Construire une traverse efficace et en accord avec l'environnement (partie 2)


En début d’année, vous avez pu lire dans le Progrès Forestier un résumé des bonnes techniques pour traverser de façon temporaire des cours d’eau lors de travaux de courte durée. Dans cette deuxième partie, nous explorerons la conception des traverses permanentes qui vous permettront d’avoir accès à l’ensemble de votre terrain en minimisant les risques pour l’environnement. 


 

Cours d’eau et circulation

Les cours d’eau sont des milieux sensibles. Leur qualité dépend en grande partie de l’environnement qui les entoure, mais aussi des activités qui s’y déroulent. La circulation de véhicules légers ou lourds pourrait grandement affecter un cours d’eau et conséquemment le boisé environnant. La conception d’une traverse adéquate protégera le cours d’eau, augmentera la durabilité de la structure et réduira les coûts globaux à long terme.

Lorsqu’on parle de cours d’eau, on fait référence à toute masse d’eau qui s’écoule dans un lit naturel. Cela peut être régulier, on parle alors de cours d’eau permanents. L’eau peut aussi s’écouler de façon intermittente dans l’année. Dans un cas comme dans l’autre, il est important de protéger les rives et le cours d’eau, car ils abritent une grande diversité faunique et floristique. De plus, les cours d’eau envoient plus loin les surplus d’eau, ce qui favorise un meilleur drainage des forêts. Par exemple, un ponceau inadéquat ou obstrué pourrait créer un milieu humide sur votre propriété. 

 

Comment des aménagements pourraient affecter la survie du poisson

Le poisson est un animal plutôt sensible aux perturbations de son environnement, en particulier certaines espèces comme l’omble de fontaine. Un des premiers problèmes est les sédiments dans l’eau. Lorsqu’ils sont en suspension, ils peuvent occasionner des problèmes respiratoires en irritant les branchies. Les sédiments réduisent la visibilité, ce qui a pour conséquence de réduire le déplacement des poissons et par le fait même, de nuire à leur alimentation. Les sédiments peuvent aussi se déposer au fond des cours d’eau réduisant la disponibilité de larves d’insectes, une source alimentaire importante pour plusieurs poissons. Si ces sédiments se déposent dans une frayère, les œufs et les alevins enfouis dans le gravier ne pourront plus s’oxygéner adéquatement et pourraient mourir.

 

 

Tout passage directement dans le cours d’eau crée des perturbations. Pensons aux sédiments qui sont brassés par de simples pas dans le lit d’un ruisseau. Les sédiments peuvent s’accumuler dû à différents facteurs, en voici des exemples : circulation dans le cours d’eau, modification du cours d’eau (largeur, profondeur, écoulement...), modification des berges (déboisement, compaction...), traverses ou berges mal stabilisées et plus encore. 

 

Identifier l’habitat du poisson

Même si vous ne parvenez pas à voir de poissons, ceux-ci peuvent utiliser votre cours d’eau ne serait-ce que pour se déplacer entre deux zones, pour s’alimenter ou se reproduire. Recherchez donc des obstacles naturels permanents qui pourraient empêcher le passage des poissons, et ce, 250 m en amont et 500 m en aval de la position désirée de votre traverse. Ces obstacles peuvent être une chute importante ou une longue section de roche mère lisse et pentue. S’il n’y en a pas, il est de mise de considérer le cours d’eau comme un habitat pour le poisson. 

En présence de poisson, il ne faut pas créer d’obstacles à la circulation de ce dernier. Voici quelques règles à suivre : 

  • Ne pas modifier l’élévation du cours d’eau pour créer un obstacle infranchissable ou une chute dangereuse; 

  • Ne pas utiliser de géotextile au fond du cours d’eau, il pourrait se déplacer et créer un obstacle;

  • Ne pas créer de vitesse excessive d’écoulement des eaux, et ce, en suivant la pente naturelle du cours d’eau et en ne réduisant pas trop la largeur de ce dernier (débit maximum de 1,2 m par seconde);

  • Ne pas réduire la profondeur d’eau en la rendant insuffisante au passage du poisson (minimum 10 cm);

  • Éviter de faire des travaux pendant les périodes de fraie ou de montaison des poissons (généralement printemps et automne).

 


Les ponts et les arches sont de bonnes solutions, car ils maintiennent les conditions naturelles d’écoulement. 


 

 

Choisir l’emplacement idéal

D’abord, s’il est possible d’éviter de traverser un cours d’eau, c’est l’idéal. Sinon, le choix du lieu est primordial. Cela réduira les frais de construction et d’entretien tout comme les risques pour l’environnement. Voici quelques règles de base à respecter : 

  • Sélectionner une zone du cours d’eau rectiligne et étroite où vous pourrez traverser perpendiculairement à ce dernier;

  • Prioriser des rives au sol sec et stable, et éviter les milieux humides;

  • Éviter les pentes fortes et les coulées profondes;

  • Prioriser les secteurs déjà altérés comme des zones agricoles ou déboisées;

  • Placer la structure en aval d’une frayère, le plus loin possible, idéalement à plus de 100 m;

  • Éviter les secteurs fréquentés par le castor, soit les zones de feuillus de lumière (peuplier faux-tremble et bouleau blanc);

  • Définir un trajet de sentier qui minimisera le nombre de cours d’eau à traverser.

