Articles hiver 2025

La belle histoire de la luxuriante Forêt Drummond

Des plantations de superbes pins et d’épinettes de plus de 90 ans n’existeraient pas de nos jours sans l’abandon, à la fin des années 1930, d’un projet de barrage sur la rivière Saint-François à la hauteur de Saint-Joachim-de-Courval (annexé à la ville de Drummondville en 2004), en aval de Drummondville. Le promoteur, la compagnie Southern Canada Power (Southern), a remplacé le projet de barrage par un audacieux programme de reboisement sur ses terres riveraines qui devaient être inondées à l’origine.

LE TERRITOIRE DE LA FORÊT DRUMMOND

Le territoire actuel de la Forêt Drummond, situé le long de la rivière Saint- François, a une superficie de 2 880 ha et couvre les municipalités de Drummondville, Saint-Majorique et Saint-Bonaventure. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) y détient un verger à graines de première génération s’étendant sur une trentaine d’hectares. Sur le territoire actuel, 39 % sont issus de plantations en lots privés achetés par la Southern entre 1926 et 1953. Cette forêt a été créée de toutes pièces. Sans ces plantations, la Forêt Drummond n’aurait possiblement jamais vu le jour. Depuis 2018, à la suite d’une entente avec Hydro-Québec, le principal propriétaire est la MRC Drummond qui a créé le Parc régional de la Forêt Drummond.

 

L’ÉPOQUE DE LA SOUTHERN (1926-1962)

La compagnie Southern Canada Power achète en 1914 l’usine de production d’électricité ainsi que le réseau de distribution de la ville de Drummondville et s’installe vers 1920 près de l’actuel parc Sainte-Thérèse, soit sur le site d’une ancienne scierie construite en 1913 avec comme objectif de produire et vendre de l‘électricité. Un premier barrage est construit en 1925 à la hauteur des chutes Hemmings.

Un deuxième barrage est prévu à la hauteur de Saint-Joachim-de- Courval sur l’île Jersey, dans un secteur nommé Spicer Falls, en aval de Drummondville. Afin de donner suite à ce projet, vers 1925, la compagnie achète, à bon prix, de nombreux lots avoisinants afin de former un bassin de rétention artificiel.

Un compétiteur, la compagnie St. Francis Hydro-Electric, s’oppose à la construction du barrage Spicer Falls. Bien que le Conseil Privé, une cour de Londres, tranche en 1937 et statue que la Southern est propriétaire des terres avoisinantes et du lit de la rivière Saint-François et qu’elle a le droit de construire des barrages sur ses terres, le contexte économique et l’approche de la Deuxième Guerre mondiale amènent la compagnie à renoncer à son projet à la fin des années 1930.

Alors, une idée que l’on peut qualifier d’avant-gardiste surgit, soit de reboiser tous les lots acquis depuis les années 1925. C’est le début d’une belle histoire. La compagnie y voit une occasion de produire des poteaux de transport d’électricité.

 

 

 

Au début des années 1940, face à l’impossibilité de se procurer suffisamment de plants de reboisement des pépinières gouvernementales québécoises et même de partout au Canada, la compagnie crée sa propre pépinière en 1943 à Saint-Joachim-de-Courval à la suggestion de l’ingénieur forestier Elwood Wilson (conseiller de 1942 à 1947). Par la suite, Lorenzo Morin, formé à la pépinière gouvernementale de Berthierville, lui succède. Une division forestière est créée au sein de la Southern. En 1958, la pépinière déménage à Saint-Majorique sur un sol sablonneux beaucoup plus riche. La productivité est alors quintuplée.

 

 

« L’oeuvre de reboisement de la Southern Canada Power débuta modestement en 1926 par la plantation de quelques arbres, afin d’améliorer l’apparence des terrains qui entouraient ses usines électriques. En 1933, on était arrivé à planter en moyenne annuellement 8 500 arbres. En 1948, on planta en tout 89 000 arbrisseaux parmi lesquels : des épinettes de Norvège, des épinettes noires, des pins rouges et des bouleaux. » Le reboisement lot par lot au cours des années 1940 et 1950 se fit en plusieurs étapes avec diverses essences, dont des pins rouges, des épinettes blanches, des épinettes de Norvège, des mélèzes européens, des frênes blancs, des chênes rouges et des bouleaux jaunes.

