Comment mettre en valeur les érablières rouges issues de rejets de souches ? - Partie 1 : Problématique, fondements et potentiel d'avenir


L’Agence forestière des Bois-Francs (AFBF) développe un projet original de mise en valeur des peuplements d’érable rouge à tiges multiples issus de coupes partielles ou totales. L’objectif est de formuler des recommandations claires pour guider le sylviculteur dans l’élaboration de prescriptions adaptées à l’âge, à l’état de santé et à la position de la tige d’érable dans le bouquet.


 

Les érables rouges en bouquet sont formés de troncs fusionnés à la base et se séparant à moins de 1,3 m du sol. Ces tiges sont apparemment des arbres différents, mais elles proviennent plutôt de rejets de souche qui sont des copies conformes de l’érable coupé. L’ensemble des brins sur une souche forme une cépée, un an après la coupe. Les cépées se développent pour former un taillis. Les taillis abandonnés depuis plus de 30 ans deviennent des futaies sur souches. 

Sans soin approprié, les bouquets d’érable rouge deviennent défectueux avec l’âge. Les futaies sur souches d’érable rouge sont devenues un véritable casse-tête pour le sylviculteur soucieux d’améliorer les peuplements, d’accroître la vigueur des arbres et la valeur des produits dérivés du bois lors de la coupe finale.

Ce premier article d’une série de deux jette un regard nouveau sur l’origine des arbres en bouquet et le processus de dégradation prématurée du bois. Ces fondements sont essentiels pour prévenir ou atténuer les effets indésirables et le cas échéant, pour sélectionner et dégager les tiges ayant le meilleur potentiel d’avenir. 

L’éclaircie des taillis et des futaies sur souches a pour but de stimuler la croissance des tiges ayant les meilleures chances de produire des arbres de qualité. Cet aspect sera abordé dans le second article qui paraîtra dans un prochain numéro.

 

Problématique 

Une longue histoire de coupes forestières a rendu la situation préoccupante surtout dans la plaine du fleuve Saint-Laurent. L’érable rouge prend désormais une place prépondérante dans les peuplements occupant les basses-terres. Il domine le paysage du Centre-du-Québec en occupant 40 % de la superficie forestière, soit près du tiers (31,6 %) de tout le volume de bois sur pied. La prolifération des rejets d’érable rouge après la coupe est un défi tout aussi complexe à gérer que l’envahissement des drageons de hêtre dans les érablières.

L’érable rouge pousse bien sur les dépôts marins de nature sableuse, moyennement drainés ou bien drainés. Il s’adapte à des conditions de site temporairement défavorables et tire avantage de la faible disponibilité des ressources, comme la lumière, l’eau et l’azote du sol, qu’il utilise avec efficience. Cette essence profite des perturbations pour s’étendre et s’établir, mais elle peut s’installer durablement sur les stations les plus fertiles, au détriment des autres feuillus nobles comme le bouleau jaune et l’érable à sucre. 

En moins d’une décennie après une coupe partielle, les bouquets denses d’érable rouge remplissent tout l’espace de croissance précédemment utilisé par une autre espèce. Les coupes partielles successives des plus beaux arbres de l’étage supérieur du couvert forestier réduisent la mortalité des érables rouges dans les étages inférieurs, de sorte que leur nombre peut doubler voire tripler en 30 ans. L’érable rouge accède alors à l’étage supérieur du couvert et y demeure dominant pendant longtemps. 

 

Une essence sensible

L’érable rouge est sujet aux infections d’agents pathogènes causant les chancres et la carie du bois. Il est enclin à développer de multiples défauts à l’origine de la coloration noire du cœur. Les futaies sur souches sont devenues un problème en raison de la piètre qualité des tiges et de l’incidence élevée de la carie dépréciant la valeur du bois. 

La carie se développe d’abord dans la souche pour se propager ensuite à la base des rejets latéraux qui sont les premiers à disparaître par autoéclaircie au cours de la première décennie après la coupe. Les tiges mortes laissent des moignons au pourtour de la souche. Plus tard, les moignons deviennent la principale source d’infection. La carie se transmet à retardement aux tiges voisines dans les vieux bouquets d’érable rouge de plus de 30 ans. La souche pourrit avec le temps laissant aux rejets survivants une cicatrice de pied en forme d’ogive du côté attenant à la souche disparue (Figure 1). Les tiges en bouquet de dimensions commerciales renferment un faible volume de bois de sciage si elles sont laissées-pour-compte. 

