La spongieuse européenne : problématique et gestion


Durant l’été 2021, la spongieuse européenne a fait couler beaucoup d’encre dans les médias du sud du Québec. Les défoliations importantes observées dans les grandes zones urbaines n’y sont certainement pas étrangères. Dans cet article, nous présentons l’espèce, exposons les risques auxquels sont exposés les milieux forestiers et discutons de stratégies de lutte. 


 

Dispersion et historique des épidémies

La spongieuse est un insecte européen introduit aux États-Unis en 1869 par un Français qui espérait, par croisement, lui faire produire de la soie. Depuis, elle s’est répandue progressivement et a été observée au Québec pour la première fois en 1924. Elle a alors été éradiquée, mais a réapparu en 1959 et serait installée sur notre territoire depuis lors. Aujourd’hui, on la retrouve dans le sud du Québec, surtout dans l’aire de répartition du chêne rouge, mais aussi un peu au-delà.

De façon générale, les niveaux de populations de spongieuses sont faibles. À l’occasion, cependant, des épidémies surviennent, mais, au Québec, elles sont de courte durée et on estime que les superficies défoliées se limitent, en moyenne, à quelque 200 km2 de forêt. Le Québec a connu une seule épidémie beaucoup plus étendue, en 1977, au cours de laquelle la spongieuse y aurait défolié plus de 5 000 km2 de forêt. Pierre Therrien, entomologiste au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), estime que l’épidémie vécue au Québec durant l’été 2021 devrait avoir un effet similaire aux épidémies restreintes du passé. Il y aurait donc peu de souci à se faire pour la grande majorité de nos arbres. Les secteurs les plus touchés, comme ceux de l’ouest de la Montérégie, nécessitent un peu plus d’attention pour l’évaluation des risques et, le cas échéant, éviter d’éventuelles conséquences. 

 

 

Biologie de l’espèce

La spongieuse européenne est un papillon de nuit. Ses larves (chenilles) naissent en mai et se développent jusqu’à la mi-juillet. Elles se transforment ensuite en pupes (fin juin à fin juillet), puis en adultes (mi-juillet à début septembre). Enfin, les femelles adultes pondent entre 300 et 1 000 œufs regroupés en une masse plus ou moins informe chacune. Dans des conditions favorables à leur survie, ces grands nombres d’œufs permettent un accroissement rapide de la population et peuvent occasionner une épidémie.

 

 

Dommages aux arbres et essences préférées

La spongieuse est considérée comme un ravageur forestier. En effet, la chenille de ce papillon fait une consommation massive de feuilles. Une seule larve peut manger jusqu’à 1 m2 de feuilles au cours de sa croissance. En grand nombre, elles peuvent causer la défoliation partielle ou même totale d’un arbre, ou même d’un peuplement forestier. 

La spongieuse s’intéresse tout particulièrement aux chênes, aux peupliers, aux bouleaux blanc et gris, et au tilleul, mais elle a été observée sur près de 500 espèces différentes de feuillus et de conifères. 

 

 

On estime qu’un feuillu en bonne santé devrait résister à une ou deux années de défoliation grave au cours desquelles il aurait perdu plus de 50 % de son feuillage. La défoliation causée par la spongieuse se produisant tôt en saison (mai et juin), l’arbre doit puiser dans ses réserves d’énergie stockée dans ses racines pour générer de nouvelles feuilles, plus petites, mais suffisantes pour assurer sa survie. Malheureusement, il ne disposera ensuite que du mois de juillet pour renflouer ses réserves avant l’aoûtement. 

Pour les conifères qui ont l’habitude de conserver leurs aiguilles plusieurs années, l’impact de la défoliation est différent. Pour eux, le remplacement simultané de toutes leurs aiguilles la même année représente une dépense énergétique démesurée. Ainsi, il n’est pas rare qu’un conifère, même en santé, meure après une seule année de défoliation grave. Notons que les conifères qui se trouvent parmi des feuillus en peuplements mixtes sont plus souvent attaqués que ceux qui se retrouvent entre résineux. 

Outre son effet sur la survie, une défoliation grave réduit également la croissance des arbres. L’effet est plus marqué sur les arbres des étages intermédiaires et inférieurs dont la croissance est déjà plus lente à cause du manque de lumière. Les arbres sévèrement affectés tendent également à perdre leur résistance à différents stress pendant les deux années suivant leur défoliation, devenant ainsi plus vulnérables aux ravageurs forestiers ainsi qu’à la sécheresse.

