Identifier les arbres à risque après une coupe partielle


De nombreux résultats de recherche permettent maintenant d’évaluer le risque de mortalité des arbres après une
coupe de jardinage dans une érablière ou une bétulaie jaune à résineux. Cet article propose des critères simples et pratiques pour identifier les arbres les plus susceptibles de mourir, aux fins de l’inventaire et du martelage en préparation d’une coupe partielle.


 

Introduction

L’approche sylvicole généralement préconisée pour les peuplements d’érable à sucre ou de bouleau jaune mise principalement sur des coupes partielles, comme la coupe de jardinage. Un enjeu important est alors de minimiser la mortalité des arbres résiduels au cours des décennies suivant l’intervention. En effet, le suivi des coupes de jardinage réalisées de manière opérationnelle dans les forêts publiques au Québec a démontré que l’accroissement net des peuplements pouvait être assez faible au cours des premières années si la mortalité des arbres est trop forte.

Pour mieux évaluer le risque de mortalité, des dizaines de milliers d’arbres sont mesurés périodiquement dans des dispositifs expérimentaux et dans le réseau de suivi des effets réels de la coupe de jardinage au Québec. Depuis 2005, des résultats concernant le risque de mortalité des arbres sur des périodes allant de 5 à 15 ans après la coupe de jardinage nous fournissent des informations servant à identifier les arbres les plus susceptibles de mourir après une coupe de jardinage. L’objectif du présent article est de présenter une synthèse de ces informations, afin de les utiliser pour sélectionner les arbres lors des coupes partielles dans l’érablière ou la bétulaie jaune et d’établir un seuil pour le taux de mortalité à partir duquel il vaut mieux récolter une catégorie d’arbres ayant des caractéristiques semblables (essence, diamètre, défauts) que de les laisser croître lors de la préparation d’une coupe partielle.

 

Taux de mortalité critique

Je propose de considérer que le risque de mortalité d’un arbre feuillu est trop élevé lorsque sa probabilité de mourir est égale ou supérieure au double du taux de mortalité de base, soit celui des arbres sains, de belle qualité et d’un diamètre à hauteur de poitrine (DHP) de 40 cm¹. Ce taux de base par période de 25 ans est de 5,4 % pour l’érable à sucre et de 10,3 % pour le bouleau jaune. Les taux de mortalité critiques sont donc respectivement de 11 et 21 %. Je propose d’appliquer à l’érable rouge les recommandations développées pour l’érable à sucre, car certains chercheurs ont démontré que les risques de mortalité étaient semblables entre ces espèces.

 

 

Les érables et les bouleaux jaunes les plus susceptibles de mourir

  •  Les érables et les bouleaux jaunes partiellement déracinés ou dont les racines ont été coupées par le passage de la machinerie (taux de mortalité de 79 à 100 % par 25 ans).

  •  Les érables dont le tronc n’a pas de potentiel de bois d’œuvre ont un taux de mortalité sur 25 ans d’au moins 16,1 % et ce dernier augmente rapidement si l’arbre montre un des défauts décrits au tableau 1 (par exemple : 25,3 % en présence d’un champignon).

  •  Les érables ayant un potentiel de bois d’œuvre, mais présentant à la fois un défaut majeur au tronc et du dépérissement ou un bris affectant plus de 10 % du houppier (tableau 1 c).

  •  Les érables et bouleaux jaunes ayant un tronc de belle qualité et sans défaut majeur, mais présentant du dépérissement ou un bris sur plus de 25 % du houppier (taux de mortalité sur 25 ans d’au moins 12,6 % pour les érables et de 25,5 % pour le bouleau jaune).

  •  Les bouleaux jaunes présentant un défaut majeur au tronc (tableau 1 c).

 

 

Les autres essences en forêt de feuillus

D’autres essences présentent de forts taux de mortalité sur 25 ans après une coupe partielle dans l’érablière ou la bétulaie jaune. C’est le cas des feuillus intolérants à l’ombre (mortalité ≥ 62,4 %), comme le bouleau à papier et les peupliers, et ce, peu importe leur DHP, et même pour des arbres de belle qualité. Le taux de mortalité du hêtre à grandes feuilles sur 25 ans est susceptible d’être très élevé lorsque le peuplement est dans l’une des deux premières phases de la maladie corticale du hêtre (phase d’invasion ou phase de destruction). Par la suite, lors de la phase de dévastation par cette maladie, certains hêtres demeurent affaiblis, tandis que des arbres résistants commencent à se démarquer. Le taux de mortalité des individus résistants est susceptible d’être comparable à celui qui prévalait chez les hêtres avant l’arrivée de cette maladie exotique. Pour ces derniers, le taux de mortalité augmente rapidement en fonction du diamètre et atteint le taux de mortalité critique vers un DHP de 35 cm (mortalité ≥ 19,5 %).

 

 

L’étude du risque de mortalité des résineux après une coupe partielle dans un peuplement dominé par les feuillus n’a pas été très approfondie. Les résultats de certains chercheurs indiquent toutefois que le taux de mortalité du sapin baumier dans les érablières atteint 66,3 % sur 25 ans à un DHP de 15 cm, pour ensuite augmenter rapidement avec le diamètre. Des taux très élevés de mortalité du sapin après coupe partielle ont aussi été rapportés dans des bétulaies jaunes résineuses. Il est important de noter que ces taux élevés de mortalité ont été observés entre deux épidémies de tordeuse des bourgeons de l’épinette. Ainsi, je recommande de déterminer quels sapins sont les plus susceptibles de mourir uniquement sur la base de leur DHP. Pour les épinettes, plusieurs études ont été réalisées et démontrent une large variabilité régionale. Des taux très élevés de mortalités ont été observés en Outaouais et au Témiscamingue, à des endroits exposés aux vents et dans un dispositif expérimental ayant subi une intense préparation de terrain. Ailleurs, les taux élevés de mortalités ont été observés surtout sur des épinettes affligées de défauts, comme une fente, une blessure au tronc, une rupture partielle ou une inclinaison (> 30°). 

