Le nerprun est un arbuste qui se développe rapidement. Si l’on veut freiner un front d’envahissement dans son boisé, il faut agir tout aussi rapidement. Plus nous agissons vite, plus nous avons d’options à notre disposition. Cet article vous présente les différentes techniques applicables en fonction de la densité et de la couverture du nerprun, ainsi que du type de terrain.
Le nerprun est bien installé au Québec. Il a très peu d’agents biologiques, tels des prédateurs, des parasites ou des maladies, pour contrôler son développement et ses populations. Il est irréaliste de penser que nous pourrons l’éradiquer complètement de nos forêts. En contrepartie, il faut trouver des stratégies pour permettre aux espèces indigènes, fauniques et floristiques de maintenir leur place dans les écosystèmes, et pour conserver une productivité forestière intéressante.
Éviter de disséminer le nerprun
Bien que les oiseaux soient le principal vecteur de dispersion des graines sur de grandes distances, les activités humaines ne sont pas sans conséquence. Le nerprun produit un grand nombre de fruits d’une taille parfaite pour s’incruster dans les semelles de bottes. Les fruits peuvent aussi voyager par l’entremise des roues de l’équipement d’excavation, de la machinerie forestière et des véhicules hors routes récréatifs. Il faut donc inspecter nos chaussures, les équipements et les véhicules, et procéder à leur nettoyage le cas échéant.
Éliminer un maximum de nerprun
À ce jour, il n’existe pas de solution miracle. Le nerprun est une plante très compétitive. Pour permettre à une régénération de s’installer, il faut contrôler le développement du nerprun suffisamment longtemps pour que les arbres le surpassent. Pour ce qui est des plantes de sous-bois, la tâche est tout aussi ardue, car le nerprun affecte autant la survie et la croissance des jeunes arbres que celles de la strate herbacée.
Technique 1 : l’arrachage
Arracher le nerprun est une technique très efficace. L’arrachage est réalisable sur de petites superficies ayant une faible densité de nerprun. Les petits plants s’arrachent facilement à la main, surtout au printemps ou à la suite d’une pluie d’été. En début de saison, le sol est meuble et le nerprun n’a pas encore recréé son réseau de racines fines. Pour les plus grosses tiges, des outils à déraciner, généralement à effet de levier, ont été développés pour faciliter le travail.
Technique 2 : la coupe
Bien que le nerprun soit stimulé par la coupe en générant un grand nombre de rejets, cette technique demeure efficace sur une courte durée. Une coupe répétée aux deux ans pour dégager les arbres d’une plantation sur une période variant de six à dix ans selon le site peut assurer la libre croissance des plants. Le meilleur moment pour débroussailler est entre juillet et septembre. De façon générale, l’eau est plus limitante à ce moment ce qui réduit les capacités de reprise du nerprun. De plus, c’est à ce moment que les plantes accumulent des réserves dans les racines. À l’opposé, la coupe forcera le nerprun à utiliser ses réserves pour créer des rejets.
Une coupe réalisée à deux ou trois reprises durant une même saison de croissance, et ce, pendant deux ou trois années consécutives pourrait affaiblir la vigueur des tiges, sans toutefois les tuer. Dans un tel cas, le cycle de coupe doit débuter en juin. Cette technique a été appliquée pour contrer le nerprun bourdaine en sous-étage d’une pinède blanche au cours des deux années précédant les traitements sylvicoles au New Hampshire. La densité de la plante avait diminué et sa hauteur moyenne était moindre après trois ans. En réponse au contrôle du nerprun, une augmentation de la densité des semis de pins blancs et de leur hauteur moyenne a été observée. La coupe répétée s’avère énergivore et onéreuse pour combattre le nerprun d’autant plus si la superficie est grande. Par contre, il serait intéressant de tester cette technique dans différentes conditions de peuplements au Québec.
