En décembre 2020, le gouvernement du Québec a déclaré avoir atteint l’objectif de conserver 17 % de son territoire en aires protégées terrestres. Bien que cette annonce devrait être positive, celle-ci soulève de nombreux questionnements, notamment sur la localisation nordique des nouvelles aires déclarées ou sur la difficulté de protéger la biodiversité là où elle se trouve vraiment; dans le sud du Québec. Suite à ces constats, nous discutons de l’importance d’utiliser l’écologie comme guide de référence à l’atteinte des objectifs de conservation.
Les aires protégées : un outil de conservation de la biodiversité
Sous la pression grandissante des changements climatiques et des activités humaines qui ne cessent de perturber les différents écosystèmes, la conservation des milieux naturels est devenue d’une importance primordiale pour assurer la pérennité d’une vie diversifiée sur Terre. En 1872, aux États-Unis, le premier parc national officiellement déclaré (Yellowstone) voit le jour, puis la création d’aires protégées en Amérique du Nord se répand entre 1920 et 1960, pour exploser dans les années 70 et 80 en Amérique du Nord comme à l’international. Par ailleurs, il est démontré que la mise en place d’aires protégées peut s’avérer efficace pour contrer l’homogénéisation biotique et éviter l’extinction locale de différentes espèces spécialistes, endémiques ou menacées.
Au Québec, c’est en 1876 que le parc du Mont-Royal devient la première aire protégée et par le fait même, le premier parc municipal au Canada. Il s’ensuit la création du parc de la Montagne-Tremblante en 1894, aujourd’hui connu comme étant le parc national du Mont-Tremblant. Par la suite, en 1999, moins de 3 % de la superficie du Québec sont des aires protégées, pour passer à presque 5 % en 2007. En 2021, cette superficie triple pour atteindre 16,7 %.
En accord avec l’objectif 11 d’Aichi du plan stratégique 2011-2020 de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, le gouvernement du Québec s’était fixé comme objectif de conserver 17 % de son territoire terrestre en aires protégées en 2020. Bien qu’il ait atteint son objectif, plusieurs scientifiques et organisations non gouvernementales ont plutôt mal accueilli la nouvelle. La raison de ce mécontentement : une remise en question des critères qui ont été utilisés pour la sélection des territoires protégés et leur inadéquation avec la mission première de leur existence, la protection de la biodiversité.
Le portrait de la biodiversité au Québec
Pour mieux comprendre si les aires protégées créées au Québec permettent ou non de conserver la biodiversité, il est nécessaire de savoir où celle-ci se retrouve et de quoi elle se compose. La plupart des données recueillies ici proviennent de la dernière édition du Manuel de foresterie (2009) qui offre une synthèse complète, bien que peu récente, à l’échelle du Québec. Les données sont présentées en fonction des 10 domaines bioclimatiques du territoire québécois (Figure 1).
Il est possible de remarquer que la répartition des essences d’arbres et de la flore vasculaire du Québec présente une forte diminution de la biodiversité des latitudes du sud vers celles du nord (Figure 1 et 2). On passe par exemple de 49 essences dans l’érablière à caryer cordiforme, domaine le plus au sud du Québec, à aucune dans la zone arctique qui inclut la toundra arbustive et la toundra herbacée. De même, on observe une diminution notable du nombre d’espèces entre l’érablière à caryer cordiforme, avec 1 600 espèces vasculaires et la zone arctique, avec 320 espèces. On note toutefois une remontée d’espèces entre la sapinière à bouleau blanc (500 espèces) et la pessière noire à mousses (850 espèces) qui peut s’expliquer notamment par la superficie considérablement plus grande de la pessière noire à mousses.
Sur la base des mêmes références, on dénombre 1 875 espèces de plantes vasculaires au total ainsi qu’une cinquantaine d’essences d’arbres au Québec. Il est possible de résumer dans la figure 1 la proportion d’essences d’arbres et d’espèces vasculaires représentée pour chacun des domaines bioclimatiques. Illustré de cette façon, on voit clairement que la majeure partie de la biodiversité végétale québécoise est concentrée dans le sud du Québec, dans les domaines de l’érablière à caryer cordiforme et de l’érablière à tilleul.
