Articles hiver 2025

Migration assistée des arbres dans le sud du Québec; tout le monde en parle

Considérant que certaines essences sont en train de disparaître de nos écosystèmes forestiers (comme le frêne, par exemple), comment préserver le couvert forestier et les services attendus à long terme? La migration assistée est l’une des stratégies d’une sylviculture d’adaptation qui pourrait contribuer à maintenir le couvert pendant les changements importants du climat des prochaines décennies.

Afin de faire face aux changements climatiques, il est crucial de s’engager dans l’adaptation de la forêt publique et privée aux changements déjà amorcés et qui s’amplifieront. Une des stratégies mises de l’avant est la migration assistée : le déplacement délibéré d’individus ou de matériel génétique à partir de sources indigènes de semences (c.-à-d. la provenance) vers des endroits situés dans leur aire de répartition actuelle ou au-delà de cette aire. Le 7 décembre passé, Carl Plante, Andréanne Blais du Conseil régional de l’environnement du Centre-du-Québec (CRECQ) et moi-même, Alison Munson, avons organisé une journée de conférences et discussions sur la migration assistée des arbres à Drummondville, afin d’échanger avec les propriétaires, les agences et les groupements, ainsi que différents organismes régionaux du sud du Québec qui gèrent les terrains privés. Nos échanges en groupes ont été très étendus, mais nous avons identifié quelques points qui sont très pertinents dans la réflexion sur cette stratégie pour la forêt privée.


UNE STRATÉGIE DE CHOIX

Pourquoi la migration assistée des arbres est-elle une stratégie de choix pour maintenir le couvert forestier dans le temps? Avant de répondre à cette question, notons que la société veut maintenir les fonctions et services écologiques des forêts : filtration et entreposage de l’eau, capture de carbone dans les arbres et dans les sols, habitats fauniques et floristiques, développement de produits forestiers et non ligneux, etc. Néanmoins, certaines espèces dans le sud de Québec seront moins favorisées à l’avenir, en particulier les résineuses telles que les épinettes. Considérant que certaines essences sont en train de disparaître (comme le frêne, par exemple), comment préserver le couvert forestier et les services attendus à long terme?

En premier, on doit associer la migration assistée avec des objectifs clairs. Dans une forêt privée, cela pourrait impliquer la production de bois, la création d’un habitat faunique ou la préservation d’une essence vulnérable comme le noyer cendré (Juglans cinerea). Ça pourrait même être l’introduction d’une nouvelle essence à petite échelle qui est en dehors de sa distribution, comme le châtaignier d’Amérique (Castanea dentata), dont une variété résistance au pathogène mortel est maintenant disponible.

Autant qu’en forêt publique, il est essentiel de chercher l’acceptabilité sociale si l’on souhaite utiliser cette approche à plus grande échelle que les petites expériences pilotes. Par exemple, on doit définir la migration assistée et expliquer comment cette stratégie peut être déployée pour contribuer à la résilience des forêts privées. Il faut communiquer à la fois les avantages ou bénéfices ainsi que les risques associés. Pour les gens autour la table, l’acceptabilité sociale ne s’arrête pas à une consultation. Sous les multiples pressions de sécheresses intenses, l’augmentation des précipitations par endroit, le broutage du sous-bois par une surpopulation de cerfs et l’arrivée des espèces exotiques comme les nerpruns bourdaine (Rhamnus frangula) et cathartique (Rhamnus cathartica), il va falloir développer une stratégie globale pour le sud qui sera acceptable pour la société, avec des objectifs clairs. Idem pour la forêt publique.


LA MISE EN OEUVRE

Si l’on veut parler de la mise en oeuvre, il faut développer et démontrer en projets pilotes les approches possibles. Plusieurs personnes ont mentionné que planter une diversité d’essences est préférable et que les monocultures sont à éviter, afin de réduire les risques associés à la mortalité et aux impacts écologiques. Par exemple, on pourrait penser au chêne rouge comme essence à croissance rapide dans le sud, mais une nouvelle maladie (le flétrissement du chêne) risque d’arriver au Québec dans les prochains 10 à 15 ans. Par conséquent, planter cette essence en monoculture est probablement un risque élevé.

Les essences peuvent être introduites sous couvert par regarni ou après une coupe partielle dans les trouées. Cette approche démontre un bon taux de survie dans le projet pilote en forêt publique dirigé par Patricia Raymond, chercheuse au ministère des Ressources naturelles et des Forêts. Cependant, comme mentionné par les participants, il y a un manque de résultats sur les plantations mixtes à long terme. Donc, il y a beaucoup de suivis à effectuer pour améliorer les recommandations.

Il est également question de l’intégration des efforts de migration assistée dans l’amélioration de la connexion écologique dans le sud de la province, compte tenu de la fragmentation importante du paysage méridional.

Certaines personnes exigent une cohérence entre les objectifs, les conseils et la faisabilité sur le terrain. Par exemple, on ne peut pas recommander de planter des tulipiers de Virginie (Liriodendron tulipifera) si cette espèce n’est pas disponible en quantité suffisante dans les pépinières. On souligne également que la communication et les directives devraient passer par les instances régionales et locales, incluant les agences, les associations, les MRC et les municipalités.

En général, on met en avant le manque de connaissances pour soutenir la mise en oeuvre de la migration assistée des arbres. Quelques exemples :

  1. On ne connaît pas la réponse de plusieurs essences du sud aux sols (telles les essences caroliniennes sur les sols des Appalaches ou les plaines du sud de la province);

  2. On ne connaît pas la dynamique d’une forêt où l’on introduit certaines essences dans le sous-bois qui n’étaient pas présentes auparavant;

  3. Est-il souhaitable de faire migrer ensemble certaines essences qui forment des communautés plus au sud?

Ce sont des questions fascinantes et l’on devrait débuter le travail! De plus, avant de poursuivre dans la recherche et la plantation, il est crucial de communiquer et d’obtenir l’approbation de la société.

Nous tenons à remercier chaleureusement tous les participants enthousiastes à notre colloque! Le colloque et ce texte sont appuyés par un projet ENGAGE du Fonds de recherche du Québec – Nature et Technologies : Migration assistée et bilan carbone des arbres dans les forêts du sud du Québec.

 

 


EN SAVOIR PLUS

Communiquez avec les auteurs : Alison Munson (alison.munson@sbf.ulaval.ca), Carl Plante (carlplante01@yahoo.ca) et Andréanne Brazeau (direction@crecq.qc.ca).

 

 

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