Le petit âge glaciaire est une période climatique froide survenue dans l’hémisphère Nord entre les années 1425 et 1850. Afin de comprendre l’influence du climat de cette époque sur la composition de la forêt, et comme il n’existe pratiquement pas de données instrumentales de température pour cette période, nous avons utilisé la fréquence de formation des ponts de glace sur le fleuve Saint-Laurent de 1620 à 1910 comme indicateur des variations climatiques passées.
Plusieurs études récentes ont suggéré que les effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes forestiers sont déjà amorcés et prédisent qu’ils vont s’accentuer au cours des années à venir. Compte tenu de l’importance écologique, économique et sociale de nos forêts, nous voulons comprendre comment les écosystèmes forestiers réagissent aux changements climatiques afin de mieux prédire leur croissance et leur composition dans le futur.
Puisque l’existence de données instrumentales (prises avec un thermomètre, par exemple) est relativement récente en Amérique du Nord, la température doit être estimée par une méthode indirecte. Ainsi, la fréquence de formation des ponts de glace sur le fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de la ville de Québec, a été compilée entre 1620 et 1910 afin d’établir un indice de sévérité des hivers pour cette région durant cette période.
La température et la durée des hivers peuvent affecter la composition et le fonctionnement des écosystèmes. La reconstitution des températures hivernales historiques est donc essentielle, en particulier pour les latitudes nordiques, puisque ces régions sont susceptibles de subir un réchauffement climatique d’une plus grande ampleur que l’ensemble de l’hémisphère Nord.
La formation de ponts de glace entre Québec et Lévis
Lorsqu’un pont de glace se formait d’une rive à l’autre, les habitants des villes de Québec et de Lévis pouvaient facilement traverser le fleuve Saint-Laurent. Les documents historiques témoignent que la formation d’un pont de glace était un événement très attendu (Figure 1). Bien que la fréquence de formation des ponts ne doit pas être considérée comme une représentation exacte de la rigueur de l’hiver pour une année donnée, elle peut toutefois servir d’indice pour retracer les tendances sur une échelle de temps plus large. De 1620 à 1910, on a répertorié la formation de 83 ponts de glace entre Québec et Lévis.
Au cours de ces 300 années, l’observation de la fréquence de formation de ponts de glace laisse penser que les hivers étaient plus chauds au cours des 17e et 18e siècles (1620 à 1800; fréquence = 16 %). La fréquence des ponts de glace n’a été que de 6 % pendant la période de 1620 à 1740, et même, aucun pont de glace n’a été recensé de 1661 à 1740. Au 19e siècle (1801 à 1910; fréquence = 48 %), les hivers semblent s’être refroidis. Ceux de la période de 1850 à 1900 ont été particulièrement rigoureux (fréquence = 64 %). La période de 1866 à 1885 a montré un record de fréquence de formation de ponts de glace de 80 %.
Données instrumentales
Une série de mesures de température prises de 1876 à 2000, provenant des données combinées de deux stations météorologiques de la région de Québec, a aussi été utilisée. Ces données montrent une hausse de la température annuelle de 2,0°C pour la région de Québec, soit l’une des plus fortes observées dans le nord-est de l’Amérique du Nord durant cette période de 125 ans. De plus, au cours de cette période, le réchauffement a été plus grand durant l’hiver (2,4°C) que durant l’été (1,6°C) et les températures d’hiver et d’été n’étaient que faiblement corrélées. Ces résultats suggèrent que les séries de température établies pour l’hémisphère Nord, principalement sur la base des composantes estivales, ne peuvent nous renseigner convenablement sur les variations historiques des températures hivernales du nord-est de l’Amérique du Nord. Cela montre bien la nécessité d’un indice hivernal pour cette région.
Comparaison avec d’autres données de température
Afin de vérifier le degré de similitude entre le climat de la région de Québec et celui de l’hémisphère Nord pour la période de 1620 à 1910, nous avons comparé les données sur la formation des ponts de glace avec d’autres données de température pour cet hémisphère et pour l’Islande. Les résultats montrent que la fréquence de formation des ponts de glace n’est pas corrélée avec les autres données de température de l’hémisphère Nord, mais est cependant en accord avec l’indice de température hivernale de l’Islande. La faible correspondance avec les données de l’hémisphère Nord semble toutefois causée par la non-concordance des données précisément au cours de la période de 1620 à 1740. En effet, la rareté des ponts de glace au cours de ces hivers suggère qu’il s’agit d’une période passablement chaude dans la région de Québec, alors que pour le reste de l’hémisphère nord (y compris la majeure partie de l’Europe et des États-Unis) cette période semble avoir été relativement froide.
