Le nerprun bourdaine est une espèce envahissante qui suscite de plus en plus d’inquiétudes. Bien qu’il existe quelques moyens de contrôle de cette espèce, très peu ont été validés pour leur efficacité à long terme. La recherche présentée dans cet article visait à mesurer l’abondance et la vigueur de la régénération du nerprun bourdaine, six ans après le contrôle par arrachage manuel de toutes les tiges sur des parcelles expérimentales.
Introduction
Le nerprun bourdaine est une espèce exotique envahissante considérée comme une menace sérieuse à la biodiversité et à l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes forestiers. Du point de vue de l’aménagement forestier, les impacts négatifs du nerprun sur la productivité forestière sont déjà reconnus, notamment sur la régénération forestière des peuplements de plantation. La progression de cette plante remet en question l’utilisation de certaines pratiques forestières courantes telles que les travaux d’éclaircie et d’ouverture du couvert forestier, qui sont souvent associés à l’implantation de cet envahisseur.
Différentes méthodes de contrôle ont été proposées pour freiner la progression du nerprun. Parmi celles-ci, l’arrachage complet de la tige et des racines peut être perçu comme une méthode définitive et très efficace, mais son impact à long terme n’est pas bien documenté.
L’objectif de ce projet était d’évaluer l’efficacité de l’arrachage comme moyen de répression du nerprun bourdaine, plus particulièrement dans le contexte de peuplements de plantation de conifères. Ce type de peuplement aménagé est très souvent envahi par le nerprun bourdaine, ce qui constitue une source d’inquiétude pour son développement et son aménagement futurs. Le projet visait donc à mieux comprendre l’impact et les limites de la méthode d’arrachage du nerprun dans ce type de peuplement, et d’évaluer son efficacité potentielle dans un contexte de restauration forestière.
Description de l’expérience
Cette recherche s’est déroulée au Parc écoforestier de Johnville, situé dans la municipalité de Cookshire-Eaton (MRC du Haut-Saint-François). Un peuplement de plantation d’épinettes blanches d’environ 60 ans a été sélectionné pour ce projet, notamment parce que le nerprun bourdaine y est très abondant et bien implanté depuis plusieurs années. Cette plantation non aménagée présente une assez forte densité de la strate supérieure (> 80 % de projection au sol) qui est dominée par l’épinette blanche. La strate arborescente inférieure est très peu dense (< 25 % de projection au sol) et ne renferme que quelques individus de sapin baumier, cerisier tardif et bouleau à papier. La strate arbustive, pour sa part, est nettement dominée par le nerprun bourdaine (Figure 1), ne laissant que très peu d’espace aux espèces indigènes. La présence du nerprun est généralisée à l’intérieur du peuplement.
Un inventaire de la strate arbustive a été réalisé sur 10 parcelles de 20 m sur 20 m (400 m2) au printemps 2017 (6 parcelles expérimentales et 4 parcelles témoins). Toutes les tiges ont été dénombrées, identifiées à l’espèce, puis rapportées dans l’une des trois classes de hauteur suivantes :
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semis < 15 cm;
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tiges moyennes 0,15 à 1 m;
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grandes tiges > 1 m et DHP < 10 cm.
Il est à noter que malgré la très forte densité du nerprun, aucune tige d’un diamètre supérieur à 10 cm n’a été retrouvée dans la plantation.
La méthode sélectionnée pour contrôler le nerprun est l’arrachage du plant entier (tiges et racines). Les tiges de nerprun ont été retirées sur toute la superficie des six parcelles expérimentales. Un soin particulier a été apporté aux opérations d’arrachage de manière à assurer le retrait d’un maximum de racines. Les petits individus étaient aisément déracinés à la main, alors que les plus gros requéraient parfois l’emploi d’une pelle ou d’un levier. Tous les individus éliminés ont été dénombrés et leur abondance a été rapportée sur une superficie de 400 m2 pour fin de comparaison avec les parcelles témoins.
À l’automne 2022, un deuxième inventaire de la strate arbustive a été réalisé. L’objectif était de quantifier l’éventuel retour du nerprun bourdaine du point de vue de l’abondance et de la hauteur des tiges. Au même moment, toutes les tiges arbustives des espèces indigènes ont aussi été inventoriées, permettant ainsi de comparer l’évolution de la régénération naturelle et sa densité par rapport à la compétition occasionnée par le nerprun. Cette expérience de validation à long terme de l’efficacité de l’arrachage couvre donc une période de six saisons de croissance de la végétation (2017 à 2022).
