Articles printemps 2024

Régénération du hêtre à grandes feuilles après coupe : quelle est l’importance de la reproduction végétative?

Dans les peuplements feuillus à dominance d’érable à sucre, de bouleau jaune et de hêtre à grandes feuilles, on observe fréquemment l’établissement d’une strate dominante de hêtre à grandes feuilles, notamment après des coupes partielles, au détriment d’essences désirées comme l’érable à sucre et le bouleau jaune. Est-ce que le mode de reproduction du hêtre, qui peut être végétatif ou sexué, joue un rôle dans ce phénomène?

Une hypothèse souvent avancée pour expliquer la compétitivité de la régénération du hêtre dans ces peuplements est que sa capacité à se reproduire de manière végétative lui confère un avantage par rapport à d’autres essences comme l’érable à sucre. Le hêtre a en effet la capacité de se régénérer par rejet de souche et par drageon, en plus des semis issus de la germination de graines. Après des coupes partielles dans des peuplements où le hêtre est présent dans le couvert dominant, on peut s’attendre à ce que la quantité de drageons soit importante. En effet, lors des opérations forestières, les racines des hêtres sont perturbées par le passage de la machinerie, ce qui peut stimuler la production de drageons. De même, lorsqu’une maîtrise mécanique des gaules de hêtre est réalisée pour permettre à d’autres essences de s’établir, les souches de petits diamètres (< 10 cm) qui sont créées ont le potentiel de faire des rejets de souche. 

Quelle proportion de la régénération du hêtre provient de drageons et de rejets de souche et quelle concurrence exercent-ils sur la régénération du bouleau jaune et de l’érable à sucre? Afin de répondre à ces questions, nous avons réalisé un suivi de la régénération de ces essences, à partir de 3 ans jusqu’à 11 ans après des coupes partielles de différentes intensités dans un dispositif de recherche situé à la Station forestière de Duchesnay1. Une maîtrise mécanique des gaules de hêtre ainsi qu’un scarifiage du sol avaient également été réalisés immédiatement après la coupe. Pour ce suivi, nous avons étiqueté près de 1 000 individus des trois essences et les avons mesurés tous les 2 ans jusqu’à 11 ans après les coupes. Nous avons pris soin de différencier les hêtres issus de ces trois modes de reproduction (rejets, drageons et semis).

 

 

Principaux résultats issus du suivi de la régénération de 3 à 11 ans après coupe

Nos résultats témoignent d’une forte proportion de drageons racinaires et de rejets de souche de hêtre dans les peuplements après les traitements sylvicoles, tandis qu’on ne trouve pratiquement que des semis dans les peuplements témoins (figure 1). Nous avons aussi observé que les drageons et les rejets de souche de hêtre ont une croissance en hauteur bien supérieure à celle des semis de hêtre, de bouleau jaune et de l’érable à sucre (figure 2A). Après 11 ans, les rejets de souche de hêtre avaient même une hauteur moyenne deux fois plus élevée que celle des semis, et cette différence marquée est observée dans un gradient de conditions de lumière et de compétition. Par ailleurs, le bouleau jaune a été fortement brouté par le cerf de Virginie (figure 3), ce qui explique sa croissance limitée en hauteur (voir le Progrès Forestier de l’hiver 2024).

 

 

En ce qui concerne les taux de survie, nous n’avons pas observé de différence significative entre les différents modes de reproduction du hêtre. Cependant, les trois essences ont montré des probabilités de survie très différentes après 11 ans, celle du hêtre étant de 60 %, contre 42 % pour le bouleau jaune et 28 % pour l’érable à sucre (figure 2B). 

 

En perspective 

Les résultats de cette étude indiquent que la reproduction végétative du hêtre peut être très nuisible à la régénération de l’érable à sucre et même du bouleau jaune, dans le cas où celui-ci est brouté. Ainsi, la maîtrise mécanique des gaules de hêtre induit une densité initiale de cette espèce considérablement plus faible par rapport aux autres, mais peut tout de même mener à une strate dominante de gaules de hêtre quelques années plus tard. Cela s’explique notamment par les taux de survie beaucoup plus importants de la régénération de hêtre, mais aussi par la forte croissance des rejets de souche et des drageons de hêtre comparativement aux semis du hêtre et des autres essences. Face à cette situation, faire plus d’un suivi après le traitement peut être nécessaire pour s’assurer que la régénération des essences désirées se développe adéquatement. Dans les cas où le hêtre arrive à reprendre la dominance dans la strate de régénération, ce qui s’est produit entre 5 et 10 ans après la coupe dans notre étude, une deuxième maîtrise mécanique du hêtre sera probablement nécessaire pour dégager la régénération en essences désirées si celle-ci est bien établie. D’autres solutions comme le regarni en plants de forte dimension pour combler le manque de régénération et compétitionner avec la croissance initiale rapide des drageons et des rejets de souche de hêtre pourraient également être explorées.

 

 

Photo d’en-tête : dense régénération en hêtre 12 ans après l’ouverture du couvert et la maîtrise mécanique des gaules de hêtre dans une coupe partielle à Duchesnay
(crédit : Sébastien Dumont)

 


En savoir plus

Consultez la version complète de l’article à l’adresse suivante : 
https://doi.org/10.1016/j.foreco.2023.121476

 

 

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