Articles hiver 2023

L'hiver, un allié pour la réalisation de travaux forestier en milieux sensibles, et biens plus! 

La saisonnalité du Québec peut comporter son lot de défis pour les aménagistes forestiers. Les sécheresses prolongées et la hausse subséquente de l’inflammabilité, ou encore les pluies diluviennes, le froid intense ou les vents forts, le climat peut définitivement malmener les forestiers les plus résilients et chambouler le calendrier des travaux prévus. Malgré tout, l’hiver représente une période appropriée pour la réalisation de certains travaux, notamment dans des milieux fragiles ou qui abritent des éléments sensibles. Nous abordons ici quelques situations où il est possible de tirer avantage du froid et de la neige dans le cadre de travaux forestiers. 

Sortir du bois tout en préservant les milieux fragiles

Pour diverses raisons, les producteurs forestiers n’apprécient pas tous les milieux humides de manière équivalente. Ce qui fait par contre consensus, c’est que personne n’apprécie de voir des ornières profondes sur sa propriété. Ces ornières sont potentiellement génératrices d’érosion, en plus de rendre difficile l’accès à certaines portions des propriétés. Elles modifient également l’hydrologie de surface et peuvent même engendrer la création de nouveaux milieux humides en aval, selon la dynamique d’écoulement. De plus, les milieux humides et hydriques sont protégés par la Loi. 

Ainsi, lorsque les interventions sont permises dans les milieux humides, il est tout à fait avisé d’attendre que les sols y soient suffisamment gelés et enneigés pour intervenir. On peut alors récolter son bois, tout en minimisant les impacts indésirables liés à l’orniérage. Les mêmes bénéfices sont observables en termes de compaction des sols. Un sol bien gelé et couvert d’une bonne épaisseur de neige prévient généralement ces aspects indésirables. Évidemment, il peut arriver que certains hivers, les conditions attendues ne soient pas au rendez-vous, particulièrement dans le sud du Québec. Une approche optimale devrait prévoir également la préparation des sentiers quelques jours au préalable afin de favoriser la pénétration du gel plus profondément dans la colonne de sol.

 

 

Sortir son bois tout en préservant les espèces sensibles 

Les milieux forestiers du sud du Québec abritent plusieurs espèces menacées, vulnérables ou fragiles en contexte d’aménagement forestier. Pour certaines espèces, les travaux d’hiver sont une exigence. Pour d’autres, il s’agit de mesures volontaires, mais qui réduisent tout de même les risques d’impacts indésirables. Ainsi, malgré que ce ne soit pas toujours obligatoire, il est judicieux, lorsqu’on peut se le permettre, d’attendre l’hiver pour intervenir là où il y a des espèces fragiles. On reconnaît généralement que les principaux enjeux à prendre en compte pour les espèces fragiles à l’aménagement sont, outre l’ouverture excessive du couvert, les modifications du drainage et la perturbation des sols. L’hiver devient donc la période idéale pour préserver intactes ces caractéristiques critiques des peuplements aménagés, alors que les sols sont bien gelés et recouverts de neige.  

 

 

Sortir son bois tout en préservant le potentiel acéricole de son boisé

Certaines essences d’arbres sont plus fragiles que d’autres aux bris mécaniques des racines, notamment les érables, ainsi que certaines espèces de bouleaux. Cette vulnérabilité sera évidemment corrélée aux caractéristiques physiques des sols, mais force est de constater que la machinerie lourde utilisée pour l’abattage, et surtout pour le transport du bois sur les chantiers, peut engendrer une perte de vigueur, une vulnérabilité à certains pathogènes, voire une mortalité non souhaitée dans les peuplements. À cet égard, la réalisation de travaux d’hiver peut réduire cette mortalité collatérale, en préservant les racines et les attributs des sols. En contexte de production acéricole, mieux vaut jouer de prudence pour maintenir la productivité de l’exploitation! 

 

 

Sortir son bois tout en réduisant la prolifération des pathogènes

Plusieurs maladies affectent les arbres : maladie hollandaise de l’orme, maladie corticale du hêtre, rouille vésiculeuse, maladie du rond et bien d’autres. Les pathogènes sont nombreux et leur entrée dans un peuplement peut engendrer des effets dévastateurs. L’aménagiste avisé pourra cependant profiter de l’hiver pour réduire la probabilité de disséminer certains pathogènes en abattant un arbre infecté. C’est le cas notamment de la maladie du rond qui affecte principalement le pin rouge, mais qui une fois établie et latente dans le sol d’un secteur infecté, peut affecter plusieurs autres espèces.