Résultats et discussion
Opération d’arrachage
L’effort d’arrachage complet du nerprun bourdaine est substantiel. Le retrait de toutes les tiges d’une parcelle de 20 m sur 20 m nécessitait en moyenne deux heures de travail pour une équipe de trois personnes. Ceci représente un total de plus de 2 000 plants de nerprun par parcelle, toutes tailles confondues. En considérant la superficie totale (2 400 m2 ou 0,24 ha) des parcelles expérimentales, c’est plus de 48 heures qui ont été investies par notre équipe dans la répression de cette plante, pour un total de plus de 15 500 plants.
Efficacité de l’arrachage
Les opérations d’arrachage ont évidemment eu un impact visible et immédiat sur la population de nerpruns de la plantation d’épinettes blanches. Très peu de tiges d’une hauteur supérieure à 15 cm ont été dénombrées lors d’observations informelles réalisées à la fin de la première saison de croissance. Toutefois, de nombreux semis ont rapidement été observés. Ceux-ci étaient vraisemblablement issus de la banque de graines et de la régénération à partir des racines demeurées sur place malgré les efforts pour tenter d’en retirer le plus grand nombre.
Le résultat le plus intéressant concerne l’évaluation de l’efficacité de l’arrachage, mesurée après six saisons de croissance. La figure 2 montre qu’en 2022, l’abondance du nerprun dans les parcelles expérimentales était équivalente à l’abondance observée au moment de l’opération de contrôle en 2017. Bien qu’on observe quelques différences entre les trois classes de hauteur, le constat général est que le retour du nerprun a été vigoureux et rapide, à tel point que la population semblait avoir retrouvé son niveau d’abondance initial dans le peuplement, six ans après l’opération d’arrachage.
Ce résultat peut sembler décourageant à première vue et pourrait être considéré comme un échec de la tentative de contrôle. Toutefois, il est important de comparer ces données avec l’abondance dans les parcelles témoins, car celles-ci reflètent le potentiel naturel de croissance du nerprun. Or, on remarque à la figure 2 que l’abondance dans les parcelles expérimentales demeure nettement sous les niveaux observés dans les parcelles sans intervention. Le nerprun a donc progressé librement dans les parcelles témoins, où les grandes tiges (souvent plus grandes que 2 mètres) productrices de très nombreux fruits ont assurément contribué à l’implantation d’un nombre impressionnant de semis (plus de 4 000 tiges/400 m2). Ceci suggère que l’opération d’arrachage du nerprun n’a pas été vaine. À défaut d’éradiquer l’envahisseur, l’arrachage a plutôt permis d’administrer un sérieux coup de frein à sa progression naturelle, ce qui est déjà très positif en soi.
Impact sur la régénération forestière
L’arrachage n’a pas permis à la régénération d’espèces indigènes d’occuper l’espace disponible par le retrait de la compétition. Après six saisons de croissance, le nerprun demeurait toujours l’espèce arbustive dominante pour toutes les classes de hauteur (Figure 3). La rapidité du retour du nerprun et son implantation défavorisait probablement le développement des autres espèces ligneuses à croissance plus lente, bien que d’autres facteurs soient aussi à considérer dans ce type de peuplement. En effet, la plantation non aménagée de conifères ne présente pas nécessairement les conditions optimales (p. ex. ouverture du couvert, présence de semenciers, type de sol) qui favoriseraient l’établissement d’une régénération naturelle. Ainsi, une avenue de recherche intéressante serait de reproduire cette expérience dans différents peuplements naturels ou dans une plantation de deuxième éclaircie de manière à comparer adéquatement la réponse de la régénération forestière au retrait du nerprun.