Technique 3 : les pesticides chimiques
L’utilisation de pesticides chimiques est une technique controversée, mais elle demeure l’option la plus efficace pour contrer le nerprun. De plus, c’est un moyen opérationnel de traiter une grande superficie. Toutefois, des enjeux limitent son utilisation en forêt. D’abord, l’acceptabilité sociale est importante dans un contexte de boisé privé. Or, l’emploi d’un phytocide chimique en milieu naturel est critiqué. Ensuite, une réglementation encadre l’utilisation des pesticides autant chimiques que biologiques. L’usage des pesticides en milieu forestier est ainsi réservé à des entreprises et à des personnes qualifiées titulaires de permis et de certificats valides et dédiés aux aires forestières. Nombre d’entreprises et d’employés n’ont pas renouvelé leur certification par manque de demande pour cette activité au fil des dernières décennies. Il faut savoir qu’un propriétaire forestier peut suivre la formation et obtenir les qualifications pour l’usage des pesticides dans son propre boisé.
Le phytocide le plus utilisé en forêt est fabriqué à base de glyphosate. Cette substance est absorbée par les feuilles actives et transportée jusqu’aux racines. Elle bloque l’absorption racinaire, ce qui tue la plante rapidement. Il faut se rappeler que le nerprun conserve ses feuilles très tard en saison et qu’elles restent actives pour la photosynthèse jusqu’à la mi-octobre. En somme, appliquer l’herbicide en septembre protège la majorité des plantes indigènes, car elles ont amorcé leur processus de dormance par opposition au nerprun. De plus, la grande activité biologique des sols forestiers rend le pesticide peu persistant dans l’environnement. Ce sont donc deux raisons qui minimisent les impacts environnementaux.
L’application d’herbicides chimiques peut se faire en utilisant un pulvérisateur à dos. Cela a pour avantage de permettre un grand contrôle de la pulvérisation. On peut ainsi cibler les tiges de nerprun et protéger les autres plantes et arbustes. Par contre, un pulvérisateur installé sur un équipement motorisé est plus fonctionnel pour traiter de grandes superficies.
Nous considérons le traitement aux phytocides chimiques comme une option à considérer dans les cas d’envahissement majeurs. Cela peut sembler extrême, mais le nerprun a effectivement un impact extrême sur le milieu forestier. Un bosquet dense de nerprun empêche l’installation et la croissance de toute végétation. Le nerprun compromet ainsi la succession naturelle des peuplements et la biodiversité des forêts. L’usage de phytocide chimique est une méthode des plus efficaces pour tuer le nerprun et pour briser le cycle d’envahissement. La banque de semences du nerprun reste présente, mais les semis issus de cette dernière seront moins agressifs, car ils ne sont pas alimentés par un réseau racinaire développé, tels les rejets. Ils seront plus facilement contrôlables. En forêt fermée, une seule application pourrait être suffisante. Dans une plantation d’épinettes blanches, deux à trois pulvérisations, selon les cas, pourraient être nécessaires sur un cycle d’une soixantaine d’années.
« Lorsque les semis sont encore petits, ils peuvent être arrachés à la main […]. Les jeunes plants et les petits arbres peuvent être coupés, mais cela ne détruira pas la plante, car les tiges produiront une grande quantité de rejets. L’application d’un herbicide sur les tiges coupées est donc nécessaire. »
Conservation de la nature Canada
Technique 4 : les pesticides biologiques
Un premier produit biologique a été homologué à l’automne 2020 pour contrôler le nerprun. L’ingrédient actif de cet herbicide est un champignon nommé Chondrostereum purpureum. Il s’agit d’un champignon indigène au Québec. Il n’y a donc pas de risques associés à l’introduction d’une nouvelle espèce. D’ailleurs, ce produit est homologué depuis plusieurs années pour contrôler la végétation feuillue sous les lignes électriques. Ce qui est nouveau, c’est que l’efficacité du produit a été démontrée sur le nerprun. Le produit est actuellement disponible en précommande (mars 2021).
Le pesticide sera vendu sous la forme d’une pâte dont l’ingrédient actif est sous forme de filament mycélien. Il doit être appliqué sur une souche fraîchement coupée ou annelée. L’application peut se faire par badigeonnage directement avec la bouteille compressible ou à l’aide d’un pinceau. L’application doit être réalisée entre la mi-juin à la mi-juillet sous une température inférieure à 30oC et idéalement sous un couvert forestier. Une température chaude ou une exposition au soleil pourrait inhiber le développement du champignon. Une averse dans les 48 heures suivant le badigeonnage dilue l’agent actif et compromet fortement le traitement.
