Le 28 novembre dernier, l’AFSQ a organisé son colloque annuel sous le thème « Soyons proactifs pour une adaptation réussie ». L’événement a eu lieu au Centre sportif Mégantic à Lac-Mégantic. Les participants ont pu assister à quatre conférences, discuter avec des professionnels tenant des kiosques d’information, visiter une érablière ainsi que deux entreprises de transformation locales, et réseauter tout au long de la journée. Voyez un résumé des faits marquants.
Les conférences
La journée a débuté avec quatre conférences. La première a été offerte par Catherine Périé, biol. Ph. D., qui est chercheuse au ministère des Ressources naturelles et des Forêts. Elle nous a présenté un aperçu du climat auquel on devra faire face dans l’avenir. Par exemple, au cours de la période 2071 à 2100, la température moyenne du sud du Québec devrait être de 2,9 à 5,7 °C plus élevée que la moyenne de 1991 à 2020. Pour les précipitations, ce sera différent. Elles pourraient baisser de 7 % jusqu’à augmenter de 14 % selon les régions. Les espèces devront donc se déplacer, s’adapter ou disparaître. Dans le cas des arbres, la capacité de déplacement est très limitée. On estime que les enveloppes climatiques se déplaceront au moins 10 fois plus vite que la capacité de dispersion des arbres. Pour suivre les changements climatiques, les arbres devraient migrer vers le nord à une vitesse de 320 km par siècle, et ce, pour un réchauffement de 2 °C. Si on se réfère à la migration des plus rapides espèces durant la période post-glacière, soit l’épinette noire et le pin gris, la vitesse de migration fut de 19 à 25 km par siècle. L’option déplacement est donc perdue à l’avance d’autant plus que la migration à venir sera assurément plus lente considérant que le territoire est occupé par la végétation, ce qui n’était pas le cas après le passage des glaciers. Les espèces devront donc s’adapter ou nous devrons les aider à le faire pour éviter leur disparition.
Pour planifier nos interventions, il est important de connaître la vulnérabilité des espèces aux changements climatiques. À ce niveau, il y aura une grande disparité. Dans les régions plus nordiques, telles la Côte-Nord, le Nord-du-Québec ou le Saguenay - Lac-Saint-Jean, 10 % des espèces devraient devenir mésadaptées au climat. Au sud du Québec, ce sera plus intense, soit environ 50 % des espèces. La composition des forêts devrait donc changer. Pour aider une espèce défavorisée, on peut planter des individus de cette espèce issus de régions plus au sud, considérant que ces individus devraient être mieux adaptés aux températures plus chaudes. On peut aussi planter des espèces pour lesquelles l’habitat est nouvellement favorable. D’ailleurs, de 19 à 59 % des superficies forestières du sud du Québec devraient devenir favorables au bouleau flexible, aux chênes des marais, blanc et écarlate, au micocoulier occidental et au tulipier de Virginie selon les différents modèles prédictifs.
La deuxième conférence a été donnée par Samuel Royer-Tardif, biol. Ph. D., qui est directeur du département environnement forestier au CERFO. Il a décortiqué la notion de biodiversité et son importance pour le milieu naturel. Par exemple, plus il y a d’espèces dans un écosystème, plus sa productivité augmente ainsi que sa stabilité. Toutefois, l’ajout d’une espèce n’offre pas le même gain selon le nombre d’espèces vivant dans l’écosystème. Moins un environnement est diversifié, plus l’ajout d’une espèce sera bénéfique. Ce principe a donc son importance dans un contexte de plantation. Penser planter un mélange de 10 espèces pourrait être complexe opérationnellement alors qu’en planter deux ou trois pourrait être plus simple et offrir un gain très appréciable par apport à une monoculture.
