Articles hiver 2025

Le jargon forestier régional

La langue est un lieu de mémoire. Elle témoigne d’un regard, d’un vécu. Le parler des bois ne représente pas la chasse gardée des linguistes. Nous y trouvons une foule de barbarismes, d’anglicismes et de multiples impropriétés qui lui donnent souvent un charme et une éloquence que la plume ne saurait substituer. Je me suis intéressé aux expressions propres au monde forestier ou du moins qui lui sont souvent associées. Voici le fruit de ma petite étude.

LA BEAUTÉ DU LANGAGE

Nos étudiants en foresterie sont émerveillés de découvrir l’accent rural. Certains viennent du grand Montréal et n’ont jamais entendu dire l’expression : qui a rdjien là (il n’y a rien là). Ils sont autant surpris du langage que du comportement des gens qui s’arrêtent et observent la rue lorsqu’ils entendent deux auto-patrouilles, l’une à la suite de l’autre (un évènement à Lac-Mégantic comparativement à une normale quotidienne à Laval). 

Il n’y a pas de mauvaises réponses lorsqu’on désigne un régionalisme. Certains jeunes vont battre leurs motocrosses dans un pic de sable (sablière), alors que pour d’autres, ce sera plutôt dans un pit de sable. Certains identifient le pinch comme étant la barbe en bas de la bouche, pour d’autres, c’est en haut de la bouche. Certains mots sont parfois féminins, parfois masculins. Même le mot érable devient féminin en Beauce.

Je me souviens d’un chantier de bois long (une récolte se faisant par arbre entier) près de Notre-Dame-des-Bois. Les opérateurs discutaient sur la radio. C’était tellement beau, tellement authentique. Le chauffeur de grappel (débusqueuse à grappin) allait un peu trop vite et il enterrait l’ébrancheuse. L’opérateur de cette dernière a dit : il va falloir qutu lèves la patte mon petit Jeannot. J’ai trouvé ça beaucoup plus doux que de demander poliment de ralentir. Il y a des moyens d’être éloquent en peu de mot. Je les aurais écoutés toute l’après-midi, sans trouver le temps long.


L’ORIGINE DES EXPRESSIONS

Comme j’exerce mon métier principalement au sud du Saint-Laurent (avec l’Estrie comme point central), je n’ai pas une vision globale de la richesse linguistique québécoise. Quelques membres de l’Association forestière du sud du Québec m’ont gentiment fait part d’expressions locales afin d’améliorer la représentativité de mes résultats. Par exemple, je n’ai jamais entendu parler de l’expression une roule pour désigner une aire d’empilement (origine historique : le bois était roulé sur des sleighs [traîneaux]). Son usage survivrait plus au nord. La seule fois où j’ai entendu le mot roule, il avait été prononcé par un bûcheron utilisant des chevaux qui préparaient ses roules, soit de petites piles de bois suffisantes pour remplir une sleigh, ici et là dans la forêt durant l’automne, et ce, en vue du débardage à l’hiver. Néanmoins, je ne prétends pas avoir accompli une analyse digne de la thèse de doctorat de Pierre Auger réalisée en 1973 : Le vocabulaire forestier au Québec.

J’ai décliné cet article en thèmes afin de donner une structure, mais vous constaterez qu’il s’agit plutôt d’un ramassis de bouts de phrases et de mots courants. J’ai employé une graphie qui rappelle davantage la phonétique que le mot d’origine. J’ai parfois indiqué l’un des lieux où j’ai entendu l’expression et où son utilisation s’avère la plus commune.


L’ANALYSE DES EXPRESSIONS

Lorsque j’entends un mot ou une expression, je tente de bien cerner sa signification. Comme le langage parlé finit rarement dans un livre, il ne subit pas le formatage que la littérature impose aux mots et à la syntaxe. Dans bien des cas, j’ai réussi à trouver l’origine du mot ou de l’expression en faisant un parallèle avec un mot anglais similaire ou en le trouvant dans un vieux livre comme le Dictionnaire de la langue française au Canada (DLFC) de Louis-Alexandre Bélisle ou le Dictionnaire historique du français québécois (DHFQ). Il m’arrive néanmoins de ne pas trouver l’origine des expressions. Par exemple, je n’ai pas réussi à trouver l’origine officielle du mot catin. Ce terme est employé lorsqu’un camionneur précise que le bois ne doit pas dépasser les catins en faisant référence aux poteaux. Il se peut donc que quelques tournures de phrase présentées ici soient utilisées différemment dans votre région. D’ailleurs, le lexique forestier se transmet de bouche à oreille et les altérations surviennent rapidement.


