Articles hiver 2025

Quelles sont les conséquences à long terme de l’ajout chronique d’azote sur la vigueur de l’érable à sucre?

Les effets cumulatifs des dépôts atmosphériques d’azote  (N) dans les forêts tempérées du nord-est de l’Amérique du Nord sont préoccupants. L’augmentation des dépôts d’azote peut stimuler la croissance des forêts et la séquestration du carbone. En revanche, cette augmentation peut aussi entraîner une baisse de la fertilité des sols en cations basiques. Du nitrate d’ammonium (NH4+NO3-) a été appliqué pendant 13 ans à des taux de 3 et de 10 fois supérieurs aux dépôts atmosphériques dans une érablière à sucre de la Station forestière de Duchesnay. Notre étude a permis de suivre dans le temps les dynamiques de la chimie du feuillage et du dépérissement des érables. Quels sont les effets à long terme de l’ajout chronique d’azote sur la nutrition et la vigueur de l’érable à sucre?

LES DÉPÔTS ATMOSPHÉRIQUES

Les dépôts atmosphériques d’azote (N) et de soufre (S) ont largement diminué dans de nombreuses régions du monde au cours des deux dernières décennies, ce qui a entraîné des diminutions substantielles de l’acidité des précipitations (voir l’encart). Bien qu’une amélioration de la situation ait été observée dans les eaux de surface et les sols de certains écosystèmes forestiers, d’autres restent encore sensibles à ces apports. Cela s’explique par l’effet cumulatif de l’apport d’anions acides (sulfate [SO42−] et nitrate [NO3]) sur le pouvoir tampon du sol. Dans les écosystèmes où le sol est pauvre en azote, la charge atmosphérique totale cumulée d’azote (nitrate [NO3] et ammonium [NH4+]) peut avoir un effet fertilisant et, par conséquent, un effet positif sur la croissance des arbres. Cependant, dans les écosystèmes déjà riches en azote ou ayant un faible pouvoir tampon, cette charge supplémentaire peut ultimement provoquer l’épuisement des cations basiques du sol et donc avoir un effet négatif sur la vigueur des arbres.

 

ACIDITÉ DES PRÉCIPITATIONS

En 1991, le Canada et les États-Unis ont signé l’AccordCanada–États-Unis sur la qualité de l’air en vue de luttercontre la pollution atmosphérique transfrontalière.Les deux pays ont convenu de réduire leurs émissionsde dioxyde de soufre (SO2) et d’oxydes d’azote (NOx),les principaux précurseurs despluies acides, et de coopérerà des travaux scientifiques ettechniques sur les pluies acides.

 

LE SAVIEZ-VOUS?

Le pouvoir tampon du sol réfère à sa capacité à neutraliser un apport d’acidité. Les principaux composés responsables de l’acidité des précipitations sont le dioxyde de soufre (SO2) et les oxydes d’azote (NOx). Lorsqu’ils sont libérés dans l’atmosphère, ces composés entrent en contact avec des molécules d’eau et forment respectivement de l’acide sulfurique (H2SO4) et de l’acide nitrique (HNO3). C’est la quantité d’ions H+ présents dans la solution du sol qui caractérise le pH d’un sol, donc son acidité. Plus il y a de H+, plus le sol est acide et plus le pH est bas. L’effet tampon résulte de l’équilibre entre des substances qui libèrent des protons H+ (les acides) et des substances qui capturent des protons (les bases). Une diminution du pouvoir tampon signifie une perte de cations basiques (calcium [Ca2+], magnésium [Mg2+] et potassium [K+]) dans la partie superficielle du sol, soit la zone où les racines des arbres sont principalement localisées. Cette perte de cations basiques fait craindre une perte de fertilité puisque les cations basiques sont des éléments nutritifs importants pour la croissance de la forêt. Le chaulage, c’est-à-dire un amendement minéral basique, permet de neutraliser cet excès d’acidité.