 

 

Fondements anatomiques à l’origine des rejets 

Les bourgeons dormants se forment chaque année sous l’écorce du tronc et s’allongent de 1 ou 2 mm par an, au fur et à mesure que l’arbre croît en diamètre. Ils sont sertis dans l’aubier et pointent dans l’écorce, juste sous la surface. Avec les années, ils se dédoublent à l’intérieur de l’arbre. Leur nombre augmente avec le diamètre du tronc, et pour la plupart, ils sont interconnectés jusqu’au cœur de l’arbre. Les bourgeons dormants sont nombreux au pied, à moins de 15 cm de hauteur, et sont à l’origine des rejets du pied et du collet. Les rejets du collet ou du pied se distinguent des pousses latérales sur le plan physiologique, bien qu’ils apparaissent à peu près au même moment sur la souche des arbres coupés.

Les bourgeons adventifs se forment spontanément un an après la coupe pour générer des rejets latéraux sur les souches d’érable. Ils naissent du cambium et de l’écorce interne et se développent sans tarder à l’arête de la souche ou à plus de 15 cm de hauteur (Figure 2). Leur nombre et leur croissance augmentent avec la hauteur de la souche et le périmètre du cambium. Pour plusieurs raisons, les bourgeons adventifs sont inaptes à produire des tiges viables chez la plupart des feuillus.

 

 

Ce qu’il faut savoir

Les rejets du pied ou du collet ont de meilleures chances que les rejets latéraux de générer des tiges viables dans les peuplements d’érable rouge de seconde venue.

 

Propension naturelle à produire des rejets

L’érable rouge figure parmi les feuillus nordiques les plus prolifiques dans toute son aire de distribution (Tableau 1). Le nombre de rejets et leur croissance augmentent avec le diamètre de la souche pour atteindre un plateau autour de 23 à 30 cm et décroître peu à peu sur celles de 40 cm ou plus. Le nombre de rejets par souche ne varie pas selon la qualité de la station, mais la croissance en hauteur des tiges est fortement stimulée si les racines du pied-mère profitent d’un sol fertile. 

 

 

La croissance indéterminée de l’érable rouge signifie que les ramilles s’allongent en continu, du printemps jusqu’à la chute des feuilles en automne. Cette caractéristique est un avantage opérationnel au service du sylviculteur soucieux de maîtriser la repousse après la coupe. Elle offre une large fenêtre d’intervention d’environ 85 jours, de juin à la mi-août, afin de réduire le nombre et la vigueur des rejets. À l’opposé, la coupe des érables rouges pendant la période de dormance stimule la poussée de rejets et leur procure un net avantage concurrentiel le printemps suivant. L’effet saisonnier sur la croissance différentielle des rejets s’estompe après deux ou trois saisons de végétation et il disparaît complètement après une dizaine d’années.

 

Ce qu’il faut considérer

Maîtriser à court terme les rejets d’érable rouge après une éclaircie est utile si le sylviculteur désire enrichir le peuplement avec des plants de feuillus nobles et de pins blancs.

 

Potentiel d’avenir des rejets d’érable rouge

La sensibilité à la carie des rejets latéraux et des rejets de pied décroît selon les espèces dans l’ordre suivant : l’érable rouge, le bouleau à papier, le tilleul d’Amérique, le cerisier tardif, le frêne blanc et tous les chênes. Contrairement à l’érable rouge, les pousses de chêne et de cerisier sont résistantes parce que le cœur de la souche tarde à se décomposer, laissant le temps aux rejets de générer des barrières de défense et de bloquer les infections.

Les gros érables rouges dont le pied était déjà pourri au moment de la coupe laissent des souches creuses qui se dégradent bien avant les autres avec un risque accru de transmission de la pourriture aux rejets. Parmi les rejets issus de grosses souches, seuls ceux isolés des autres et partant du collet poussent convenablement. Les rejets trop près l’un de l’autre se fusionnent à la base et dégénèrent les premiers, car la carie s’immisce par la base.

Le risque d’infection augmente avec le diamètre et la hauteur de la souche. Les rejets latéraux sont les plus susceptibles de développer une large cicatrice de pied. Ils ne sont pas viables et peuvent rompre à tout moment, même ceux dominant les autres. Les rejets du collet d’une petite souche ont le meilleur potentiel de générer une tige d’avenir.

 

Ce qu’il faut retenir

Seuls les rejets d’érable rouge issus du collet ou à moins de 15 cm de hauteur réussissent à ériger des barrières naturelles de protection efficaces. Ils deviennent autonomes et exempts de carie, parce qu’ils ne sont pas connectés avec le cœur de la souche. Ils sont solides, sains et les mieux disposés à constituer le futur peuplement (Figure 3).

 

 

Remerciement 

Les auteurs tiennent à remercier M. Michel Huot pour la veille de la littérature scientifique et ses suggestions toujours inspirantes.


 


En savoir plus

Pour accéder à la revue de littérature complète, contactez Carine Annecou, chargée de projets à l’AFBF, par courriel : carine.annecou@afbf.qc.ca

 

 

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