Lors des tests pour l’homologation, entre 81 et 100 % des tiges sont mortes dans les 24 mois suivant l’application. Trois mois après l’application, les souches contenaient moins de rejets et leurs tailles étaient moindres. Les feuilles étaient nécrosées et la maladie du plomb se développait (feuille argentée).
L’herbicide biologique ne traite pas les semis issus de la banque de semences. Une réplique du traitement peut s’avérer nécessaire quelques années suivant l’application initiale.
Cette technique est très efficace, mais son applicabilité est restreinte. Il est envisageable de traiter le nerprun présent en faible densité ou sur un territoire restreint ou en territoire urbain. Pour une grande densité ou superficie, l’application par badigeonnage de souches ou de la zone annelée n’est pas vraiment opérationnelle. C’est pourquoi la recherche doit se poursuivre afin d’améliorer les techniques d’application.
Faire de la sylviculture en présence de nerprun
Malgré nos actions pour contrôler le nerprun, il sera impossible d’éliminer complètement cette espèce. Il faut apprendre à vivre en sa présence dans les boisés. Les connaissances acquises sur le nerprun en lien avec la sylviculture sont fragmentaires. Cependant, nous n’avons pas le loisir d’attendre des certitudes, car l’avancée du nerprun est importante. Il faut faire les choses autrement, expérimenter et adopter des approches innovantes. Nous savons que le développement et la croissance du nerprun sont stimulés par la lumière. Il est donc important de porter une attention aux travaux créant des ouvertures dans le couvert forestier. Cela signifie que toute récolte forestière ou création de chemin peut le favoriser. Le nerprun est aussi stimulé par la préparation de terrain. Perturber le sol et exposer les semences de nerprun facilitent l’implantation de semis. La coupe de la plante active la formation des rejets de souches nombreux et à forte croissance.
Arrêter toute mise en valeur en forêt n’est pas la solution, cela ne ferait que retarder ou déplacer le problème. Il faut plutôt adapter nos pratiques sylvicoles pour maintenir le nerprun à un seuil acceptable.
Adaptation 1 : la compétition
Le nerprun est un farouche compétiteur, mais selon des observations sur le terrain, diverses espèces indigènes peuvent compétitionner contre lui. Parmi celles-ci, on note les peupliers, les framboisiers, certains arbustes comme le sureau et certaines herbacées comme la verge d’or. La présence de ces végétaux assure une pression sur le nerprun lors de la germination des graines ou opprime les jeunes tiges de nerprun nuisant ainsi à leur croissance. Ces végétaux peuvent ainsi grandement faciliter le contrôle de l’espèce, en complément avec les actions humaines de lutte. En plus, cette option est viable à long terme et sur de grandes superficies.
Il est donc suggéré de conserver ces compétiteurs naturels lors de méthodes de lutte contre le nerprun. Par exemple, si on arrache, débroussaille ou répand un pesticide pour contrer le nerprun, on préserve les plantes indigènes présentes. Si ces dernières sont absentes, il est possible d’en introduire. On peut envisager le reboisement d’essences feuillues et résineuses, l’introduction d’arbustes et/ou l’utilisation de mélanges de semences pour restaurer une parcelle.
Prenons l’exemple du peuplier. Par sa croissance rapide, le peuplier semble un allié à la lutte au nerprun. Cette essence a une grande capacité de se reproduire par drageons suite à une récolte en saison hivernale. Ainsi, il crée rapidement un couvert forestier pouvant nuire à la croissance de l’envahisseur. Sinon, en plantation, le peuplier hybride peut s’avérer une option pour reconstituer rapidement un couvert forestier. À la première éclaircie de plantation, il pourrait être judicieux d’enrichir avec des essences longévives comme des feuillus nobles, assurant ainsi un couvert forestier permanent par la suite. Bien que le peuplier nuise à la croissance du nerprun, ce dernier demeure en sous-étage en attente de lumière. Il est donc crucial de maîtriser le nerprun avant tout traitement sylvicole qui ouvrira la canopée.