LES NOMS DES ARBRES

Plusieurs espèces d’arbres ont des noms vernaculaires. Les plus célèbres sont : la plaine (érable rouge), le meriser (bouleau jaune), le bouleau blanc (bouleau à papier) et le cèdre (thuya occidental). Si vous entendez dire : c’est un peuplier, il s’agit fort probablement d’un peuplier baumier (aussi appelé peuplier noir pour son coeur noirâtre). Par opposition, le peuplier faux-tremble est communément qualifié de tremble. Dans le langage courant, il y a donc des peupliers et des trembles, et ce, bien que les deux soient des peupliers en réalité.

Sur la Côte-du-Sud, j’entends les noms frêne de rivage et frêne de grève pour désigner le frêne de Pennsylvanie (ou frêne rouge). Le frêne gras (frêne noir) s’emploie encore à l’occasion ici et là, mais moins souvent que les expressions franc frêne et frêne blanc pour qualifier le frêne d’Amérique.

En Montérégie, on me parle du noyer amer pour désigner le caryer cordiforme et du noyer blanc pour le caryer ovale. À plusieurs endroits, le cerisier d’Automne a encore les grâces devant son synonyme officiel, le cerisier tardif. Son petit cousin, le cerisier de Pennsylvanie porte parfois le nom de petit merisier. Puis, le cerisier à grappes personnifie le cerisier de Virginie.

Ma grand-mère disait cueillir de petites poires en parlant des amélanchiers. Le terme cormier s’utilise encore pour désigner le sorbier. Puis, à Granby, un cultivateur me parlait des cenelliers (aubépines) autour de ses champs.

Le terme épinette est utilisé à différentes sauces. L’épinette rouge fait référence au mélèze laricin pour plusieurs personnes. Le DHFQ souligne que l’épinette jaune peut désigner les épinettes noire ou rouge selon les régions, ce que j’ai aussi observé.

L’utilisation abondante du mot bois souligne d’abord le caractère utilitaire que nous entretenons avec la forêt. Ensuite, voici quelques exemples d’expressions avec le mot bois : le bois barré (érable de Pennsylvanie), le bois de fer (ostryer de Virginie, origine : qui fait crier les scies à chaînes), le bois blanc (tilleul d’Amérique), le bois d’orignal (viorne à feuilles d’aulne), le bois de plomb (dirca des marais), le bois de corde (bois variés destinés au chauffage ou aux pâtes et papiers), le bois inconnu (une espèce d’arbre non identifié) et le bois de service (bois scié pour un usage domestique sur une ferme). D’ailleurs, certains cultivateurs disent se garder du bois de réserve (une section de forêt en bois d’boutte [arbres sur pied]) au cas où la grange brûlerait.

 


LES EXPRESSIONS DÉCRIVANT LA FORÊT

D’abord, plusieurs expressions permettent de qualifier un boisé. On dit qu’on achète une terre à bois (lot forestier), une terre à sapins (lot majoritairement constitué de sapins), une terre de roches (très rocailleuse) ou une terre d’érables (lot majoritairement constitué d’érables). 

Ensuite, on peut tracer le portrait de certaines zones forestières. Par exemple, si l’on veut décrire un trajet, on peut employer les expressions : traverser une talle de hêtres, un rond de bois franc, une touffe de pins, une stripe de pruches, et ce, pour faire référence à un petit groupe d’arbres. On peut aussi parler d’un grand placard de bois mou en parlant d’une grande étendue de forêt résineuse. Pour parler d’une cédrière dense, on peut dire qu’il y fait noir comme dans le cul d’un cheval. Enfin, si on traverse une forêt de jeunes sapins très dense, on dit être dans du Saint Michel

En Beauce, lorsque certains hésitent à dégager les bouleaux jaunes opprimés, ils disent que les arbres détérrés (dégagés [origine probable : le verbe détourer qui consiste à enlever les arbres qui nuisent aux arbres d’avenir]) finissent par pousser en fleur (avoir une grosse tête très branchue). En Outaouais et sur la Côte-du-Sud, un pin à corneilles est un pin blanc qui possède beaucoup de branches, probablement en raison d’une ancienne attaque de charançon. En dégageant trop fort les bouleaux à papier, on dit qu’ils vont sécher d’boute au lieu de dire qu’ils vont mourir. Si le sous-bois est dense et sale (encombré), on peut dire qu’il manque de sarpage (de nettoiement). 

