Articles hiver 2024

Haies agroforestières : un potentiel de boisement et de séquestration de carbone tout en productivité!

Connaissez-vous l’agroforesterie? Empruntant le préfixe agro-, parent des mots agricole et agriculture, cette famille de systèmes cherche à amener l’arbre – ou à le ramener – dans les champs cultivés et les pâturages. Gros plan sur deux projets de recherche en agroforesterie menés par l’équipe de David Rivest, chercheur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée et professeur à l’Université du Québec en Outaouais.

Loin d’être une nouvelle pratique, l’intégration des d’arbres en milieu agricole était autrefois la norme plutôt que l’exception dans plusieurs régions du monde. Prenons l’exemple des bocages, paysages formés de champs et de pâturages enchevêtrés de haies boisées denses, présents dans les campagnes françaises depuis plusieurs centaines d’années.


On redécouvre toutefois les avantages de la présence d’arbres et d’arbustes en milieu agricole, souvent en bordure des champs, notamment dans les champs consacrés aux grandes cultures. Aménagés sous forme de haies, les arbres protègent cultures, animaux, bâtiments et sols contre l’effet du vent. La largeur de la zone protégée du vent pouvant atteindre jusqu’à 20 fois la hauteur des arbres! Par exemple, une haie composée d’arbres hauts de 20 m peut protéger une superficie large de 400 m, ce n’est pas rien! De plus, leur présence en milieu agricole diminue la pollution dite diffuse, c’est-à-dire sans source précise. La qualité de l’eau et de l’air s’en trouve donc bonifiée, tout comme la biodiversité des milieux agricoles. Plusieurs petits animaux y trouvent habitat et nourriture, autant dans les parties aériennes que souterraines. La haie favorise notamment les insectes pollinisateurs si importants en agriculture ainsi que certaines espèces d’oiseaux. La flore y trouve, elle aussi, son compte en s’établissant spontanément dans les haies au fil du temps, sous la canopée.

Dans le laboratoire de David Rivest, à l’Institut des sciences de la forêt tempérée, l’agroforesterie est au cœur des projets de recherche. En voici deux qui ont été menés dans les dernières années.

 

 

La survie, la croissance et la qualité des fûts des arbres dans les haies

Pour autant qu’on remplace les quelques arbres n’ayant pas survécu à la plantation, opération habituellement menée dans les deux premières années, le taux de survie dans les conditions rencontrées en agroforesterie est très satisfaisant. Lors d’un projet de recherche portant sur l’établissement des arbres de haies agroforestières un peu partout en Montérégie ainsi que dans les MRC de Brome-Missisquoi et de la Haute-Yamaska, un taux de survie global moyen de 86,4 % a été mesuré. L’échantillonnage, comptabilisant plus de 4 700 arbres, a été fait sur 40 km de haies agroforestières brise-vent situées sur 37 fermes. Les haies à l’étude, des haies brise-vent et des bandes riveraines arborées, étaient situées en bordure de champs cultivés. La majorité des haies évaluées comptaient une seule rangée de végétaux ligneux. Certaines étaient composées de deux ou trois rangées parallèles. La survie des jeunes arbres semblait être reliée au pH du sol; plus les sols étaient alcalins, plus la mortalité était élevée.

Au cours du même projet, des mesures de hauteur et de diamètre à hauteur de poitrine (DHP) ont été prises sur près de 2 400 arbres. Ceci a permis de mesurer des taux de croissance annuels pour les espèces d’arbres les plus souvent rencontrées lors de l’échantillonnage. Résultat : les arbres agroforestiers ont des taux de croissance comparables à ceux observés en plantation forestière, voire même supérieurs (tableau 1)! En effet, comme ces arbres jouissent la plupart du temps d’une exposition directe au soleil ainsi qu’aux engrais agricoles (par dérive et lixiviation), leur croissance s’en trouve favorisée.

 

 

À l’aide des mesures de hauteur et de DHP, nous avons analysé l’impact d’une vingtaine de facteurs sur la croissance des neuf espèces les plus répandues dans notre échantillon (tableau 1). Les résultats les plus probants montrent de forts effets positifs de la maîtrise de la végétation spontanée compétitrice (peu importe la manière) et de la préparation mécanique du sol avant la plantation sur la croissance des épinettes blanches et des frênes, respectivement. Quelques autres facteurs ont aussi montré des effets significatifs sur la croissance de certaines espèces, mais leurs effets négligeables ne méritent pas qu’on s’y attarde vraiment.