Selon des études portant sur la livrée des forêts (une autre chenille défoliatrice), la défoliation réduirait aussi la coulée des érables, en plus d’affecter le niveau de sucre des arbres. En effet, il a été observé que les arbres défoliés présentaient un niveau de sucre réduit tant dans leurs racines que dans leur écorce et dans leur bois. 

 

Facteurs favorisant une épidémie

Au Québec, les épidémies de spongieuses sont de courte durée. Après l’éclosion d’une épidémie, la chute de la population de spongieuses se produit au bout d’une ou de deux années. Outre le froid dont l’efficacité peut être radicale lors d’hivers rudes, les populations de parasitoïdes, de prédateurs et de champignons peuvent augmenter rapidement et contribuer au contrôle et au déclin de celle de spongieuses. Même les arbres font leur petite part en développant des défenses foliaires dès la deuxième année d’infestation (feuilles plus coriaces ou contenant des substances qui nuisent au développement de la spongieuse, etc.). 

De façon générale, des températures inférieures à -20 °C détruisent les œufs de spongieuses. Seule une petite proportion d’entre eux survivent à nos rudes hivers. Cependant, quand un hiver combine des températures douces avec un épais couvert de neige servant d’isolant contre le froid, la survie des œufs peut augmenter fortement. 

Des printemps et des étés secs favorisent également la survie de la spongieuse puisqu’ils limitent la prolifération d’un champignon (Entomophaga maimaiga) efficace pour contrôler l’insecte. 
On estime aussi que la spongieuse pourrait bénéficier du fait que les dernières épidémies datent de longtemps. En ces circonstances, moins de parasitoïdes et de prédateurs seraient présents pour contrôler sa population. De plus, les arbres auraient alors tendance à baisser la garde face aux défoliateurs, produisant par exemple moins de tanins, ce qui les rendrait plus vulnérables au broutement. 

 

Réduire la vulnérabilité des forêts

Une stratégie efficace pour protéger une forêt de la spongieuse est de réduire sa vulnérabilité face aux ravageurs en général. Les peuplements dégradés seraient vraisemblablement particulièrement attractifs pour l’insecte parce que les arbres affaiblis ou stressés tendent à perdre leur protection, mais aussi puisque la spongieuse recherche des crevasses pour se mettre à l’abri de ses prédateurs et qu’elles sont particulièrement abondantes sur les arbres peu vigoureux de tels peuplements. On peut donc aménager un boisé de façon à augmenter la santé et la vigueur des arbres ainsi que du peuplement. L’aménagement doit favoriser le maintien des arbres présentant une bonne croissance et les tiges de qualité exemptes de défauts, de blessures ou de chancres. Les arbres en santé présentent des branches, des rameaux et un feuillage bien développés. Leur cime est large, longue, dense et bien structurée et leurs feuilles sont larges et bien colorées. 

La santé et l’équilibre des peuplements bénéficient également d’une diversité d’essences, de classes d’âges et de classes de hauteur.  

 

Identifier la spongieuse

La larve

  • Tôt au printemps, la larve est noire ou brune. Puis, elle devient facilement reconnaissable avec les caractéristiques suivantes :

  • Longueur jusqu’à 60 mm ;

  • Dos de couleur bleu, gris ou noir, parcouru d’une ligne blanche continue ou pointillée ;

  • Cinq paires de points bleus, suivi de six paires rouges sur le dos ;

  • Grande quantité de longs poils aux propriétés urticantes.

 

 

Les adultes

Les mâles sont bruns et les femelles sont beiges et recouvertes de poils chamois. Ces dernières sont trop lourdes pour voler. 

 

Les masses d’œufs

  • De couleur blanche, beige chamois ou brune ;

  • Taille similaire à une pièce d’un dollar ;

  • Forme souvent irrégulière ;

  • Recouvertes de poils irritants.

 

 

Faut-il agir lors d’une épidémie?

Puisque la survie des boisés est rarement remise en question par une épidémie de spongieuses, on se contente généralement à recommander d’éviter d’augmenter la vulnérabilité des arbres. À court terme, il est déconseillé de faire des éclaircies dans les peuplements affectés pendant et à la suite d’une défoliation. D’une part, si l’épidémie n’est pas terminée, cela risquerait de concentrer les larves sur les arbres restants. D’autre part, une coupe peut assécher le sol et abîmer des racines. Ainsi, retarder l’éclaircie d’au moins trois ans a l’avantage d’éviter d’ajouter des stress aux arbres alors qu’ils sont affaiblis par la défoliation, en plus de permettre de sélectionner ceux qui auront été les plus affectés pour les destiner à la coupe. 