 

 

UNE JOURNÉE FORESTIÈRE À DRUMMONDVILLE

« Le comité régional des fermes forestières des Cantons-de-l’Est tenait une assemblée spéciale le 3 juin dernier (1958), à Drummondville. Les membres étaient, à cette occasion, les hôtes de la compagnie Southern Canada Power. M. J. L. Morin, en charge des opérations forestières de la compagnie, fit visiter les travaux de reboisement effectués depuis trente ans dans la région. Plusieurs explications très intéressantes furent fournies par M. Morin et il y eut de nombreux échanges d’idées entre les techniciens présents. M. Morin nous fit visiter aussi la nouvelle pépinière qu’il a aménagée sur les bords de la rivière Saint-François. La journée fut splendide et très instructive. La compagnie Southern Canada Power et M. Morin ont reçu les membres du comité d’une façon parfaite. »

 

 

UN NOUVEL OBJECTIF : LA FAUNE

La division forestière de la Southern constate à la fin des années 1940 une baisse importante du gibier sur ses terres. Une nouvelle mission s’ajoute alors à la division forestière, soit d’implanter de la faune (faisans, cerfs de Virginie, etc.). En 1951, un sanctuaire de chasse est créé dans la municipalité de Saint-Majorique dont l’objectif est de protéger la faune. Ce statut ne fut pas renouvelé après 1958.

 

L’ÉPOQUE D’HYDRO-QUÉBEC (1963-1993)

En mai 1963, dans la foulée de la deuxième phase de la nationalisation par le gouvernement du Québec des principales compagnies d’électricité privées, connue sous le slogan politique « Maître chez nous », la Southern passe sous la gouverne d’Hydro-Québec .

Cette société d’État devient alors propriétaire des terres et des installations de la Southern à Drummondville. Au cours d’une période dite de transition de 1963 à 1978, Hydro-Québec diminue progressivement les activités sur ses terres. La pépinière est alors fermée.

Les plantations et la forêt naturelle ont néanmoins besoin d’entretien. En 1978, Hydro-Québec et le ministère de l’Énergie et des Ressources (MER) conviennent d’une entente qui permet d’assurer la gestion et l’aménagement de la forêt. Quelques années plus tard, une première étude d’aménagement, dite préliminaire, propose des travaux sylvicoles à réaliser : des éclaircies commerciales dans les plantations, des travaux de drainage, la construction de chemins et la plantation de feuillus nobles. La récolte de bois s’intensifie. Hydro-Québec procède alors à de nombreux investissements, notamment pour la construction de chemins.

Les plantations ont maintenant plus de 45 ans. Une faune diversifiée s’installe et on note une augmentation rapide du nombre de cerfs de Virginie et de castors. De plus, l’orignal s’installe également.

En 1982, Hydro-Québec vend quelques terrains au MER (devenu alors le ministère des Ressources naturelles et de la Faune - MRNF) afin de permettre la création d’un Centre forestier éducatif (La Plaine) au sein de ce qui deviendra la « Forêt Drummond » en 1990. Des centaines d’étudiants y sont initiés à la conservation de la nature. Cependant, le centre est fermé en 1993 dans la foulée de la fin de la mission éducative du MRNF. L’entente entre le MRNF et Hydro-Québec n’est pas renouvelée.

 

 

Parmi ces groupements forestiers, mentionnons le Groupement forestier Nicolet-Yamaska, la Société sylvicole Arthabaska-Drummond et Proformen. Le financement des travaux, des plans d’aménagement quinquennaux et des diverses études est assuré par des programmes du Ministère et par la création d’un fonds généré par la vente des bois récoltés, dont le niveau correspond à 25 % de la possibilité forestière. Des activités récréotouristiques sont organisées avec des organismes locaux, incluant l’aménagement de pistes cyclables intégrées, aujourd’hui intégrées à la Route verte.

Au fil des années, de nombreux groupes montrent un vif intérêt pour la Forêt Drummond. Son accessibilité facile en bordure de l’autoroute Jean- Lesage en fait un lieu d’observation de sa grande diversité pour des producteurs forestiers, des chercheurs ainsi que des étudiants de niveaux collégial et universitaire.

 

L’ÉPOQUE DE LA FORÊT DRUMMOND (1993 À AUJOURD’HUI)

Cette époque se subdivise en trois phases dont les années ne sont pas toujours distinctes.

PHASE DE TRANSITION

Peu à peu, le MRNF cesse sa participation et souhaite que la MRC Drummond prenne la responsabilité de ce territoire. Un comité multiressources piloté par la MRC analyse diverses formules ainsi que les demandes d’accès au territoire.

PHASE DE NÉGOCIATION ENTRE HYDRO-QUÉBEC ET LA MRC DRUMMOND

En 1998, Hydro-Québec propose un contrat de gestion à la MRC Drummond. La MRC souhaite se voir aussi confier la gestion des terres qui appartiennent au MRNF. Même si un nouveau programme mis en place vers 2003 au Ministère vise à confier la gestion de terres publiques sans contrat d’aménagement et d’approvisionnement forestier (CAAF) dans le cadre d’une convention de gestion territoriale (CGT), les discussions se poursuivent avec la MRC Drummond.