La qualité des fûts d’essences à bois noble plantées en haies agroforestières a aussi été évaluée dans la foulée du projet. On cherchait ainsi à voir si les arbres exposés à de forts vents (une des raisons principales pour laquelle les arbres sont d’ailleurs plantés!) avaient un potentiel de commercialisation intéressant. Il en ressort que 55 % des arbres d’essences à bois noble présentaient des défauts (p. ex. des troncs courbés, des fourches) qui diminuent la qualité des billes pour certains objectifs de production comme le sciage. Or, les arbres qui avaient reçu des tailles de formation présentaient moins de défauts majeurs que les arbres n’en ayant pas reçu (respectivement 55 % et 65 % d’arbres avec défauts majeurs). Une proportion importante des arbres plantés dans les haies pourrait donc présenter un certain potentiel commercial dans le marché du bois d’œuvre, pourvu qu’ils soient entretenus adéquatement.

 

La séquestration de carbone dans le sol et les arbres des haies

Dans une partie des haies étudiées pour la survie et la croissance des arbres, un bilan carbone (C) a été effectué (22 fermes, 36 haies, 108 parcelles, 432 échantillons composites de sol). Ces haies ont été classées selon  : 

  • leur âge (18 de moins de 15 ans, 18 plus vieilles);

  • leur composition (13 de conifères [> 65 %], 16 mixtes et 7 de feuillus [> 65 %]);

  • leur sol (18 sur des sols plus lourds [> 35 % argile], 18 sur des sols plus légers);

  • ainsi que le type de paillis utilisé à la plantation (15 avec plastiques individuels ou aucun paillis, 21 avec plastique en bande). 

Le sol minéral a été échantillonné jusqu’à une profondeur de 50 cm sous chacune des haies et à 40 m de chacune d’elle dans le champ adjacent (témoin agricole). Les données dendrométriques (DHP et hauteur) ont permis d’estimer la séquestration de carbone dans les parties aériennes et souterraines des arbres en utilisant principalement les équations allométriques du Service canadien des forêts et un facteur de correction de 1,2. Ce facteur est nécessaire étant donné l’atténuation de la dominance apicale dans un contexte agroforestier et par conséquent, une couronne plus large contenant plus de biomasse.

Globalement, les stocks de carbone du sol sous les haies (72 ± 4 tC/ha; moyenne ± erreur type) ne différaient pas de ceux trouvés à 40 m de celles-ci (72 ± 4 tC/ha), et ce, pour une masse de sol équivalente de 3000 t/ha (environ de 0 à 25 cm). Cette méthode de masse équivalente a été utilisée afin de comparer correctement entre eux des sols de densité variable malgré l’échantillonnage avec profondeur fixe, ce qui est particulièrement pertinent dans un contexte agroforestier. Par exemple, la densité apparente des sols sous les haies (1,34 ± 0,01 g/cm3) était 6 % plus basse que celle des sols situés à 40 m (1,43 ± 0,01 g/cm3). Cette diminution de densité apparente était plus prononcée dans le 0 à 20 cm (8 %) comparativement au 20 à 50 cm (4 %) et elle était probablement due à l’absence de compaction par la machinerie agricole.

Malgré tout, plusieurs facteurs influençaient la quantité de carbone stockée dans les sols sous les haies et dans leurs témoins agricoles (Figure 1). Les stocks de carbone étaient plus élevés dans les haies composées principalement de feuillus et ils étaient d’autant plus importants lorsque celles-ci étaient âgées. De plus, ces augmentations ont été détectées autant sous la haie qu’à 40 m de celle-ci (Figure 1A et 1C). Il se peut que nos témoins agricoles n’aient pas été complètement appropriés dans la mesure où la composition et l’âge de la haie affectaient les sols à 40 m. Il est aussi possible que les effets de la composition et de l’âge des haies découlent des conditions initiales existant sur chacun des sites avant l’implantation des haies et qui étaient hors de notre contrôle expérimental. Par chance, les sites ayant des feuillus possédaient potentiellement des sols plus riches en matière organique avant l’implantation de leurs haies.

 

 

Néanmoins, certains contextes favorisaient l’émergence d’effets bénéfiques des haies sur la séquestration du carbone dans les sols lorsque ces derniers étaient plus légers (< 35 % d’argile) et lorsqu’il n’y avait pas (ou peu) eu de paillis à la plantation (Figure 1B et 1D). Au contraire, lorsqu’il y avait eu utilisation de paillis de plastique en bande continue, les stocks de carbone mesurés étaient plus bas sous les haies comparativement aux témoins agricoles. Cette diminution peut être due à la création d’une barrière induite par le paillis, empêchant l’incorporation de la litière aérienne au sol, ainsi qu’à l’absence ou la limitation de la végétation spontanée sous forme herbacée ou arbustive sous les arbres.

