Pensez-y. Rien de mieux qu’une promenade en forêt au printemps. L’air chargé d’une odeur à la fois sucrée et terreuse provenant de la litière en décomposition apaise nos sens et nous réconforte après un hiver rigoureux.
Sous nos pieds évolue un monde aussi mystérieux que fascinant où l’activité biologique est au diapason avec le substrat forestier. La qualité de l’air forestier est intrinsèquement liée à la composition de son sol. La litière que nous foulons se composte lentement, telle une géante-usine. Cette matière organique est largement constituée de feuilles mortes, mais également d’écailles de bourgeons, de fleurs flétries, d’écorce et de branches, ainsi que de substances animales. Tout ceci forme la rhizosphère où la matière organique est transformée par les microorganismes et la pédofaune, permettant l’assimilation des nutriments par les racines des plantes.
Dans les premiers centimètres du sol, la rhizosphère est composée de radicelles et d’organismes ayant formé un mutualisme avec ces dernières. On peut penser à la symbiose mycorhizienne issue du mutualisme entre des champignons (endomycorhizes et ectomycorhizes) et le fin chevelu racinaire. Ainsi, l’arbre procure les sucres issus de la photosynthèse aux champignons qui lui retournent la faveur en augmentant la capacité d’absorption de l’eau et en lui fournissant les minéraux et oligo-éléments plus difficiles à assimiler.
Les arbres forestiers partagent également des nutriments avec les jeunes pousses de la même espèce grâce à la fusion racinaire. Les semis et gaules profitent de cette « entraide familiale » afin d’assurer leur survie dans ce milieu où la compétition est féroce. En agissant ainsi, les arbres matures protègent leur descendance et la pérennité de l’espèce.
La qualité du sol est donc un facteur important pour la croissance des plantes. La présence d’oxygène, de gaz carbonique, de lumière, d’eau, de nutriments et d’une température appropriée (degrés jour) représente les besoins fondamentaux des plantes.
À l’opposé d’un écosystème riche et équilibré se retrouve le milieu urbain où les sols sont dénaturés et hautement perturbés. Les arbres qui y poussent peinent à survivre puisque la majorité des sols présentent des propriétés défavorables au développement des racines. Les principaux obstacles sont la forte compaction des sols, la faible perméabilité, un pH basique, la faible teneur en matière organique et la quasi-absence d’activité biologique. À cela s’ajoutent les contaminants provenant des activités humaines, comme les hydrocarbures, les sels de déglaçage, les engrais chimiques, les matériaux industriels et de construction, qui contribuent au dépérissement des arbres urbains.
Finis le partage des nutriments et finis le réseau social des arbres en ville. Plantés isolés et loin des individus de la même espèce, les arbres ne sont plus en mesure de communiquer les dangers par la fusion racinaire. Ils sont laissés à eux-mêmes où les conditions climatiques sont difficiles et accentuées par la sécheresse, les inondations, le piétinement du sol et les perturbations anthropiques. Chanceux sont les arbres plantés au bon endroit et selon les normes de l’industrie, car bon nombre s’épuisent et meurent à cause d’un mauvais entretien ou d’un mauvais choix d’essence.
Au départ, les villes n’ont pas été construites dans le but de favoriser les arbres. C’est tout le contraire, puisque l’activité humaine et l’utilisation de matériaux polluants modifient les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol, créant un milieu hostile et peu invitant. Malgré les efforts de préservation faits en amont, les arbres déjà sur place en font les frais. Que ce soit causé par un système racinaire arraché à la pelle mécanique, un rehaussement de sol important ou par des blessures mécaniques, leur déclin est entamé. Les nouvelles plantations ne sont guère mieux puisqu’elles sont souvent installées dans le peu d’espace disponible où le sol compacté nuit à leur développement.
Souvent perçus comme une nuisance, les arbres sont également responsables de tous les maux urbains à en croire certains. La chute de feuilles, de fleurs et de fruits constitue un irritant de premier ordre pour de nombreux citoyens. Le souci de propreté fait disparaître la litière et du même coup le garde-manger des systèmes racinaires. À cela s’ajoutent les mythes urbains reliés aux arbres qui sont, malheureusement, fortement ancrés dans notre société. Combien de fois avons-nous entendu que les racines ont fissuré une fondation ou qu’elles se sont infiltrées insidieusement dans les tuyaux sanitaires causant des milliers de dollars de dommage. Afin de s’infiltrer de cette façon, il faut tout d’abord que l’infrastructure souterraine soit endommagée, soit par les mouvements du sol (sols argileux) ou la désuétude des tuyaux.
Les racines d’ancrage contribuant au maintien de l’arbre sont les seules pouvant endommager l’infrastructure souterraine pas sa croissance radiale. En se développant, celles-ci contournent les obstacles se retrouvant dans le premier 1,5 m du sol. En revanche, la croissance en diamètre combinée à un sol propice aux mouvements peut contribuer aux bris sans en être le seul auteur. Considérons la présence des racines dans les tuyaux ou les fondations comme étant un message de l’arbre lui permettant de nous indiquer la naissance d’un problème.
Malgré tous ces obstacles, les arbres urbains contribuent à agrémenter nos villes. Nos arbres urbains sont d’une importance capitale pour notre qualité de vie. Vivre en harmonie avec ces géants verts est possible et tout à notre avantage. Pour combien de temps encore est un mystère. Les villes étant plus chaudes de plusieurs degrés que le milieu forestier naturel, la longévité des arbres est coupée de moitié dès leur plantation. Le manque d’eau et de nutriments constitue leur plus grand défi, tout comme le manque de sensibilisation aux bienfaits des arbres auprès des citoyens. Les prochaines décennies nous feront réaliser l’importance des arbres qui, je l’espère, formera le germe de la « culture de l’arbre ».