Ce principe est d’autant plus vrai en présence d’espèces aux caractéristiques différentes, aussi appelé trait fonctionnel. Un trait fonctionnel est une caractéristique morphologique, physiologique ou phénologique d’un organisme qui affecte sa performance individuelle, tel le patron d’enracinement. De plus, les traits fonctionnels illustrent les compromis des arbres. Par exemple, un arbre qui crée un réseau dense de racines en surface sans racines profondes augmente sa capacité de répondre à ses besoins nutritionnels, mais est vulnérable à la sécheresse des sols de surface. C’est pourquoi mélanger des arbres aux traits fonctionnels divers maximise la performance de l’écosystème tout en augmentant les capacités de ce dernier à résister à une ou plusieurs perturbations.
La troisième conférence a été présentée par Tim Rademacher, Ph. D., qui est chercheur en écophysiologie forestière et développement durable au Centre ACER et professeur associé à l’Institut des sciences de la forêt tempérée de l’Université du Québec en Outaouais. Comme spécialiste en acériculture, il a spécifiquement abordé les effets des changements climatiques sur les érablières, saison par saison.
En hiver, il y aura moins de neige au sol et par conséquent, une plus faible protection des racines et moins d’eau disponible lors de la montée de la sève. L’augmentation de la chaleur devrait devancer la saison des sucres ainsi que le début de l’activité biologique qui cause, en outre, le goût de bourgeon. Il risque d’y avoir une diminution du nombre de cycles de gel et de dégel, ce qui pourrait réduire les coulées. En été, les canicules, les sécheresses et les gros coups d’eau vont nuire à la capacité des arbres à produire du sucre. Et plus encore...
Pour assurer l’avenir des érablières, il sera primordial de favoriser une régénération en continu. Avoir des peuplements hétérogènes offre plus de résilience aux érablières. Protéger les milieux humides et éviter de drainer une érablière aide à protéger cette dernière face aux sécheresses tout comme conserver ou ajouter des arbres aux patrons d’enracinement variés. Des arbres aux formes différentes aident la forêt à résister aux épisodes de vents, de neige lourde et de verglas. Les espèces compagnes créent des barrières protégeant les érables face aux insectes et aux pathogènes. Puis, laisser du bois mort en forêt favorise la biodiversité et crée des habitats pour les prédateurs et les parasites aidant au contrôle des ravageurs.
La quatrième et dernière conférence a été offerte par Cynthia Patry, Ph. D, qui est chargée de projets chez Conservation de la nature. Elle a commencé sa présentation en brisant quelques mythes. La conservation, ce n’est que la cloche de verre. La conservation, c’est l’ensemble des activités de restauration, d’aménagement durable et de protection. Ensuite, l’objectif premier de la conservation est de maintenir la vocation forestière de nos milieux. Ainsi, une coupe forestière, partielle ou totale, peut s’inscrire dans une stratégie de conservation si elle respecte les principes de l’aménagement durable.
Avec cette idée, Conservation de la nature s’est associé avec divers organismes forestiers pour développer des outils utilisables par les professionnels forestiers. Pour Conservation de la nature, ces derniers sont les mieux placés pour accompagner les propriétaires qui veulent gérer les différents attributs biologiques de leur forêt et ainsi contribuer positivement à la double crise de la biodiversité et des changements climatiques.
Parmi les outils disponibles, il y a des fiches destinées à la conception de plans d’aménagement forestier bonifiés ainsi que des formations destinées aux conseillers forestiers. Pour en savoir plus, visitez le www.connectiviteecologique.com.
Les visites
Les participants ont d’abord eu l’occasion de visiter l’Érablière S. Bellegarde. Il s’agit de la toute première entreprise acéricole à être exploitée par un particulier sur les propriétés de Domtar, et ce, grâce à un bail de location de 15 ans. Cette érablière a été fondée en 2016 et est la propriété de M. Simon Bellegarde et Mme Annie Grenier.
La visite a commencé par la présentation de l’érablière et des défis auxquels les propriétaires ont dû faire face pour démarrer un tel projet. Pensons aux négociations avec Domtar, au financement des installations sur un terrain loué, à l’approvisionnement en électricité, etc.