 

Choisir le type de structure

Pour faire un choix avisé, il faut au préalable bien définir ses besoins : largueur, capacité portante, durée, fréquence et période d’utilisation.  La durée de vie de la structure devrait être équivalente à la durée de vie des matériaux employés.

Sachez qu’il existe deux types de structures : temporaires et permanentes. Toutes deux peuvent supporter le poids de machineries lourdes. Les structures temporaires sont à préconiser si vous prévoyez utiliser cet accès sur une courte période uniquement. Les coûts sont avantageux. De plus, en retirant les traverses après usage, aucun entretien n’est nécessaire et il n’y a pas de risque d’érosion ultérieur. Pour en savoir plus, consultez le Progrès Forestier de l’hiver 2019.

La traverse choisie doit aussi répondre aux caractéristiques du cours d’eau en terme de largeur, de débit et de sensibilité du site. 

 

Largeur

  • La structure doit avoir une largeur minimale de 45 cm (1’6“).

  • La largeur doit permettre l’écoulement des eaux même en période de crue.

  • Un ponceau de type tuyau ne doit pas rétrécir le cours d’eau de plus de 20 % en tout temps.

  • Les ponts ou les ponceaux à arche ne doivent pas faire rétrécir le cours d’eau.

Débit

En présence d’un fort débit, il faut prévoir une structure plus grande que normale pour éviter que celle-ci ne soit abîmée lors de grandes crues.

Sensibilité

Lorsque le lit du cours d’eau est sensible, l’on préconise des structures sans fond, par exemple, des ponts ou des ponceaux à arche. 

 

Ponceau permanent 

Les traverses permanentes comptent des ponts et des ponceaux. Par contre, cette section n’abordera que les ponceaux étant donné que les ponts sont très dispendieux et généralement utilisés pour franchir des rivières de 10 m (32’) et plus de largueur, ce qui est rare en forêt privée. Vous pouvez néanmoins en savoir plus sur les ponts dans les références citées à la fin de l’article.

 

Ponceaux principaux

Ponceau simple 

  • Structure utilisée pour les cours d’eau de moins de 3 m (10’) de largeur.

  • Tuyau installé au fond d’un cours d’eau et recouvert de remblai.

  • Tuyau de plastique (davantage flexible) ou d’acier galvanisé (plus rigide).

À surveiller : Les tuyaux en plastique demandent une installation particulièrement soignée pour assurer la stabilité et la durabilité du ponceau.

 

 

Ponceau à tuyaux parallèles

  • Structure utilisée pour les cours d’eau de 3 à 10 m (10’ à 32’) de large.

  • Deux tuyaux installés parallèlement et espacés d’un mètre (l’espace entre les deux sert à compacter le matériel de remblai).

Avantage : évite d’utiliser un immense tuyau et une grande épaisseur de remblai, ce qui augmenterait les risques d’érosion.

 

 

Taille du tuyau

Largeur

Il faut en premier lieu déterminer la ligne naturelle des hautes eaux. Il s’agit de la limite où la végétation dominante devient des plantes terrestres et non des plantes aquatiques. La distance entre ces deux lignes imaginaires sera la référence. Le ponceau doit avoir un diamètre minimum équivalent à 80 % de la largeur des hautes eaux. Si vous optez pour deux tuyaux, le diamètre minimal de chacun deux sera équivalent à 80 % de la largeur des hautes eaux moins 1 m (3’3“) divisé par deux. Peu importe le calcul, sachez qu’aucun tuyau ne doit avoir moins de 45 cm (1’6“) de diamètre.

Longueur

La longueur du tuyau devrait correspondre à la largeur du chemin, plus l’épaisseur utilisée par le remblai ainsi qu’un dépassement de 30 cm de part et d’autre.

 

 

Quand installer la structure

Il faut d’abord éviter les périodes de reproduction des poissons qui sont généralement au printemps et à l’automne. Ensuite, un bon choix est la période d’étiage, soit la période où l’eau est en moyenne à son niveau le plus bas. Cela se situe plus ou moins à la fin du printemps et à la fin de l’été. Ce faisant les risques d’érosion et de dépôt de sédiments sont moindres. Il sera aussi plus facile d’assécher la zone temporairement pour créer la structure. Enfin, il ne faut pas commencer les travaux pendant ou après une pluie. Il faut attendre que le sol soit sec et stable. 

Notez qu’il n’est pas possible de construire une traverse permanente en hiver. Il faut utiliser une structure temporaire ou reporter les travaux à une autre saison. 