La biodiversité des domaines au sud
L’érablière à caryer cordiforme est le plus petit des neufs domaines bioclimatiques du Québec et celui avec les températures les plus élevées en moyenne. Bien qu’il ne couvre que 1 % de la superficie de la province, c’est le domaine avec la flore la plus diversifiée. On y trouve environ 49 essences d’arbres, dont plusieurs y sont exclusives ou presque. Ceci inclut notamment le chêne blanc (Quercus alba), le chêne bicolore (Quercus bicolor), l’érable noir (Acer nigrum), l’orme liège (Ulmus thomasii), le pin rigide (Pinus rigida), le caryer ovale (Carya ovata), le caryer cordiforme (Carya cordiformis) ainsi que le micocoulier (Celtis occidentalis). Le pin rigide et l’orme liège sont considérés menacés selon la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec alors que l’érable noir est considéré vulnérable.
Le domaine de l’érablière à tilleul compte plusieurs espèces rares telles que le génévrier de Virginie (Juniperus virginiana) et le sumac aromatique (Rhus aromatica).
Le portrait actuel de la représentativité des 17 % d’aires protégées au Québec
Lors de l’annonce de l’atteinte de son objectif de 17 % d’aires protégées au Québec en 2020, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) dévoile de nombreuses aires protégées de grande taille se retrouvant dans le nord du Québec, et n’ajoute que quelques aires protégées de petite taille dans le sud du Québec (Figure 3).
Par ailleurs, pour aider dans le choix de localisation des aires protégées, le MELCCFP a mis en place un outil appelé Cadre écologique de référence (CER). Celui-ci divise le territoire du Québec en 15 provinces naturelles, qui ont été déterminées en fonction de leur relief, du socle rocheux, des dépôts de surface, de l’hydrographie, du climat et de la végétation. Cette classification diffère substantiellement de celle disponible pour l’évaluation de la biodiversité (soit les domaines bioclimatiques), mais les deux peuvent être tout de même comparées. La Figure 4 montre que la proportion en aires protégées de chaque province naturelle varie considérablement, allant de 4,31 % du territoire protégé pour les Appalaches, à 40,41 % pour le Massif du Labrador septentrional. Selon le MELCCFP (2020), la représentativité en aires protégées est considérée comme faible en bas de 25 % et très faible en bas de 7,5 %, ce qui est le cas pour toutes les régions du sud du Québec (celles en dessous de la limite nordique des forêts attribuables à la coupe de bois). Ainsi, l’atteinte de l’objectif global de protection de 17 % ne permettrait cependant pas d’atteindre une représentativité équivalente en aires protégées sur l’ensemble des provinces naturelles du Québec.
Pourtant, le MELCCFP définit, à partir du cadre théorique de l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN), que les aires protégées du Québec doivent assurer « la sauvegarde d’échantillons représentatifs et particuliers de la diversité biologique, c’est-à-dire des espèces de plantes et d’animaux et autres organismes vivants, mais aussi du capital génétique de chacune de ces espèces ». Il reconnaît donc ici l’importance de la représentativité dans le choix des aires protégées, c’est-à-dire de sélectionner des milieux représentant l’ensemble des espèces et habitats présents sur le territoire québécois. De plus, dans le même cadre théorique, le MELCCFP précise qu’afin de représenter adéquatement la biodiversité, un réseau d’aires protégées doit :
-
Couvrir l’ensemble des réalités écologiques du territoire, et ce, en étant réparti de manière la plus uniforme possible;
-
Prendre en considération les espèces rares, menacées et/ou exceptionnelles;
-
Protéger des écosystèmes et de grands domaines vitaux pour la faune;
-
Établir des aires protégées qui correspondent aux six catégories d’aires protégées de l’UICN.
En regard au portrait de la biodiversité dressé ci-dessus, il est difficile de comprendre comment le portrait actuel des 17 % d’aires protégées du Québec en 2020 peut respecter les trois premiers critères qui touchent aux aspects écologiques de la création d’aires protégées au Québec.
