Articles hiver 2025

La préparation de terrain; comment la moduler en présence de nerprun

La préparation de terrain est une étape courante des projets de boisement ou de reboisement. Elle consiste souvent à gérer les débris ligneux en place et à perturber le sol de façon à créer un milieu propice à l’installation et à la croissance de jeunes plants. Avec l’arrivée des espèces exotiques envahissantes, comme le nerprun bourdaine, nous sommes appelés à repenser nos techniques d’aménagement. Découvrez dans cet article les résultats d’un essai de préparation de terrain réalisé sur un site où l’envahissement du nerprun était catastrophique.

LE NERPRUN BOURDAINE

Le nerprun bourdaine est un arbuste exotique envahissant. Sa propagation efficace et sa croissance rapide combinées à sa capacité à obstruer la lumière au sol font de lui un compétiteur hors du commun. Lors d’envahissements majeurs, le nerprun peut empêcher la régénération de la quasi-totalité des autres espèces. Il est donc une menace réelle pour la diversité et la pérennité de certaines forêts.

 

LE CAS D’UNE PLANTATION DE COOKSHIRE

Sur un terrain municipal de la municipalité de Cookshire se trouvait une plantation d’épinettes blanches et de quelques épinettes de Norvège ayant atteint leur pleine maturité (photo d’en-tête). Le sous-bois était entièrement envahi par le nerprun bourdaine. Les plantes basses étaient quasi absentes et seule une poignée de feuillus s’était fait une place dans le peuplement au fil des décennies.

Le seul traitement sylvicole envisageable avec ce peuplement était une coupe finale (Figure 1) suivie d’une remise en production par le biais de la plantation d’arbres. Cependant, comment peut-on assurer une survie et une croissance satisfaisante des nouveaux arbres dans ce contexte? Personne n’avait de solutions faciles. Une expérience était donc tout indiquée.

 

 

Les intervenants impliqués dans le dossier (la municipalité de Cookshire, le Groupement forestier des Cantons et l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie) se sont concertés pour planifier une stratégie. Ils voulaient, autant que possible, limiter le retour du nerprun afin de donner aux nouveaux arbres un maximum d’espace et de temps pour croître. Utiliser le hersage, qui est une technique de préparation de terrain très utilisée en Estrie, est peu efficace en présence de vieilles souches d’arbres et aurait généré un risque, celui de stimuler une régénération rapide et agressive du nerprun.

Rappelons que sans technique adaptée, les nouvelles plantations en milieu ouvert préalablement occupées par le nerprun sont rapidement envahies par ce dernier. Ensuite, des entretiens (ex. débroussaillage) sont nécessaires, et ce, bien plus fréquemment qu’en l’absence de plantes exotiques envahissantes. D’ailleurs, il n’est pas rare que dans de tels cas, un entretien soit nécessaire dès la première année de la plantation alors qu’en l’absence de nerprun, les plantations résineuses sont entretenues pour une première fois lors de la troisième année en moyenne.

Ensuite, rappelons que la coupe du nerprun à sa base (ex. le débroussaillage) stimule grandement ce dernier à produire des rejets (Figure 2), ce qui augmente la fréquence des besoins en entretien. Une plantation résineuse classique dont le site a eu une préparation de terrain préalable a besoin en moyenne de deux à trois entretiens en l’absence de nerprun alors qu’en présence de celui-ci, le nombre d’entretiens nécessaire dépasse les trois fois. Jusqu’à cinq entretiens peuvent être nécessaires avant que les jeunes arbres soient libres de croître.

Peu importe le nombre d’entretiens nécessaire, tout débroussaillage additionnel génère des frais supplémentaires pour le propriétaire, d’autant plus qu’un nombre restreint d’entretiens, soit trois, sont présentement admissibles au Programme d’aide à la mise en valeur des forêts privées (PAMVFP).

Le tout est sans compter les effets directs du nerprun sur les arbres en plantation, soit un ralentissement de la croissance et une hausse de la mortalité par étouffement.

 

CONTRECARRER LE NERPRUN

Pour réduire au maximum le retour du nerprun suite à une préparation de terrain, il faut s’attarder aux stratégies de reproduction du nerprun. Le nerprun peut se régénérer végétativement, surtout à partir des souches. Ensuite, cet arbuste produit une quantité impressionnante de fruits et de graines qui demeurent viables quelques années dans le sol. Bien que les semences au sol puissent être d’une très grande abondance, les rejets de souche sont la première menace des jeunes plantations. Comme les rejets peuvent compter sur un système racinaire bien établi, les plants issus de rejet ont généralement une croissance rapide et imposante.

Une stratégie efficace de contrôle du nerprun devrait donc éliminer autant que possible les souches de nerprun. Avec de jeunes nerpruns, un arrachage manuel, avec ou sans outil, est possible sur une superficie limitée. Dans le cas de projets plus imposants, l’arrachage avec des outils mécanisés est à envisager.