Conclusion
La méthode de l’arrachage ne constitue pas une méthode de répression définitive du nerprun bourdaine. Nos données montrent qu’après seulement quelques années, l’abondance du nerprun en plantation de conifères revient à son niveau initial, supplantant même les espèces indigènes de la strate arbustive. Toutefois, on ne doit pas voir dans ces résultats un échec de cette stratégie de contrôle, puisque certains aspects demeurent tout de même très positifs. Premièrement, le « gain visuel » obtenu par le retrait du nerprun à court et moyen terme est tout à fait intéressant. Les secteurs traités conservent un aspect visuel nettement plus attrayant et beaucoup moins « oppressant » (classes de hauteur plus faibles, abondance globale plus faible, réduction marquée des grandes tiges reproductrices), ce qui peut procurer un sentiment très satisfaisant de réappropriation du milieu par le propriétaire ou le gestionnaire du site.
Deuxièmement, même si le contrôle par arrachage ne parvient pas à éradiquer le nerprun, notre expérience montre que la croissance de sa population peut tout de même être très fortement affectée à moyen terme. Ceci implique que les tiges issues de la régénération seront pour la plupart de faible taille et par conséquent, beaucoup plus aisées à retirer lors d’une prochaine phase de contrôle. On peut donc voir l’arrachage manuel comme une opportunité de contrôle initial de la taille des tiges, ce qui s’inscrit parfaitement dans la mise en place d’une stratégie à plus long terme. Idéalement, l’effort de répression devrait être maintenu dans le temps, de manière à profiter de l’avantage de la manipulation des tiges de faible dimension présentes dans un secteur récemment traité.
Évidemment, les conditions écologiques locales, notamment l’abondance de la régénération indigène, influenceront le succès d’une opération de contrôle. Dans notre expérience, la strate arbustive était dès le départ très peu développée, ce qui est très fréquent dans les peuplements de plantation. Cette situation a très probablement contribué à la vigueur de la reprise du nerprun. Un projet de contrôle devrait donc être planifié prioritairement dans des peuplements favorables, c’est-à-dire ceux dans lesquels la régénération naturelle est bien établie ou en voie de le devenir. Sinon, l’idéal serait probablement de procéder à de l’enrichissement ou à de la végétalisation (herbacées, arbustes), de manière à opposer une compétition au nerprun.
Notre expérience montre qu’il est possible de maintenir une cohorte de nerprun de petite taille pendant au moins quelques années, ce qui suggère que l’arrachage n’est pas nécessairement voué à l’échec si cette méthode est répétée dans le temps. Néanmoins, il faut garder en tête qu’une telle opération consomme énormément de ressources et de temps. Dans cette recherche, il a fallu plus de 48 heures à notre équipe de 3 personnes pour couvrir une superficie somme toute réduite de 0,24 ha. On peut donc facilement imaginer l’effort requis pour le contrôle d’un peuplement entier ou d’une grande partie d’une propriété. Ainsi, dans un contexte où le nerprun serait très solidement implanté dans un milieu (forte densité, répartition uniforme, grandes tiges), et ce, sur une grande superficie, il ne serait pas réaliste d’envisager l’emploi de cette méthode et d’espérer un succès à grande échelle. Toutefois, en se limitant à de petits secteurs bien ciblés, tels que des portions de peuplements de haute valeur de conservation ou des secteurs de faible densité situés sur le front d’invasion, un propriétaire motivé pourrait obtenir du succès s’il se concentre sur ces objectifs plus modestes et réalistes. En acceptant d’investir les efforts à long terme, l’arrachage du nerprun est donc une avenue intéressante à explorer pour espérer reprendre en partie le contrôle de sa propriété face à cet envahisseur coriace.
Remerciements
L’auteur tient à souligner l’implication des étudiantes qui ont été impliquées dans les travaux d’arrachage et d’inventaire sur le terrain : Justine Labelle, Mia Carrière, Sarah Gaignard et Mara Del Carmen Lopez Rincon. Merci à Caroline Cloutier, Marie-Josée Martel, Lise Beauséjour, Mélanie Bergeron et Mathieu Dufresne pour leur implication dans les différentes phases de ce projet. Merci à Nature Cantons-de-l’Est pour l’autorisation d’accès au Parc Écoforestier de Johnville. Cette recherche a été rendue possible grâce au support financier de l’Université de Sherbrooke et de l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie.
En savoir plus
Pour en apprendre plus sur les différents moyens de contrôle, consultez le Guide de gestion du nerprun bourdaine pour les propriétaires forestiers à l’adresse : www.agenceestrie.qc.ca/Documents_PDF/Guide-Nerprun_FR.pdf