Outre le carbone dans les couches (horizons) de sol minéral, les haies permettent aussi d’accumuler du carbone dans les couches organiques, notamment la litière dont le poids sec a été mesuré dans chaque parcelle. Il faut noter que ces stocks de carbone sont plus modestes et soumis à des processus très dynamiques. Il y avait en moyenne 1,5 ± 0,2 tC/ha dans la litière sous les haies et seulement 0,3 ± 0,1 tC/ha dans les témoins agricoles (principalement des tiges de maïs). Ce réservoir de carbone était plus important sous les vieilles haies (2,5 tC/ha) que sous les jeunes haies (0,6 tC/ha) et il atteignait ses valeurs maximales sous les vieilles haies de conifères (3,1 tC/ha).

Globalement, pour chaque hectare non cultivé et consacré à une haie dans le sud du Québec, les arbres devraient séquestrer 2,0 ± 0,2 t de carbone par an. Si on suppose une haie avec un empiétement de 3 m (ce qui correspond à une rangée simple d’arbres), ceci représente 0,6 tC/an pour chaque kilomètre de haie implanté. En termes de CO2, c’est l’équivalent de 7,5 t/an par hectare consacré à une haie qui serait capturé. Sur le marché réglementé du carbone québécois, ceci équivaut à 157 $/an pour chaque hectare si on se base sur le prix de vente moyen des crédits compensatoires en 2022.

Ce taux de séquestration variait selon divers facteurs (Figure 2). Les implantations de haies de plus de 15 ans semblaient séquestrer plus de carbone par année. Ceci peut être dû à des conditions météorologiques favorables avant 2006 et/ou une meilleure croissance une fois les arbres bien établis (Figure 2A). Que ce soit la proportion de feuillus ou de conifères, aucune composition de la haie ne favorisait davantage la séquestration annuelle du carbone. Les sols plus légers étaient plus propices à une croissance et une séquestration du carbone accrues par les arbres (Figure 2B). Les effets de la catégorie d’âge et du type de paillis se confondaient partiellement dans notre étude. Les deux tiers des haies implantées avec des paillis de plastique en bande appartenaient à la catégorie « Jeune » et les trois quarts des haies implantées sans paillis appartenaient à la catégorie « Vieille ». C’est peut-être ce qui explique le résultat inattendu d’une moins grande séquestration du carbone des arbres avec les paillis en bande (Figure 2C) alors qu’on s’attendait à une croissance supérieure des arbres étant donné la moindre compétition.

 

Que faut-il retenir de ces études?

D’abord, on observe que la survie et la croissance des arbres en haies agroforestières dans le sud du Québec sont excellentes et ne représentent pas un frein à l’implantation de tels systèmes. Bien que le processus d’implantation gagnerait à être optimisé en fonction des essences choisies pour chaque projet (notamment par rapport au pH et à la texture du sol), les techniques utilisées jusqu’ici portent fruit et sont bien suffisantes pour implanter des haies bien vigoureuses. À savoir si la production de bois d’œuvre dans les haies agroforestières exposées à de forts vents est envisageable, la question est encore en suspens. Or, nos recherches indiquent sans surprise qu’on devrait impérativement effectuer des tailles de formation et d’entretien régulièrement sur les arbres si l’on souhaite explorer une telle avenue et produire du bois de qualité.

 

 

De plus, l’ouverture récente du marché réglementé du Québec aux crédits compensatoires liés au boisement représente l’opportunité de récompenser les agriculteurs qui misent sur l’agroforesterie et de profiter collectivement de tous les bienfaits qui y sont associés. D’autres études telles que les nôtres seront nécessaires afin de suivre et de s’assurer que cette compensation des émissions est effective. En effet, nous avons découvert que le potentiel de séquestration du carbone de nos haies se trouve principalement dans la biomasse des arbres. Ainsi, miser sur les sols ne serait pas justifié pour des haies implantées il y a relativement peu de temps (âge moyen de 17 ans pour nos haies). Autre résultat notable qui porte à réflexion, les paillis de plastique non biodégradable installés sur l’ensemble de la haie limitent la séquestration du carbone des sols. Il sera intéressant dans les années à venir de tester et développer des alternatives aux paillis de plastique en bande continue, souvent priorisés dans les aménagements agroforestiers, comme les paillis biodégradables et les plantes de couverture.

 

Remerciements

Le financement de ces projets a été rendu possible grâce à l’Entente sectorielle de développement pour la forêt de la région administrative de la Montérégie et au Programme Innov’Action agroalimentaire du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

 


 

 

Retour vers la liste des articles

Suivez l’actualité de l’AFSQ   

S'abonner à l'infolettre