 

 

UNE EXPÉRIENCE D’AJOUTS CHRONIQUES DE NITRATE D’AMMONIUM DANS UNE ÉRABLIÈRE

L’expérience a été réalisée à la Station forestière de Duchesnay, située près de la ville de Québec. La végétation y est dominée par l’érable à sucre, accompagné de bouleaux jaunes et de hêtres à grandes feuilles, sur des sols acides et pauvres en calcium et en magnésium. Neuf unités expérimentales (15 m × 15 m) ont été choisies dans une zone représentative en termes d’âge des arbres, de densité et de composition des peuplements. En octobre 2000, 5 érables dominants ou codominants ont été sélectionnés et numérotés dans chaque unité expérimentale, pour un total de 45 arbres étudiés. De 2001 à 2013, les traitements de pulvérisation de nitrate d’ammonium (NH4+NO3-) ont été appliqués 5 fois par an, de juin à octobre. Les traitements ont été répartis au hasard : 3 unités témoins, 3 unités avec un traitement à faible dose de NH4+NO3(26 kg/ha annuellement) et 3 unités avec une forte dose (85 kg/ha annuellement). L’ajout annuel de NH4+NO3était équivalent respectivement à des taux de 3 et de 10 fois supérieurs aux dépôts atmosphériques lors de l’implantation du dispositif.

 

LES CONSÉQUENCES SUR LA CHIMIE DU FEUILLAGE ET LE DÉPÉRISSEMENT DES ÉRABLES

De 2001 à 2013, nous avons mesuré annuellement la concentration de plusieurs éléments nutritifs dans le feuillage des arbres. La concentration en azote était significativement plus élevée à court terme chez les arbres ayant reçu le traitement à forte dose, comparativement au témoin. Cependant, la différence n’était plus significative après 13 ans, malgré une tendance vers des concentrations d’azote plus élevées (Figure 2A). Ce résultat est conforme à d’autres études qui ont rapporté des augmentations foliaires d’azote à la suite d’applications répétées de NH4+NO3- à court et à long terme.

 

 

En ce qui a trait au calcium, sa concentration dans les feuilles des arbres témoins était bien inférieure au seuil suggéré pour un arbre sain. Cette observation concorde avec la faible teneur en cations basiques des sols de ce secteur. Trois ans après le début du traitement, les concentrations foliaires en calcium ont diminué rapidement et elles sont restées faibles jusqu’en 2013, en particulier chez les arbres ayant reçu le traitement à forte dose (Figure 2B). Les niveaux de calcium foliaire en 2013 sont parmi les plus bas jamais observés pour l’érable à sucre. Bien que l’état nutritionnel en calcium ne se soit pas détérioré après 2006, la proportion de dépérissement de la cime a augmenté de façon importante avec les traitements et le temps (Figure 3).

 

 

LE CHAULAGE : UNE OPTION INTÉRESSANTE POUR LES SOLS PAUVRES ET ACIDES

Les ajouts répétés de NH4+NO3- dans un écosystème dont le sol est pauvre en bases ont exacerbé la carence nutritionnelle préexistante des érables à sucre étudiés et entraîné la détérioration de leur santé. Les changements dans la chimie foliaire ont été étonnamment rapides dans les deux à trois ans suivant le début des traitements. Ensuite, ils sont restés relativement stables, mais la vigueur des érables étudiés a fortement diminué, plus particulièrement pour ceux ayant reçu le traitement à forte dose. Ces résultats témoignent de la sensibilité des érablières aux cumuls des apports atmosphériques d’azote et de la persistance de leurs effets négatifs. Cette baisse de vigueur pourrait engendrer le déclin de l’érable à sucre dans ces écosystèmes si aucune intervention n’est faite. Dans ce contexte, le chaulage pourrait atténuer les effets de la perte de fertilité du sol sur l’érable à sucre, du moins dans les écosystèmes dont la capacité tampon du sol est faible.

 

 


En savoir plus

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Pour plus de publications sur les travaux de recherche de M. Moore

 

 

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