 

Le secret d’un projet réussi

Le secret est dans la planification. Il existe des lois quant à la qualité des eaux et la protection des berges. Il est important de vous renseigner auprès de votre municipalité ou de votre MRC, car elles ont la tâche d’établir des règlements pour maintenir l’intégrité de ces éléments. Ensuite, n’hésitez pas à faire appel à un conseiller forestier. Ils ont les connaissances et l’expérience nécessaires pour vous éviter bien des soucis. 

Une structure bien conçue et bien construite répondra exactement à vos besoins, sera durable et protégera votre forêt. 

 

Préparer l’approche d’une structure permanente

Il faut protéger au maximum le cours d’eau d’apports en sédiments. Si votre chemin comporte des fossés, il faut détourner l’eau de ceux-ci vers le boisé à une distance minimale de 20 m (65’7“) du cours d’eau. L’eau sera ainsi filtrée par la végétation avant d’arriver au cours d’eau. Ensuite, il faut porter une attention particulière à la bande riveraine (20 m de part et d’autre du rivage). Normalement, il n’est pas permis de récolter une grande quantité d’arbres dans cette bande pour conserver son effet filtrant. Comme il sera nécessaire de récolter tous les arbres à proximité du chemin, vous devez laisser en contrepartie toutes les souches et la végétation basse qui ne sera pas directement dans le tracé du chemin. Vous devez aussi limiter la circulation de la machinerie dans cette zone à la largeur de la surface de roulement. Puis, vous ne devez pas y prélever de matériel de remplissage pour l’éventuelle traverse. 

 

 

Installation

Voici quelques indications générales à respecter lors de l’installation d’un ponceau. 

Mise en place

Objectifs : assurer la stabilité et la durabilité du ponceau ainsi que le libre passage des poissons. 

  • Déposer le ponceau sur un sol stable composé de gravier et de sable dans l’axe du cours d’eau.

  • Suivre la pente naturelle; on ne veut pas de chute à la sortie.

  • Enfouir au minimum 10 % de la hauteur du ponceau pour recréer le lit naturel du cours d’eau et réduire l’abrasion du ponceau par les roches.

Remblayage

Objectif : assurer la bonne capacité portante du ponceau. 

  • Utiliser du sable ou du gravier fin à titre de remblai.

  • Utiliser une épaisseur minimale de gravier de 30 cm (1’) au-dessus du ponceau. 

  • Disposer en alternance des couches de 15 à 30 cm (6“ à 1’) de remblais de chaque côté du ponceau. 

  • Bien compacter entre chaque couche.

L’épaisseur nécessaire de remblai varie selon la taille du ponceau, son matériel, sa forme ainsi que les charges qu’il aura à supporter. Par exemple, un tuyau de 60 cm (2’) et moins devra avoir minimalement 30 cm (1’) de remblai alors que pour un tuyau de plus de 3,6 m (12’), ce sera au moins 1,5 m (5’) de remblai. 

Stabilisation des extrémités

Objectifs : prévenir l’érosion du remblai, l’apport de sédiment et assurer la durabilité de la structure.

  • Disposer, sur une membrane en géotextile, des roches de différentes grosseurs sur les côtés des extrémité du ponceau, et ce, jusqu’à 85 % de la hauteur de ce dernier.

  • Ensemencer le haut du talus avec des plantes herbacées. 

  • Planter au besoin des arbustes.

Entretien du ponceau

Il ne faut pas négliger l’entretien des traverses permanentes. Cela assure leur durabilité et protège l’environnement. Pour ce faire, visitez régulièrement vos installations pour déceler les problèmes. S’il y a des obstructions, retirez les débris. Si vous observez de l’érosion, corrigez rapidement la situation en améliorant la stabilité des extrémités.

Si des castors affectionnent particulièrement vos structures, sachez qu’il est possible de construire des protections (voir le Progrès Forestier de l’automne 2018). 

 

Autres structures possibles

Il existe d’autres structures que les ponceaux, tels les arches et les ponts. On les voit moins fréquemment en forêt privée, mais elles offrent plusieurs avantages. Comme elles s’appuient sur les rives, elles ne modifient pas le lit du cours d’eau, ne créent pas de gêne pour le poisson et réduisent les risques de sédiments dans l’eau. Les ponts sont la seule option pour les cours d’eau de 10 m (32’) et plus. Ils peuvent offrir un bon dégagement vertical sous la structure et cela est nécessaire s’il s’agit d’une voie navigable. En contrepartie, les ponts sont plus coûteux. Pour ce qui est de l’arche, son prix final est semblable à celui d’un ponceau. Le coût à l’achat est supérieur, mais l’installation est moins coûteuse. 

 

 


En savoir plus

Plusieurs documents ont été utilisés pour la rédaction du texte ou cités dans celui-ci. Vous les trouverez tous à l’adresse : https://www.afsq.org/fr/trouver-de-linformation

 

 

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