Il est généralement reconnu que l’abattage fait en période de température froide élimine le risque de propager le champignon. Les paramètres précis concernant la température et la durée de cette température froide requis pour assurer l’élimination du risque de propagation varient entre les sources. Chose certaine, un abattage des arbres infectés en hiver est à favoriser, puisqu’il a été bien démontré que le risque de propager le champignon est nul lorsque les interventions sont faites en hiver. Il faut aussi savoir que d’autres modalités peuvent être requises dans la gestion des pathogènes. Il vaut donc mieux solliciter les conseils d’un(e) professionnel(le) dans ces situations, car les implications sont grandes. 

 

 

 

Sortir son bois et nourrir la faune

Plusieurs propriétaires et travailleurs sylvicoles ont vécu cette situation : on bûche le matin, on quitte pour dîner et au retour au chantier en après-midi, des traces de cerf un peu partout accompagnées de branches broutées au sol. En période de disette hivernale, l’abondance temporaire de nourriture créée par l’abattage et le façonnage de tiges de plusieurs espèces d’arbres constitue une ressource alimentaire importante pour certains herbivores. Et il faut rappeler que cette nourriture, bien que peu attirante dans nos paramètres gastronomiques, est tout à fait adéquate dans le régime alimentaire hivernal d’un ruminant comme le cerf. En effet, en hiver, la flore intestinale du cerf s’adapte à une alimentation constituée de ressources plus ligneuses, plus coriaces. C’est donc dire qu’en hiver, les têtes de cèdres ou de sapins sont beaucoup plus indiquées pour le cerf que le maïs que certains leur offrent, malgré toutes leurs bonnes intentions.

 

Sortir son bois en sécurité

Particulièrement pour les producteurs forestiers qui procèdent à leurs travaux d’abattage manuellement, le feuillage abondant qui caractérise les canopées forestières en été peut cacher de mauvaises surprises. Branches suspendues, têtes cassées ou cassantes, les risques d’accident peuvent être bien réels et les conséquences, dramatiques. L’hiver représente alors un moment idéal pour repérer ces situations potentiellement dangereuses, alors que les têtes des arbres sont bien visibles. L’aménagiste pourra minimalement identifier les tiges dangereuses ou particulières et au besoin, adapter sa stratégie pour abattre le ou les arbres dangereux en toute sécurité et au moment opportun.

D’autre part, les insectes piqueurs et autres invertébrés potentiellement vecteurs de maladies, comme la tique à pattes noires qui peut transmettre la maladie de Lyme, sont beaucoup moins actifs en hiver, bien que le risque ne soit pas nul. De plus, les vêtements longs qui s’imposent en hiver réduisent d’autant plus le risque d’être infecté par une tique porteuse de la bactérie à l’origine de la maladie. 

 

Les limites

Nous venons de dresser un court portrait de quelques avantages liés aux travaux d’hiver, autant pour le producteur que pour les milieux naturels et les autres composantes de la biodiversité. Il n’en demeure pas moins qu’il y a certaines contraintes liées à l’hiver. D’abord, il serait impensable de réaliser tous les travaux en hiver. Que feraient tous ces propriétaires et opérateurs de machinerie en été? Les paiements à la banque ne prennent pas congé en été! Ensuite, les grands froids sont peu invitants pour les bûcherons occasionnels, en plus de mener la vie dure à la machinerie (pièces cassantes, viscosité des lubrifiants, pannes ou lignes gelées, etc.) De même, les couvertures de neige très importantes rendent la circulation au chantier parfois plus difficile. Cet enjeu est (malheureusement?) moins d’actualité dans le sud du Québec, mais tout de même. Ajoutons enfin que l’exposition du sol minéral étant nécessaire pour régénérer efficacement certaines essences d’arbres comme le bouleau jaune ou le pin blanc, les travaux réalisés en hiver, de par le fait qu’ils perturbent peu les sols, sont peu utiles pour favoriser ces espèces.

La solution pour bien manœuvrer et optimiser ses opérations demeure donc une bonne planification. Marcher son boisé en hiver donnera souvent une perspective autre qu’en été (et les mouches en moins, ce n’est pas rien). Des situations potentiellement dangereuses pourront être identifiées, ainsi que certaines opportunités d’accéder à des secteurs habituellement plus difficiles d’accès lorsque le sol n’y est pas gelé et enneigé. En connaissant bien leur boisé, les propriétaires seront à même d’identifier les interventions à prioriser avant le retour du temps doux. Les gains y sont multiples : préservation des sols et de la flore de sous-bois, sécurité accrue, maintien de la vigueur de certains peuplements, réduction des risques de propager des pathogènes indésirables, etc. Les aménagistes prévoyants peuvent définitivement utiliser les saisons à leur avantage et à l’avantage de la santé de leur boisé!

 

 

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