 

L’EXPÉRIENCE RÉALISÉE À COOKSHIRE

Dans le cas du projet de Cookshire, un arrachage manuel était inapplicable. La superficie à traiter était grande : 6,4 ha. De plus, les nerpruns étaient très denses, volumineux et avaient un réseau racinaire bien développé. Pour cette raison, la stratégie choisie par les intervenants du projet fut d’arracher les souches de nerprun à l’aide d’une pelle mécanique et de regrouper les débris ligneux en andains (Figures 3 et 4) avec une « pelle-peigne ».

Les digues de débris ont été orientées en fonction de la pente du terrain afin de ne pas affecter le drainage du site. De plus, des ouvertures ont été planifiées dans les andains afin de permettre une circulation au travers du site.

 


 

PLANTATION DES ARBRES

Au printemps 2023, les arbres ont été plantés, soit un mélange d’épinettes blanches et de pins rouges, selon une densité d’environ 2 000 tiges par hectare. À noter : une cinquantaine de peupliers hybrides et chênes rouges avec protecteur ont été plantés sur mon- ticule pour une seconde expérience, mais les résultats de cet essai seront présentés ultérieurement.
 
Aucun suivi quantitatif de la survie des arbres n’a été effectué considérant que le responsable du chantier n’a pas observé de mortalité justifiant un tel relevé et encore moins, un regarni.

 

RÉSULTAT DE L’EXPÉRIENCE

Un décompte des tiges de nerprun présentes sur le site a été réalisé après l’arrachage des souches de nerprun en septembre 2022 ainsi qu’après une année, soit en septembre 2023. Il y avait en moyenne 10 167 tiges/ha après la préparation de terrain et 93 250 tiges/ha en 2023. Cela peut paraître énorme, mais l’analyse des classes de hauteur (Tableau 1) nous informe davantage sur la pression de compétition engendrée par le nerprun.

 

 

Ces résultats démontrent qu’une quantité de nerprun de faible hauteur persiste à la suite d’un arrachage par pelle mécanique. Néanmoins, l’évolution du nombre de nerpruns par classe de hauteur indique que la grande majorité des nouveaux nerpruns sont de jeunes semis issus de graines.

Au-delà des résultats de dénombrement, les photographies prises à l’an 2 (septembre 2024) du site expérimental sont encore plus explicites (Figure 5). Les images 5A et 5B présentent des zones de plantation de pins rouges et d’épinettes blanches. Vous voyez en avant-plan les zones traitées et plantées. Les arbres ne subissent pas de compétition significative pour la lumière. Le nerprun est de petite taille et dispersé dans ces zones (à l’exception des andains visibles en arrière-plan). Une graminée s’est bien développée et génère possiblement une pression compétitive sur le nerprun. Heureusement, la croissance des résineux est peu affectée par les graminées. Ces dernières sont donc les bienvenues en plantation résineuses, surtout en présence de nerprun.

Sur l’image 5C, on remarque de jeunes semis de nerprun. Comparativement au jeune pin rouge adjacent (dont on voit uniquement la base), ils sont très petits et n’exercent aucune pression compétitive pour la lumière sur le pin.

De plus grands nerpruns persistent néanmoins sur le site expérimental. Sur l’image 5D, on voit une souche résiduelle d’épinette issue de la coupe finale. Comme les souches de nerprun accolées aux souches d’épinette étaient extrêmement difficiles à arracher lors de la préparation de terrain, un bon nombre de celles-ci ont été maintenues. Ces dernières ont produit de nom- breux rejets. Néanmoins, comme ces rejets sont localisés, ils n’exercent, pour l’heure, aucune pression significative sur la majorité des jeunes plants de pins rouges et d’épinettes blanches.

 

 


 

LA SUITE DE CETTE EXPÉRIENCE

À l’automne 2024, aucune pression compétitive ne justifiait un dégagement des tiges après deux saisons de croissance. Ceci est une réussite en soi, car plusieurs plantations fortement envahies par le nerprun doivent être débroussaillées dès une année de croissance écoulée.

Le site sera réévalué périodiquement pour vérifier l’efficacité et la durabilité du traitement. De plus, un nouveau dénombrement des tiges de nerprun sera réalisé en 2025 par l’Agence de mise en valeur de forêt privée de l’Estrie.

 

L’ARRACHAGE SUR TERRE PRIVÉE

Le besoin de trouver des solutions face au nerprun est tellement important en Estrie (et ne devrait pas tarder dans les autres régions) qu’environ sept arrachages mécanisés ont déjà été réalisés en forêt privée au cours des deux derniers automnes.