 

 

Entre-temps, un inventaire forestier est fait en 1997 et par la suite, un premier plan d’aménagement forestier quinquennal 1998-2002 est réalisé par la Société sylvicole Arthabasca-Drummond. Le plan comprend une description détaillée de chaque peuplement et des interventions prévues. Deux scénarios de stratégie sylvicole sont élaborés et celui retenu est basé sur la récolte de 4 500 m³ solides, dont 50 % de bois feuillus et 50 % de bois résineux. Le volume moyen annuel récolté au cours des 29 dernières années est évalué à environ 2 200 m³ solides.

La Forêt Drummond a subi plusieurs dommages, dont plus de 10 ans d’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette entre 1995 et 2007 en plus de dégâts importants causés par la tempête de verglas de 1998. Des coupes de récupération ont été effectuées, mais plusieurs secteurs n’ont pu être traités. Des chablis ont également causé d’importantes pertes de volumes de bois.

Un deuxième plan d’aménagement forestier quinquennal (2003- 2008) fut réalisé et alimenté notamment par un deuxième inventaire forestier. À noter qu’aucun autre inventaire forestier n’a été réalisé depuis.

 

 

PHASE DU PARC RÉGIONAL DE LA FORÊT DRUMMOND

En février 2008, le Bloc vert, un organisme régional à but non lucratif dédié à la conservation de l’environnement, organise un colloque où près de 70 personnes échangent sur l’avenir de la gestion de la Forêt Drummond. Pierre Jean participe à cette rencontre. Plusieurs informations du présent texte viennent d’ailleurs de sa présentation.

 

LES PLANTATIONS

Environ 1 000 ha du territoire de la Forêt Drummond proviennent de plantations (39 %), dont les principales essences indigènes dominantes sont le pin rouge et l’épinette blanche. On note aussi plusieurs épinettes de Norvège et quelques essences exotiques (pin Ponderosa et sapin de Douglas). Des feuillus nobles (chêne rouge, érable, bouleau blanc, noyer) sont mis en terre à partir de 1987.

 

 

Dans les années 1990, de nombreuses études de caractérisation dendrométriques pour des essais d’éclaircie commerciale dans les plantations de la Forêt Drummond ont été réalisées, notamment par les chercheurs Valère Bertrand et Gilles Sheedy du ministère responsable.

Dans l’un des rapports, on peut lire que l’épinette blanche traitée en 1989 présente un accroissement annuel moyen de 5,2 m3 par hectare pour des arbres âgés de 23 ans. Le tableau 2 montre que le pin rouge et l’épinette de Norvège performent très bien, selon ces études.

 

 

Les plantations jouent un rôle d’abri et de nourriture pour la faune qui évoluent selon leurs stades de croissance. Divers aménagements fauniques ont été réalisés pour plusieurs espèces, dont pour le roi de la forêt, le cerf de Virginie, ainsi que pour la bécasse d’Amérique, la sauvagine, le merle bleu, le canard branchu, l’élan d’Amérique, le castor, le porc-épic et la gélinotte huppée.

 

LA FORÊT NATURELLE

Les forêts naturelles constituent la majorité de la Forêt Drummond. À noter : certaines parties de plantations, maintenant à maturité, font peu à peu place à une nouvelle régénération et forment dorénavant une forêt naturelle. L’érable rouge et la pruche sont bien représentés dans les peuplements feuillus et mélangés alors que les peuplements résineux (au nord du secteur de Saint-Joachim-de-Courval) sont constitués de sapins baumiers, d’épinettes rouges, de mélèzes, de thuyas et de pins blancs. Il est d’ailleurs possible de voir percher très haut de majestueux pins blancs et quelques pruches géantes.

 

 


EN SAVOIR PLUS

Consultez l’article original publié dans Histoires forestières du Québec (vol. 16. no 2, automne-hiver 2024), revue de la Société d’histoire du Québec. 

 

Liste des références

  • St-Jean, Carl (2000), De la forêt de la Southern Canada Power Co. à celle d’Hydro-Québec : un projet de grande envergure pour Saint-Joachim-de-Courval, 67 p. plus annexes.

  • Bloc Vert (2008), Colloque sur l’avenir de la Forêt Drummond. Rapport synthèse, 64 p.

  • Jean, Pierre (2008), Forêt Drummond – 80 ans et des millions d’arbres plus tard, présentation PowerPoint. 50 diapositives.

  • La semaine verte (radio-canada.ca) ; reportage, 23 février 2003

  • Bertrand, Valère. Élaboration de tables de production pour des plantations ayant subi des traitements sylvicoles. Ministère des Forêts. 1992. 13 p.

  • Méric, Jacques-François (1982), Étude d’aménagement de la Forêt Drummond (non disponible).

  • Forêt Québécoise, mai-juin 1949, volume 14, no 5, pp. 324-325

 

 

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