Des résultats semblables à ceux des indices de température du Québec et de l’Islande ont été obtenus à partir de l’analyse des cernes annuels de croissance d’arbres au Labrador pour la période de 1650 à 2002. Dans cette étude, les années 1800 ont été clairement identifiées comme les plus froides, alors que la période de 1650 à 1800 a été plus chaude. La similitude entre les indices du Québec et de l’Islande, et les données du Labrador laisse croire à des variations de température comparables pour ces régions de l’Atlantique-Nord.
L’effet des éruptions volcaniques
Les éruptions volcaniques peuvent influencer le climat terrestre à court terme. Afin de vérifier si celles-ci ont influencé les températures de la région de Québec au cours de la période à l’étude, nous avons comparé la fréquence de formation des ponts de glace avec l’activité volcanique après 1715, soit une période où la chronologie des éruptions volcaniques est bien documentée. Les résultats de cette comparaison ont montré que les éruptions volcaniques majeures provoquent un refroidissement significatif des températures hivernales dans la région de Québec, jusqu’à 4 ans suivant l’éruption. Ceci s’ajoute à d’autres indices qui révèlent que les éruptions volcaniques ont affecté le climat planétaire au cours des derniers siècles. Par exemple, l’éruption du volcan Tambora en 1815, l’une des plus forte répertoriée dans le dernier millénaire avec celle du Samalas en 1257, a mené à l’année sans été en 1816 et aussi, au plus gros pont de glace jamais observé, à l’hiver 1816-1817. Malheureusement, nous ne disposons pas de données instrumentales pour l’hiver en question.
Par contre, nous pouvons supposer qu’il a été extrêmement froid, surtout lorsqu’on considère l’influence de l’éruption du Krakatoa en 1883 (10 fois moins importante que celle du Tambora) sur les données instrumentales (fortes baisses des températures hivernales d’environ 4,0°C). Au cours de la période de 1884 à 1888, la fréquence de formation des ponts de glace fut de 75 %. Cela suggère que les autres périodes de fortes fréquences de formation de ponts de glace se sont accompagnées de baisses de température similaires, comparativement aux températures récentes. Ainsi, il semble que les températures hivernales du nord-est de l’Amérique du Nord de 1830 à 1910 furent plus froides que celles basées sur la reconstitution des températures ayant une composante estivale. De plus, il appert que l’évaluation du réchauffement des hivers depuis cette époque a été grandement sous-estimée. Ces résultats montrent ainsi l’importance de données régionales pour mieux connaître l’amplitude réelle des variations climatiques passées.
Conclusion
L’analyse des données de formation des ponts de glace a permis de faire clairement ressortir les variations de températures hivernales de la région de Québec de 1620 à 1910. De plus, la compilation des données instrumentales montre que le réchauffement à Québec, au cours des 125 dernières années, était environ trois fois plus élevé (2,0°C) que celui avancé pour l’ensemble du globe (0,6°C) dans le dernier siècle. Les résultats suggèrent aussi que les températures hivernales les plus sévères à Québec se sont produites de 1800 à 1910. Pendant cette période, on estime que les hivers étaient de 2,4 à 4,0°C plus froids que la moyenne des 30 dernières années. Par ailleurs, plusieurs périodes de fortes fréquences de formation de ponts de glace furent déclenchées par des éruptions volcaniques d’envergure, ce qui confirme leur rôle comme événements climatiques majeurs. La compréhension de tous ces résultats va permettre de mieux cerner l’influence passée du climat sur la composition de la forêt au Québec pendant le petit âge glaciaire afin d’estimer les changements futurs.
En savoir plus
Consultez la version complète de l’article (en anglais) à l’adresse suivante : www.mffp.gouv.qc.ca/documents/forest/understanding/research/Journal-climate-757-764.pdf