Relativiser l’importance des enjeux socio-économiques
Il est certain que certains éléments socio-économiques pourraient avoir été pris fortement en compte dans le récent choix des aires protégées. Il est toutefois important de relativiser l’importance de ceux-ci. Le sud du Québec, notamment, est surtout composé de terres privées. Toutefois, il reste encore plusieurs terres publiques riches en biodiversité, qui pourraient être ciblées en priorité pour le prochain objectif de protection de 30 % du territoire. Pour ce qui est de l’éternelle confrontation entre l’industrie forestière et la conservation, il est aussi important de se rappeler que 86 % des municipalités du Québec ne dépendent pas (ou que faiblement) de cette dernière. Il est donc tout à fait possible de concilier développement économique et développement durable.
L’écologie à la base des choix des territoires à protéger
Le portrait connu de la biodiversité au Québec, bien qu’incomplet, permet de mettre en évidence que le réseau actuel des aires protégées ne semble pas adéquat pour garantir la conservation à long terme de la biodiversité provinciale. Il ne semble même pas respecter les trois critères écologiques guidant la définition des aires protégées du MELCCFP. Cependant, avec le nouvel objectif d’atteindre 30 % du territoire Québécois protégé en 2030, il existe une opportunité de rectifier cette situation et de combler le manque de représentativité dans le sud de la province, soit là où se trouve la majorité de la biodiversité. Dans ce nouvel exercice visant la détermination de nouvelles aires protégées, il est primordial de ne pas retomber dans le piège de l’atteinte d’un objectif numérique vide d’aspect écologique. Selon une équipe de chercheurs, le fait de focaliser sur des objectifs numériques de couverture du territoire encourage, en effet, les pays à sélectionner de vastes aires protégées qui sont peu menacées, en négligeant par le fait même, des milieux qui devraient nettement être priorisés en termes de conservation. Pour appuyer ces propos, les résultats d’une étude ayant pour but notamment d’estimer l’impact des aires protégées sur le changement d’utilisation des terres dans plus de 100 pays, suggèrent que les choix de protection tendent généralement vers des terres qui ont moins de risques que la moyenne d’être déforestées ou défrichées. Toutefois, les auteurs ont démontré que pour 80 % des pays sélectionnés dans leur étude, le choix de protéger des aires loin des routes et des villes est moins efficace pour réduire le changement d’utilisation des terres ainsi que la déforestation mettant en avant l’importance d’inclure des zones subissant de plus grandes menaces dans les plans de protection.
Finalement, un aspect essentiel semble avoir été négligé lors du choix des aires protégées au Québec. En effet, la connectivité entre les différentes aires protégées, assez éloignées les unes des autres, est essentielle pour limiter les problèmes liés à la fragmentation d’habitat au sein des populations fauniques et végétales. Ceci peut notamment entraîner des problèmes de dérive génétique ou de consanguinité, pouvant nuire à la survie de différentes espèces. Le ginseng à cinq folioles par exemple, espèce menacée au Québec, se trouve dans des boisés isolés les uns des autres dans le sud du Québec. Ceux-ci sont trop éloignés pour permettre la dispersion des graines d’un site à l’autre ou les échanges génétiques via le pollen des individus des différentes populations, ce qui pourrait compromettre la survie de l’espèce. La connectivité est aussi importante à prendre en considération avec l’avènement des changements climatiques. Avec les températures qui se réchauffent, l’aire de répartition de plusieurs espèces risque de se déplacer vers le nord, et cela, même si leur territoire actuel est protégé. C’est pourquoi, il est important d’assurer une représentativité et une connectivité des aires protégées, afin qu’un déplacement entre les différentes aires protégées, du sud vers le nord, soit possible pour les espèces en ayant besoin.
En conclusion, en plus des aspects écologiques mentionnés, la gestion efficace et équitable de la biodiversité, et donc des aires protégées, est de plus en plus reconnue comme un critère important dans le choix des zones de protection. Cette vision ouvre d’ailleurs la porte à la considération d’autres mesures de conservation efficace pour maintenir une biodiversité élevée localement. L’IUCN se penche actuellement sur la définition de ces outils qui pourraient offrir des opportunités additionnelles de création de territoires protégés. Par exemple, au Québec, une partie de la gestion des aires protégées pourrait être cédée aux Premières Nations.
En savoir plus
Pour discuter de l’état de la biodiversité faunique ou des facteurs socio-économiques à considérer, communiquez avec l’auteur à l’adresse : amblanchette512@gmail.com