Ensuite, nous avons discuté des choix d’exploitation des propriétaires qui démarquent aussi l’entreprise. Les propriétaires ont choisi de ne jamais installer plus d’une entaille par arbre et de sélectionner uniquement des arbres de 10 pouces de diamètre et plus. Seuls quelques arbres de 9 pouces ont été entaillés dans un secteur restreint et particulièrement performant, car ils atteindront prochainement les 10 pouces. Ils ont fait ce choix pour diverses raisons. La plus importante est de viser un maximum de production avec un minimum d’arbres. Actuellement, l’érablière compte environ 20 000 entailles. Ça permet aux propriétaires d’assurer la transformation du sirop à eux seuls.
À titre de deuxième visite, les participants se sont dirigés vers Tafisa Canada qui est la plus grosse installation manufacturière de panneaux de particules en Amérique du Nord. L’entreprise a été fondée en 1992 à Lac-Mégantic. Elle compte aujourd’hui 325 employés, possède une superficie de près de 71 000 mètres carrés et est à la fine pointe de la technologie.
Un des faits intéressants découverts par nos participants est le défi d’utiliser des déchets de construction à titre de matière première. Il faut procéder à l’élimination totale des métaux pour la sécurité des travailleurs et la protection des équipements. Pour ce faire, la chaîne de production possède une impressionnante série de détecteurs électroniques à chacune des étapes, jusqu’à douze par poste de travail parfois. Chaque fois qu’un contrôle s’active, la production s’arrête. Le produit suspect est retiré et retourne au début de la chaîne pour un nouveau triage. Les pertes sont nulles : 95 % du bois est utilisé pour la production et le reste sert à chauffer la bouilloire de l’usine.
Enfin, la troisième visite a permis aux participants de découvrir la Compagnie de Placage Mégantic qui se spécialise dans le déroulage de bois feuillu pour la fabrication de portes et de chaises. Ils utilisent principalement les bouleaux jaunes et blancs, mais aussi l’érable à sucre et quelques essences dites plus « exotiques » comme le noyer noir ou le chêne blanc.
L’entreprise a une riche histoire de plus de 100 ans comme peut en témoigner le bâtiment dont l’architecture est tout à fait distincte des grandes entreprises contemporaines. Bien que cela génère des défis lors d’ajouts d’équipements modernes par exemple, avoir une grande histoire apporte son lot d’avantages. En outre, l’entreprise peut compter sur du personnel de grande expérience, plus d’une quarantaine d’années pour certains. Cela est un atout par apport au créneau de l’entreprise : le placage haut de gamme. La détection des défauts et le classement des feuilles déroulées sont très subjectifs, et nécessitent des qualités qui vont de pair avec l’expérience.
Réseautage, échanges et découvertes
Le colloque de l’AFSQ fut une belle occasion d’échanges entre les différents intervenants du milieu forestier. Il est rare que les chercheurs, les professionnels forestiers, les propriétaires de lots boisés et les étudiants en foresterie se regroupent. Néanmoins, ces rassemblements sont essentiels à une compréhension mutuelle et à l’avancement des pratiques forestières au Québec.
L’AFSQ tient à remercier tous les partenaires qui ont soutenu la réalisation de cet événement. Merci à l’Agence de Mise en valeur de la Forêt privée de l’Estrie, Ressources naturelles Canada et G.A. Logix qui ont tenu un kiosque d’information pour renseigner nos participants sur différents sujets. Un merci spécial à Vincent Poisson, ingénieur forestier et propriétaire associé chez ProForêt consultants, qui a animé la journée d’une main de maître. Puis, pour finir, merci à l’Érablière du Village et à Vexco qui nous ont fait découvrir une belle boisson lors du cocktail de clôture : une limonade pétillante à saveur de sirop d’érable fabriquée localement.
En savoir plus
Vous pouvez consulter les présentations des conférences et voir les photos de l’événement à l’adresse : www.afsq.org/colloque