Ainsi, pour la plupart des essences compagnes de l’érable à sucre et du bouleau jaune dont les taux de mortalité atteignent rapidement des valeurs élevées, je recommande de déterminer quels arbres sont les plus susceptibles de mourir uniquement sur la base de la combinaison de l’essence et du DHP (Tableau 2 c). Cette façon de faire a l’avantage de ne pas nécessiter le classement des essences lors de l’inventaire avant intervention en vue de la prescription sylvicole, ce qui représente une économie. Dans certaines situations, le choix du DHP minimal de récolte peut aussi être influencé par la facilité de mise en marché d’une essence donnée. Toutefois, ma recommandation pour les épinettes est d’appliquer un seuil de DHP de 24 cm seulement dans l’une ou l’autre de ces trois situations : dans l’ouest de la province de Québec, sur un site très exposé aux vents ou dans un peuplement dont une perturbation intense du terrain est prévue. Autrement, l’évaluation du risque de mortalité pourrait se faire avec la présence de défauts au tronc.

 

 

Implications pour l’aménagement forestier au Québec

Ces résultats et recommandations ont des implications variables selon les traitements sylvicoles et selon les méthodes locales en vigueur pour sélectionner les arbres à conserver ou à récolter lors d’une coupe partielle. Au Québec, le système de classement de la priorité de récolte MSCR a été introduit en 2005 pour améliorer la récolte des arbres de faible vigueur à la suite du martelage qui précède les coupes de jardinage. Bien que la classe prioritaire des arbres à récolter soit nommée « M » en référence à leur risque de mourir avant la prochaine récolte, ce système semble accorder plus de poids au risque de dégradation du tronc d’un arbre qu’à l’évaluation de sa vigueur. D’ailleurs, les sources d’information ayant servi à mettre ce système au point étaient davantage axées sur le risque de dégradation du tronc que sur des données empiriques de taux de mortalité selon les défauts. Cela explique pourquoi l’accent est mis sur la présence d’indices de la carie des arbres. À l’opposé, les recommandations que je présente ici sont basées uniquement sur des taux de mortalité observés; elles m’amènent à mettre davantage l’accent sur la présence de dépérissement du houppier et la qualité de la bille de pied que sur la seule présence d’indices de carie, particulièrement pour l’érable à sucre. Une étude parue en 2015 aux États-Unis montrait aussi la grande importance des signes de dépérissement du houppier dans l’évaluation du risque de mortalité des érables à sucre. Toutefois, elle n’a pas évalué conjointement la contribution des défauts majeurs au tronc. Avec des données plus détaillées, l’accent est mis sur les effets cumulatifs de plusieurs défauts majeurs, y compris le dépérissement du houppier. Ceci ne veut pas dire que les arbres classés M dans le système MSCR n’ont pas un taux élevé de mortalité; celui-ci est estimé à 85,3 % sur 25 ans. Toutefois, à l’exception de situations évidentes d’arbres déracinés ou cassés sous le houppier, l’utilisation d’un seul défaut du classement MSCR permet difficilement d’identifier les arbres à grand risque de mourir. Par ailleurs, certains arbres classés R (arbre d’avenir en réserve) ont affiché un taux élevé de mortalité (31,7 % sur 25 ans), même si le dépérissement n’est présent que sur une faible proportion du houppier (11 à 25 %). Pour mieux gérer les arbres en fonction de leur risque de mortalité, il faut accorder une plus haute priorité aux signes de dépérissement du houppier et à la qualité de la bille de pied. De plus, pour simplifier le travail d’évaluation et réduire les coûts de préparation des coupes partielles, on peut restreindre ces classements aux essences de grande valeur, soit généralement l’érable à sucre et le bouleau jaune, parfois aussi les épinettes. La gestion du risque pour la plupart des autres essences pourrait très bien se faire en établissant seulement un seuil de DHP selon l’essence. Néanmoins, d’autres éléments doivent être pris en compte au moment de préparer le diagnostic et la prescription sylvicoles, comme la structure du peuplement, la qualité actuelle et future des arbres (leur valeur), ainsi que les effets de la coupe partielle sur la croissance des arbres résiduels et sur la régénération.

Finalement, une mise en garde doit être faite : ces recommandations ne s’appliquent pas à une situation résultant d’une perturbation naturelle affectant les houppiers de l’ensemble du peuplement, comme un verglas ou une épidémie d’insectes. En effet, les balises présentées ici pourraient être trop sévères dans de telles situations.

 

 

Conclusion

Ce résumé des connaissances présente une façon simple et efficace d’évaluer le risque de mortalité au moment de préparer le diagnostic et la prescription dans des peuplements à dominance de feuillus durs. Il faudrait maintenant évaluer les économies qui pourraient être réalisées en utilisant cette méthode, de même que les bénéfices au niveau de la performance des prescriptions sylvicoles.

 



 

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