Dans les érablières du Québec et du Nord-Est américain, il n’est pas rare d’observer une abondante régénération du hêtre à grandes feuilles au détriment de celle de l’érable à sucre, du bouleau jaune et des autres essences feuillues. Tout indique que ce phénomène s’est accru au cours des dernières décennies et qu’il pourrait entraîner un important changement dans la composition des érablières si aucune action n’est entreprise. La question est de savoir comment on peut limiter la régénération du hêtre et favoriser la régénération de l’érable à sucre et des autres essences compagnes des érablières.
Comment expliquer l’expansion de la régénération du hêtre à grandes feuilles?
Dans l’érablière à bouleau jaune, le hêtre est une espèce compagne de l’érable à sucre et du bouleau jaune; toutefois, sa valeur commerciale est beaucoup plus faible. C’est une espèce très compétitive, puisqu’elle a la capacité de se reproduire à la fois par la germination des semences, par drageons racinaires1 et par rejets de souche2. Le hêtre, tout comme l’érable à sucre, tolère très bien l’ombre. Toutefois, il tolère aussi très bien les sols acides, contrairement à l’érable à sucre. De plus, le hêtre n’est pratiquement pas brouté par les cervidés. Son expansion au cours des dernières décennies aurait notamment été favorisée par les éléments suivants :
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les perturbations naturelles de faible intensité;
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l’utilisation prépondérante des coupes partielles;
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l’acidification des sols liée aux précipitations acides;
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la hausse des populations de cervidés, et par conséquent, celle du broutement de la régénération du bouleau jaune et de l’érable à sucre, et, plus récemment,
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la maladie corticale du hêtre qui stimule la reproduction végétative des hêtres touchés.
À la recherche de solutions : une étude réalisée à la forêt de Duchesnay près de Québec
L’objectif de l’étude était d’identifier des traitements sylvicoles qui pourraient limiter la régénération du hêtre tout en créant des conditions favorables à l’établissement de la régénération du bouleau jaune, de l’érable à sucre et des autres essences compagnes. Le couvert principal des peuplements étudiés était composé de bouleau jaune (38 %), d’érable à sucre (34 %) et de hêtre (23 %), et le sous-bois nettement dominé par le hêtre (82 % des 2 191 gaules/ha).
Les traitements sylvicoles consistaient en une coupe partielle du couvert principal, une coupe des gaules3 de hêtre présentes en sous-couvert et le scarifiage du sol. Des exclos4 ont été installés autour d’une partie des ouvertures pour protéger la régénération du broutement par les cervidés. Chaque bloc de coupe partielle comprenait un témoin sans intervention (surface terrière de 26 m2/ha), une coupe de jardinage par pied d’arbre et groupes d’arbres (surface terrière résiduelle de 18 m2/ha), deux modalités de coupe progressive irrégulière à couvert permanent (surface terrière résiduelle de 16 m2/ha et de 14 m2/ha) et une coupe progressive à régénération lente (surface terrière résiduelle de 14 m2/ha).
Des résultats différents selon la présence de cervidés
Pour le stade de semis5, en comparaison avec le témoin, l’ensemble des résultats montrent que les trouées créées par les coupes, jumelées avec la coupe des gaules de hêtre sous couvert et le scarifiage du sol, ont favorisé la régénération du bouleau jaune et des autres essences compagnes, sauf celle de l’érable à sucre. Le bouleau jaune et le hêtre étaient les deux espèces dominantes, tandis que les autres essences avaient une densité beaucoup plus faible. Le nombre de semis de bouleau jaune à l’intérieur des exclos était nettement dominant comparativement à celui du hêtre, cinq et dix ans après la coupe.
Pour le stade de gaulis, on observe plus de tiges de bouleau jaune à l’intérieur qu’à l’extérieur des exclos (figure 1A). De plus, on obtient une augmentation importante des tiges de bouleau jaune entre cinq et dix ans suivant la coupe à l’intérieur des exclos, alors qu’à l’extérieur, leur nombre est très faible et n’a pas changé avec le temps. Ces résultats s’expliquent notamment par le broutement répétitif de la régénération du bouleau jaune à l’extérieur des exclos, lequel a limité la croissance en hauteur des semis vers le stade de gaulis (figure 2). Pour le hêtre, on observe après dix ans plus de gaules à l’extérieur qu’à l’intérieur des exclos (figure 1B). L’augmentation des gaules de hêtre à l’extérieur des exclos est liée principalement aux nombreux rejets de souche issus des gaules coupées ainsi qu’au non-broutement de cette espèce par les cervidés. La plus faible densité du hêtre à l’intérieur des exclos est liée à la dominance du bouleau jaune qui occupe l’espace de croissance. Pour les autres essences, on obtient une densité plus faible que le bouleau jaune et le hêtre. Néanmoins, la densité est plus est élevée à l’intérieur qu’à l’extérieur des exclos (figures 1C, 1D et 1E).
En perspective
Dans des peuplements envahis par le hêtre, ces résultats indiquent qu’il est possible de favoriser une importante régénération de bouleau jaune dans les ouvertures après la coupe partielle lorsqu’on coupe les gaules de hêtre et que l’on scarifie le sol. Cependant, lorsque le broutement par les cervidés est important, celui-ci limite la croissance en hauteur des semis de bouleau jaune, ce qui favorise un retour du hêtre, principalement par les rejets de souche des gaules de hêtre coupées. Dans les forêts où le cerf est abondant, comme à Duchesnay, la réduction du broutement par les cervidés semble donc inévitable pour favoriser le développement des essences désirées. De plus, lorsque les sols sont pauvres en cations basiques, la régénération de l’érable à sucre demeure difficile et un amendement du sol serait à considérer pour favoriser la régénération de cette espèce.
1 Un drageon est une jeune pousse qui se développe sur la racine d’une plante ligneuse.
2 Un rejet de souche est une jeune pousse qui se développe à la base du tronc d’une plante ligneuse.
3 Une gaule est un arbre immature plus grand qu’un semis et dont le diamètre à hauteur de poitrine est supérieur à 1 cm et d’au plus 9 cm.
4 Un exclos est une superficie clôturée pour exclure les cervidés.
5 Un semis est un arbre immature provenant de la germination d’une semence, dont le diamètre à hauteur de poitrine est d’au plus 1 cm.
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Consultez la version complète de l’article à l’adresse suivante : https://doi.org/10.1016/j.foreco.2022.120142