Aucun résultat quantitatif n’est disponible quant à l’efficacité de ces arrachages (certains ayant été réalisé à l’automne 2024). Seuls les premiers arrachages, réalisés à l’automne 2023, ont permis d’observer qualitativement les effets du traitement au cours d’une saison de croissance. Bien qu’aucune mesure précise n’ait été relevée, les meilleurs résultats semblent à première vue observables sur les terrains bien drainés. De plus, un décapage du sol trop prononcé semble nuire au taux de survie des plants. De plus amples suivis et essais pourront nous en dire plus.

L’un des contremaîtres ayant supervisé certaines des opérations a soulevé une précaution pouvant limiter ou éviter les bris aux équipements. Selon lui, les nerpruns denses ou d’une hauteur de 2 m et plus devraient préalablement être coupés. Il a aussi remarqué qu’un bon nombre de souches de nerprun se trouvent à proximité des souches d’arbre. En tentant d’arracher ces nerpruns, les souches d’arbres sont généralement entraînées, surtout dans le cas des épinettes blanches qui ont un système racinaire superficiel. Tenter d’arracher ces nerpruns pourrait rendre l’arrachage fastidieux, en plus d’accroître la taille et la quantité de débris à mettre en andains. Enfin, arracher les souches d’arbres en même temps que celles des nerpruns pourraient rendre le travail particulièrement exigeant pour les équipements et engendrer de potentiels bris mécaniques.

 

ÉVALUATION DES COÛTS DU TRAITEMENT

Comme les traitements d’arrachage mécanisé en sont à leurs débuts, la productivité et les coûts d’opération sont certainement appelés à varier. On peut penser qu’ils pourraient s’uniformiser davantage avec le temps considérant que les opérateurs devraient peaufiner leur technique avec l’expérience. Néanmoins, voici quelques informations relatives aux sept premiers arrachages. Les traitements ont pris en moyenne 6,5 heures par hectare. Côté coût, c’est très variable. Comme le déplacement de l’équipement est un coût fixe, la superficie à traiter a un effet direct sur le coût à l’hectare. Par exemple, un très petit projet a coûté 1 000 $ l’hectare au propriétaire (service clé en main) alors que d’autres n’en ont coûté que 373 $ l’hectare (plus un supplément en contribution de base de 200 $). Pour bien analyser la différence de coût, il faut s’attarder à l’expérience des opérateurs. Le très petit projet a été réalisé par un opérateur de pelle n’ayant jamais répondu à une telle demande. Sa soumission était donc à l’image des risques qu’il encourait, dont une absence d’informations quant au temps nécessaire pour la réalisation d’un tel traitement.

Tous les exemples cités précédemment ont pu bénéficier du PAMVFP (déblaiement avec excavatrice « pelle-peigne ») de l’Agence, soit une subvention à la hauteur de 1 278 $ l’hectare (selon la grille des taux d’investissement 2024-2025). Les coûts aux propriétaires cités intègrent donc déjà cette déduction et représentent des coûts directs à un projet clé en main réalisé par un conseiller forestier, et ce, pour un propriétaire admissible au PAMVFP.

Si l’on compare ces coûts aux tarifs moyens de travaux classiques, on remarque que l’arrachage mécanisé de nerprun peut rapidement devenir économiquement avantageux si l’on peut éviter certains dégagements au fil de la croissance d’une plantation. Par exemple, un traitement de débroussaillement et déblaiement avec forte compétition coûte 413 $ par hectare plus 100 $ de contribution de base, et ce, pour un service clé en main de travaux subventionnés selon la carte des tarifs d’un conseiller régional. Si les travaux ne peuvent être subventionnés (ex. : quatrième ou cinquième dégagement de plantation), les coûts seront évidemment plus élevés.

 

RECOMMANDATIONS

Avant de lister certaines recommandations, nous voulons vous mettre en garde. Très peu d’arrachages mécanisés ont été réalisés et un seul a fait l’objet d’un relevé de résultats préliminaires. Les recommandations qui suivent sont par conséquent des conseils très sommaires et sont sujettes à changements au fil des découvertes.

Tout propriétaire et professionnel devrait d’abord rester à l’affût de la présence de nerprun lors de la réalisation de projets de plantation (ou de tout autre aménagement forestier). Ensuite, il devrait envisager des stratégies d’adaptation à la présence du nerprun. L’arrachage, manuel et mécanisé, est une option. Pour réaliser un arrachage mécanisé, les nerpruns devraient être assez gros pour être facilement agrippés par la pelle mécanique. Il faut se rappeler qu’il y a généralement des nerpruns autour des souches d’arbre et tenter d’arracher ces nerpruns en particulier peut être une intervention ardue. Enfin, il serait avisé d’effectuer des suivis fréquents en présence de nerprun afin d’intervenir rapidement lorsque nécessaire.

 

REMERCIEMENTS

Nous remercions le Groupement forestier des Cantons et le Groupement Forestier Coopératif St-François de leur aide pour la rédaction de ce texte ainsi que de leur ouverture et transparence vis-à-vis leurs résultats et coûts moyens de leurs essais d’arrachage mécanisé.
 


 

 

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