Le chaulage forestier est utilisé dans des érablières poussant sur un sol acide et pauvre en cations basiques (principalement le calcium) et démontrant des signes de dépérissement. Au cours des dernières décennies, l’utilisation de ce traitement a augmenté étant donné son efficacité pour combattre le dépérissement de l’érable à sucre dans les stations peu fertiles. Cependant, peu d’études ont évalué comment l’application d’amendements riches en calcium affecte l’écosystème à moyen et à long terme. Notre étude s’est intéressée à la salamandre cendrée, une espèce bio-indicatrice abondante dans les érablières du Québec. Les résultats permettent d’éclairer les forestiers sur la compatibilité du chaulage avec des objectifs d’aménagement forestier durable.
Pourquoi étudier la salamandre cendrée?
La salamandre cendrée est parmi les vertébrés les plus abondants dans les forêts du nord-est de l’Amérique du Nord. Elle vit, se nourrit et se reproduit sur et dans le sol forestier, où elle joue un rôle dans plusieurs processus écologiques clés. La salamandre est un amphibien terrestre sans poumons qui dépend principalement de sa peau pour la respiration et l’hydratation. Le chaulage, s’il entrave la respiration cutanée ou altère la régulation osmotique, pourrait affecter l’état corporel (longueur et poids) et la santé des individus et, par conséquent, la taille des populations. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’effet du chaulage forestier sur l’état corporel d’une population naturelle de salamandres cendrées, cinq ans après l’épandage aérien de la chaux.
L’étude de populations de salamandres dans leur milieu naturel
L’étude a été réalisée dans un dispositif initialement conçu pour tester les effets du chaulage forestier sur les érables à sucre. La chaux (CaCO3) a été épandue par hélicoptère en novembre 2011 (1,8 T/ha). Nous avons retenu cinq blocs (2 témoins et 3 chaulés) relativement similaires en ce qui concerne l’humus, le sol, la végétation au sol et la végétation arborescente ainsi que les habitats potentiels pour la salamandre cendrée. Ces blocs sont répartis par parcelles de 2,7 à 5,1 ha. Les fréquences de capture de salamandres cendrées (nombre de salamandres par bloc/temps de recherche par bloc) dans les blocs chaulés et témoins étaient respectivement de 2,1 et 2,2 par heure. Les mesures comprenaient la longueur museau-cloaque, la longueur totale des individus ainsi que le poids. Après avoir été mesurées, les salamandres capturées ont été relâchées sur place. Nous avons également échantillonné la couche supérieure du sol forestier (humus) et le pH du sol a été mesuré.
Aucun effet à moyen terme sur les populations de salamandres
Le pH du sol forestier était significativement plus élevé dans les blocs chaulés que dans les blocs témoins, ce qui est l’effet escompté du traitement. Un total de 124 salamandres a été observé au cours de l’étude, mais en raison de certaines évasions, des données morphométriques ont été recueillies sur seulement 120 individus. Parmi ces spécimens, 78 % étaient des adultes et 22 % étaient des juvéniles. Une seule autre espèce de salamandre a été observée lors de l’inventaire, soit la salamandre à deux lignes (2 individus). L’analyse des données a montré que le chaulage n’influençait pas la taille (longueur et poids) des salamandres cinq ans après le traitement (figure 1).
Les résultats de la présente étude combinés à ceux d’autres études nord-américaines indiquent que le chaulage n’a pas d’effet à court ou moyen terme sur l’état corporel de la salamandre cendrée. Ces résultats peuvent s’expliquer en partie parce que celle-ci peut se retrouver dans des sols forestiers de pH variés. De plus, nous avons mené en 2014 une autre étude dans de petits microcosmes placés en forêt. De la chaux de deux granulométries différentes a été utilisée (finement broyée et sableuse) pour vérifier si la chaux finement pulvérisée pouvait obstruer les pores de la peau de la salamandre et affecter sa santé et sa croissance, induisant ainsi sa mort. Les résultats indiquaient que le contact direct, même avec de la chaux finement moulue, n’avait aucun effet à court terme sur la santé et le taux de survie de la salamandre.
En conclusion
Les résultats de cette étude montrent que le chaulage n’a aucun effet à court ou moyen terme sur l’état corporel de la salamandre cendrée. Cette étude s’ajoute à celles sur d’autres espèces en Europe et dans le nord-est de l’Amérique du Nord qui rapportent que le chaulage n’a pas d’effet majeur sur les amphibiens lorsqu’il est utilisé comme traitement pour restaurer les écosystèmes forestiers acidifiés. Cela devrait aider les forestiers à décider si le chaulage, bien que son efficacité ait été démontrée pour revigorer l’érable à sucre, est compatible ou non avec leurs objectifs d’aménagement forestier. D’autres études seront nécessaires pour évaluer les effets de ce traitement à long terme.
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