, depuis 2018, à un projet de recherche intitulé Forêt s’Adapter mené par le chercheur Frédérik Doyon et son équipe de l’Institut des Sciences de la Forêt tempérée de l’Université du Québec en Outaouais. Ce projet vise à tester une gamme de travaux sylvicoles afin d’augmenter la résistance et/ou la résilience des peuplements face aux changements globaux. Sa réalisation a été possible grâce à la précieuse collaboration de propriétaires privés qui nous ont permis d’installer un dispositif de recherche sur leur lot forestier. Notons également le soutien financier du Programme ÉcoAction d’Environnement et Changement climatique Canada, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) ainsi que la réalisation technique des travaux par le Groupement forestier de Bellechasse-Lévis.

L’aménagement écosystémique est appliqué sur la forêt québécoise depuis l’instauration du nouveau régime forestier (Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, Recueil des lois et des règlements du Québec [RLRQ], chapitre A-18.1). Ce concept d’aménagement écosystémique durable du territoire implique la pérennité des fonctions écologiques, économiques et sociales des peuplements forestiers par une diminution des écarts entre la forêt naturelle et la forêt aménagée. Or, l’aménagement durable de nos forêts doit aujourd’hui s’attarder aux conditions climatiques futures afin de réduire tous les risques associés à la dégradation des peuplements. Il s’agit d’ailleurs d’une des grandes orientations adoptées pour la forêt privée par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) de considérer les impacts des changements climatiques dans les pratiques forestières.

Le territoire desservi par l’Agence des Appalaches couvre la Ville de Lévis et les MRC de Montmagny, L’Islet, Bellechasse et des Etchemins. Pour cette région, des températures plus élevées de l’ordre de 6,0 à 6,2 °C sont attendues d’ici la fin du siècle par rapport aux données historiques de  1951-1980, ce qui pourrait accroitre les risques reliés à la sécheresse. En effet, la hausse des précipitations prévue d’ici 2100 surviendrait principalement sous forme liquide et en hiver. De surcroit, l’augmentation de l’évapotranspiration associée à la hausse des températures et des évènements climatiques extrêmes viendrait exacerber la vulnérabilité des peuplements.

 

Le dispositif

Le dispositif comprend 12 sites de recherche dans la région des Appalaches. Ces derniers ont été établis en forêt privée, avec l’accord du propriétaire. Les sites devaient être localisés sur des sols mésiques, facilement accessibles et installés de manière à éviter les conflits d’usage de la terre. Les critères de sélection des sites comprenaient une surface terrière minimale de 22 m2/ha dans un peuplement mature de plus de 50 ans et dominé par le sapin baumier ou l’érable rouge. Le diamètre moyen des tiges marchandes devait être supérieur à 20 cm. Le couvert forestier initial devait être supérieur à 60 % et le peuplement d’une superficie supérieure à 4 ha. 

Pour chaque dispositif, quatre blocs de 50 m x 50 m ont été installés et entourés d’une zone tampon de 25 m. Des données préliminaires ont été récoltées par LiDAR terrestre afin de déterminer la structure initiale du peuplement. Ces données ont été validées sur le terrain par des inventaires de végétation et des mesures de surfaces terrières initiales par essence. Trois intensités de prélèvement, visant respectivement une surface terrière résiduelle de 6,5 m2/ha, 12 m2/ha et 20 m2/ha, ont été testées et seront comparées à un témoin non récolté. 

 

 

Les interventions sylvicoles

Les travaux de récolte ont été réalisés par le Groupement forestier de Bellechasse-Lévis en 2020-2021. Une sélection préalable des tiges à couper a été effectuée par martelage établi en fonction de deux stratégies ayant été associées à chacun des blocs. D’une part, la stratégie « Diversité » a permis d’assurer le maintien d’une variété d’essences dans le bloc. Celle-ci vise à augmenter la résilience de l’écosystème par une variabilité structurale et fonctionnelle portée par les attributs de biodiversité et de régénération du peuplement. La résilience permettrait ainsi à l’écosystème de retrouver rapidement sa structure et ses fonctions suite à une perturbation. D’autre part, la stratégie « Vulnérabilité et Adaptation » a permis de sélectionner les essences présentant la plus grande vulnérabilité aux changements climatiques par rapport à celles présentant la meilleure capacité d’adaptation. Ce faisant, il serait possible d’augmenter la capacité d’un écosystème à faire face aux perturbations par la persistance du peuplement malgré les changements du climat. Un enracinement profond, une réponse stomatique sensible, une résistance des racines aux dommages et à la sécheresse ainsi qu’une bonne capacité à prévenir les embolies ou à reprendre le transport en eau à la suite d’une embolie sont autant de traits fonctionnels pouvant caractériser des essences adaptées aux changements climatiques et à la sécheresse. 

 

Le reboisement

Un reboisement a été effectué dans la moitié des sites du projet. Des exclos seront installés dans une portion des sites reboisés afin d’y contrôler le broutement des cervidés. L’objectif des travaux de plantation est de mesurer le succès d’établissement, de survie et de croissance individuelle de semis d’espèces fréquentes localement, comparativement à des espèces dont l’aire de répartition est située légèrement plus au sud. Les résultats obtenus seront comparés aux données de la régénération naturelle des sites témoins à l’expérience de plantation. Dans les sites sélectionnés, le reboisement sera effectué à l’intérieur des quatre blocs de 50 m x 50 m préalablement installés. Chacun des blocs a ensuite été subdivisé en quatre sous-blocs où 40 semis (cinq semis de huit espèces) ont été plantés en rangées selon un patron d’espacement de 2 m. Parmi les essences plantées, on retrouve l’érable rouge, l’érable à sucre, l’épinette rouge, l’épinette blanche, le pin blanc, le bouleau jaune, le cerisier tardif et le chêne rouge. 

 

Le suivi scientifique

Le travail de recherche sur la réponse des peuplements à la sylviculture d’adaptation testée dans ce dispositif se poursuivra sur une échelle de  10 ans. Des appareils spécialisés seront installés et des étudiants- chercheurs en feront un suivi rigoureux. Par ailleurs, un dispositif expérimental semblable à celui de la région des Appalaches a été établi dans le Centre-du-Québec en collaboration avec l’Agence forestière des  Bois-Francs et Aménagement forestier coopératif de Wolfe. Grâce à cette réplication de l’expérience, les résultats obtenus dans ces deux régions bioclimatiques distinctes pourront être comparés. Les conditions de performance et de santé de ces sites récoltés sous différentes intensités de récoltes et en regard aux stratégies de « Diversité » et de « Vulnérabilité et Adaptation » permettront de raffiner la compréhension de l’impact des changements globaux. Pour en venir à considérer les changements climatiques dans la planification des opérations forestières en vue d’augmenter la résistance et la résilience des peuplements à l’échelle du paysage, il faut d’abord développer et étudier des solutions concrètes à une échelle locale. 

 


En savoir plus

Contactez l’équipe de l’AMVAP par courriel : info@amvap.ca

Visitez le www.amvap.ca

 

 

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