Adaptation 2 : une sylviculture adaptée
Il est important d’adopter une stratégie sylvicole qui maintient ou génère de l’ombre dans les peuplements forestiers. Pour ce faire, on peut choisir de réduire le taux de prélèvement, d’allonger la rotation entre deux récoltes et parfois, de ne faire aucune intervention sur une longue période. Ces options permettent de conserver une surface terrière élevée moins favorable au déploiement du nerprun. Il est également de mise de favoriser le maintien ou l’établissement de peuplements inéquiennes — arbres appartenant à plusieurs classes d’âge, de hauteur et de diamètre différents. L’aménagement de ces peuplements permet d’éviter le recours à la coupe totale ; cette dernière créant les conditions parfaites pour l’envahissement du nerprun. L’enrichissement des trouées est également une avenue pour augmenter la densité d’un peuplement. La mise en terre d’arbres assure une cohorte de tiges en compétition avec le nerprun. Il faudra fort probablement dégager les plants de la concurrence du nerprun, mais tout en veillant à conserver la végétation indigène basse non nuisible.
Même si les zones riches constituées d’érables à sucre semblent moins propices à la prolifération du nerprun, elles n’en sont pas exclues. Il suffit d’une perturbation naturelle (verglas) ou anthropique (coupe partielle) pour créer des trouées favorables à l’établissement du nerprun d’autant plus si la plante est déjà présente à proximité du peuplement feuillu. La préservation de la végétation indigène (herbacées, arbustes, gaules et semis d’arbres) dans les strates inférieures s’avère cruciale pour conserver l’ombrage au sol et pour nuire à la germination des graines de nerprun et à la croissance des semis. C’est aussi bénéfique pour l’équilibre et la santé à long terme de l’érablière sous production acéricole.
Réflexion sur le contrôle du nerprun
La gestion du nerprun n’est pas une tâche aisée. La persévérance et l’assiduité dans les actions de lutte et de suivi sont des gages de réussite. Un objectif réaliste est de maintenir sa distribution à un niveau permettant le développement des arbres et des strates herbacées et arbustives.
Ainsi, il est important de tenir compte de la présence du nerprun dans toute la séquence des traitements sylvicoles planifiés dans le temps pour un peuplement ; de maîtriser la plante en appliquant des actions de lutte tout au long de la réalisation du scénario sylvicole, et ce, même sous couvert forestier ; de planifier une stratégie de restauration de la végétation indigène (reboisement, enrichissement, ensemencement) et de la mettre en œuvre rapidement. Ces actions peuvent permettre de contenir le nerprun. Sinon, une parcelle peut devenir rapidement envahie et on peut se retrouver avec une superficie forestière non productive.
En résumé, l’élément le plus important dans la lutte contre le nerprun est de détecter sa présence le plus tôt possible dans son boisé. Plus on agit rapidement, plus on a d’options à notre disposition. Ensuite, il faut adapter nos stratégies sylvicoles sans tarder.
Autres techniques à expérimenter
L’apprentissage de la sylviculture en présence du nerprun n’en est qu’à ses débuts. Très peu d’études ont porté sur ce concept. Néanmoins, les professionnels forestiers font des observations intéressantes régulièrement. Sur un site, on a observé des nerpruns cassés ou blessés au-dessus d’une branche présentant une contamination à un champignon, Nectrina cinnabarina. Certains d’entre eux étaient d’ailleurs morts. Comme les blessures sont des portes d’entrée aux pathogènes, une coupe en hauteur du nerprun pourrait l’affaiblir. De plus, la quantité de rejets pourrait être moindre avec une coupe en hauteur laissant des branches vivantes. Les rejets produits pourraient être plus fragiles aux intempéries et aux blessures conséquentes propices à la colonisation de pathogènes.
Le meilleur moment pour une telle coupe serait en été. Il pourrait s’avérer propice de procéder à une deuxième coupe au cours de la même saison, soit suite à la production de rejets, et ce, pour affaiblir encore davantage le nerprun.
Guide de gestion sur le nerprun bourdaine pour les propriétaires forestiers
L’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie a récemment rédigé un guide sur le nerprun bourdaine. Ce dernier aborde en profondeur les sujets suivants : identification du nerprun, stratégie d’envahissement et préjudices sur le boisé. Le guide présente également les principales méthodes pour contrer le nerprun ainsi qu’une méthode de planification de la lutte au nerprun.
Le guide est disponible sur le site Internet de l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie au www.agenceestrie.qc.ca.
Où trouve-t-on un outil pour arracher le nerprun?
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Mélanie Bergeron : melanie@afsq.org
Marie-Josée Martel : mj.martel@abacom.com