Enfin, on peut aussi définir les bordures de lots forestiers avec diverses expressions. Par exemple, on peut dire que son lot a été pleumé (coupé à blanc) jusqu’au trait-carré (la ligne de lot) ou qu’on a acheté une terre qui accote la bondrie (frontière [souvent utilisé pour la frontière américaine], origine anglaise : boundary line).


LES VOLUMES DE BOIS 

Pour décrire la quantité de bois contenue dans une forêt, le gouvernement mesure le tout en mètre cube solide à l’hectare, mais l’usage des cordes à l’acre est courant. Une forêt peut contenir 10, 20 ou 30 cordes à l’acre et certaines encore plus. Lorsque la longueur n’est pas précisée, le terme corde fait référence à une corde de 4 pieds de profondeur. Sachez néanmoins que les moulins achètent de plus en plus de bois de gros sciage à la corde de 12 ou de 16 pieds.


LE RELIEF

Un dévallage représente une descente naturelle ou aménagée pour les billots, spécialement pour les pitounes, soit des billots de 4 pieds de long. On utilise aussi les expressions : un gullé (une ravine, origine anglaise : gully), un terrain planche (plat), une baissière (petite dépression où l’eau ne se s’égoutte pas), une swompe (un marécage, origine anglaise : swamp), un ou une cric/crique de montagne (petit cours d’eau, souvent intermittent, origine anglaise : creek). On peut aussi dire que ça monte comme dans face d’un singe (très abruptement) ou qu’il y a du gros bois dans les écores de rivière (bord escarpé d’un cours d’eau ou d’une étendue d’eau [selon l’Office québécois de la langue française]).


L’ABATTAGE ET LES AUTRES TRAVAUX

Les utilisateurs de la scie à chaîne ont développé diverses expressions au fil du temps. Lors du limage de la scie, certains baissent les roqueurs (guides de profondeurs). La scie peut kicker (rebondir) si on ne fait pas attention. Il faut s’assurer que les traits de la natch/notch (entaille d’abattage) se rejoignent bien lors de l’abattage. Ce mot a même été dérivé en verbe : on peut natcher (faire une entaille d’abattage).

 

 

Un abatteur qui voit une grosse branche morte pendante au-dessus de la zone d’abattage, il la qualifie d’un faiseur de veuve, d’une faiseuse de veuve ou d’un matelot.

Lors du façonnage, on dit qu’on va botter (couper à la base, origine anglaise : to butt) le pied pourri et toper (couper l’extrémité du dernier billot, parfois ça fait référence à tous les billots) à, exemple, 4 pouces. Le bûcheron dit être content lorsque son le billot tient son bois, c’est-à-dire qu’il est plus cylindrique que conique (a un faible défilement). Si on n’a pas accompli un beau travail, on dit avoir travaillé en cabochon ou avoir cochonné son ouvrage.

Les débrousailleurs disent qu’il reste une patch de bois (une zone) à faire. Les planteurs cherchent les stashs (les sites de dépôt d’arbres) pour planifier leur travail. Les marteleurs vont aller plaquer du bois (mettre de la peinture sur les arbres ou marteler). Enfin, si on a un peu de temps libre, on ira ravauder ou pigrasser (travailler sur son lot).

 


LES OUTILS

Le pivé (origine : la marque d’outils forestiers Peavey Manufacturing), le cannedo’ye (origine anglaise : cant-dog) et le cantou (origine anglaise : cant-hook) désignent un tourne-bille. Il y a quelques différences entre ces outils, notamment sur la pointe terminale, mais leur usage reste comparable.

Sur de vieux sapins, votre cousin pourrait venir piquer les arbres à l’aide d’un pikoué (un outil spécialisé pour récolter la gomme). En Beauce, on utilise le terme gommeux, tant pour la personne qui réalise le travail que pour l’outil utilisé.


LE TRANSPORT ET LA MACHINERIE

Mettre ça su’l ti-boeuf signifie d’embrayer un tracteur sur une basse vitesse pour avoir plus de force. Une personne de Saint-Côme-Linière me confiait que l’expression mettre sur le gros boeuf a la même signification.

Les producteurs utilisant une garrette ou un skiddeur (origine anglaise : skidder) pour sortir le bois manoeuvrent une débusqueuse à câble. Garrett est une ancienne marque de débusqueuse. Ensuite, le skiddeur peut ramener une twitch, soit une quantité d’arbres suffisante pour faire un voyage complet. Pour ce faire, le bûcheron utilise les chokeurs ou les chokes, soit les élingues. 

Les chemins de halage (chemins de débardage) traversent parfois des zones humides. Dans ces cas, il faut les ponter (paver en bois [selon le DLFC]) pour ne pas faire de traces, de roulières ou d’ornières (trois synonymes).