En érablière, puisque la défoliation affecte la croissance des arbres, elle a pour effet indirect de ralentir leur cicatrisation. Ainsi, il est conseillé de minimiser l’intensité de l’entaillage à la suite d’une épidémie de spongieuses, par exemple en évitant les entailles multiples et celles des arbres de petit diamètre. 

Si on a des raisons valables de croire que la survie des peuplements est menacée, on peut également envisager un arrosage aérien avec du BTk. BTk est le nom commun d’un insecticide biologique fabriqué à partir d’une bactérie présente naturellement dans l’environnement, Bacillus thuringiensis, variété kurstaki. Puisque cette bactérie affecte tous les papillons, y compris les espèces bénéfiques, la pulvérisation de BTk n’est pas anodine. Par conséquent, il est fortement recommandé de confirmer la pertinence du traitement avant de procéder, d’autant plus que l’arrosage, habituellement effectué par hélicoptère, est dispendieux. Il doit de plus être réservé plusieurs mois à l’avance (souvent en automne ou en hiver) et être appliqué très tôt au printemps (en mai) avant que surviennent les principaux dommages. 

C’est seulement après une première année de défoliation grave qu’on peut évaluer la pertinence d’un traitement au BTk. Pour ce faire, on tente à l’automne de prédire la taille qu’aura la population de spongieuses l’été suivant, en vue d’organiser, le cas échéant, un arrosage printanier. Cette évaluation se base sur l’abondance et la taille des masses d’œufs. Votre conseiller forestier peut peut-être vous aider dans cette démarche, grâce au protocole d’évaluation rendu disponible sur le site web de l’Agence forestière de la Montérégie (AFM).  

 

Contribuez aux connaissances scientifiques

La spongieuse est un ravageur relativement récent au Québec. On a observé quelques épidémies depuis son arrivée, mais il est difficile de prévoir son évolution au fil des décennies. Pierre Therrien croit que les changements climatiques devraient favoriser une expansion du territoire d’action de la spongieuse. Ayant des centaines d’hôtes potentiels, la spongieuse est déjà présente au-delà de l’aire de répartition du chêne, son hôte préféré. 

On peut aider à documenter la situation en signalant la présence de la spongieuse (répertoriée sous le nom de Bombyx Disparate, soit le nom de l’adulte) sur des applications ou sites web de science citoyenne comme INaturalist.

 

La spongieuse en Montérégie

Au printemps 2020, quelques rares boisés ont été affectés par la spongieuse en Montérégie Ouest. C’est par contre en 2021 que le nombre de cas s’est largement multiplié. À présent, plusieurs producteurs forestiers, mais surtout des producteurs acéricoles, s’inquiètent qu’une mortalité accrue survienne dans leur boisé, d’autant plus que plusieurs érablières de la région ont également subi l’infestation d’un autre insecte défoliateur au cours des dernières années. En effet, une épidémie de livrées des forêts a sévi dans la région entre 2016 et 2018. 

Considérant que les feuillus en santé survivent à une ou deux années de défoliation grave, on peut croire que de telles épidémies successives augmenteront les taux de mortalité dans les peuplements les plus touchés. Toutefois, selon Pierre Therrien, les années sans infestation qui ont séparé les épidémies de livrées et de spongieuses auront sans doute permis aux arbres de se rétablir des effets de la première vague de défoliation. Ainsi, les arbres en santé pourraient de nouveau supporter une ou deux années de défoliation. Néanmoins, les sécheresses de l’été 2020 et du printemps 2021 auront sans doute ajouté, elles aussi, au stress des arbres. C’est pourquoi les boisés fortement touchés par la spongieuse devront de toute évidence faire l’objet d’une attention particulière. Leur situation gagnera à être analysée soigneusement avant de choisir d’y prévoir des éclaircies et même avant leur entaillage.

 


En savoir plus 

Visitez le site de l’AFSQ : https://www.afsq.org/fr/trouver-de-linformation-1/la-spongieuse-europeenne

Visitez le site de l’Agence forestière de la Montérégie : www.afm.qc.ca/la-spongieuse-europeenne/

 

 

 

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