Lorsqu’un grappel (une débusqueuse à grappin) est utilisé, on ramasse des bunchs (des tas d’arbres préparés par l’abatteuse groupeuse). Certains arbres sont parfois laissés sur le bord d’un sentier ou coupés en hauteur pour servir de bumpers, soit des arbres qui serviront de garde pour protéger le reste de la forêt des blessures occasionnées par le débardage.

Aujourd’hui, les abatteuses multifonctionnelles sont majoritairement à rouleaux, mais les multis « à stroke » se font parfois appeler des crosseuses.

On dit d’un porteur qu’il est sur la’ye (origine anglaise : lag) s’il a des chenilles plutôt que des roues. Sur le chemin du retour, le porteur peut traverser une calvette (ponceau, origine anglaise : culvert). Il va peut-être sortir la lo’ye (origine anglaise : log) en premier, soit débarder le bois de sciage avant celui destiné à la pâte. Puis, son déchargement se fait une clamée à la fois, soit la quantité de bois que peut contenir sa pince.

Pour faire virer (fonctionner) une machine à plein, on peut dire : tchiens ça accoté, c’est-àdire faire fonctionner le moteur au régime maximal. Si une hose (un boyau) se déconnecte, on dit qu’elle s’est déplottée.

En Estrie, on dit que les machines amènent le bois dans la garde (jetée ou aire d’empilement) ou même, la djarde dans l’est de la région. En remontant vers la Beauce, certains disent plutôt dans la lindaine (origine anglaise : log landing). Sous les piles de bois se trouvent les longerons, pour éviter le contact au sol. Dans certains lieux, ces morceaux deviennent des skids sous l’influence de l’anglais.

Une fois le bois chargé dans les camions, on compte parfois de trois à cinq arrimes ou tires (rangs chargés dans un véhicule [selon le DLFC]) de bois sur un voyage.

Lors d’un gros chantier comportant plusieurs kilomètres de chemin, on utilise parfois un chienneteux, soit un camion qui sert à chunter ou chienter (origine anglaise : shunter) le bois, c’est-à-dire transporter le bois jusqu’au bord du chemin avant que celui-ci soit pris en charge par un deuxième conducteur qui l’amènera jusqu’à l’usine. Les compagnies de transport en général et les usines ont aussi des chienneteux.

Une fois le chantier finit, il faut attendre la scale du moulin, soit la mesure officielle du bois. Puis, il reste dans la garde (aire d’empilement) qu’un amas de bougons. Ce mot, bien connu au Québec grâce à la série télévisée éponyme, désigne plutôt un ensemble des petits bouts de bois de dimensions non utilisables. Cette définition n’existe plus dans les dictionnaires Le Robert ou Larousse, mais selon le DLFC, un bougon peut être un morceau de bois.

Le mot pitoune, qui représente une bille de 4 pieds destinée à la fabrication de papier, s’utilise encore ici et là, surtout dans l’expression crochet à pitoune qui représente un outil appelé crochet à bois. Pitoune a aussi une signification très différente. Ma grand-mère, alors qu’elle travaillait dans un camp forestier, nous faisait des pitounes, soit des crêpes de sarrasin. On disait d’elle qu’elle était à la cookerie (la cuisine) du campe (camps).


ACÉRICULTURE

Les équipements acéricoles ont aussi leur petit nom. Voici des exemples. On parle du dompeur pour le relâcheur, du champion pour la bouilleuse, de l’écrémeuse pour le séparateur et des broches à twister (broche à enrouler). Ensuite, on fait référence aux érables ayant une forte coulée en les qualifiant de grosses couleuses. Parfois, on modifie aussi la prononciation de certains mots. Par exemple : l’érable a une bonne croouéssance. Avouez que ça l’air de mieux pousser qu’utiliser le mot croissance.


ANGLAIS VERNACULAIRE

Le français n’a pas la panacée des noms vernaculaires. Avec l’aide de quelques forestiers anglophones de Frelighsburg et de Cookshire, j’ai tenté de bien cerner quelques surnoms, sans chercher de traductions officielles.

En anglais, le balm of Gilead désigne le peuplier baumier, le musclewood peut désigner le charme de Caroline, le hardhack ou le ironwood réfère à l’ostryer de Virginie selon la région. L’érable à sucre est le hard maple alors que l’érable rouge est le soft maple. Le swamp ash s’alterne avec le brown ash pour désigner le frêne gras (frêne noir). Le dirca des marais (ou bois de plomb) est parfois appelé wickabee.

 


 

 

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