La forêt de la Montérégie, comme les forêts d’ailleurs, subit les impacts des changements climatiques. Canicules, variations des températures saisonnières et événements climatiques extrêmes font partie des manifestations de ces changements. Nos forêts bénéficient d’une certaine résistance à ces stress, mais les changements attendus se matérialiseront en un temps très court, sans commune mesure avec l’échelle de temps nécessaire à l’adaptation des espèces. Voici pourquoi l’Agence forestière de la Montérégie (AFM) a développé un guide d’adaptation des forêts.
Objectifs du guide
Comment peut-on aider les boisés à devenir mieux adaptés aux conditions qui s’annoncent? Adapter nos forêts ne sera pas une tâche facile, mais la sylviculture constitue sans aucun doute l’outil de prédilection pour diriger cette adaptation. Sans prétendre solutionner l’ensemble des problèmes que rencontreront les forestiers en lien avec les changements climatiques, ce guide tente de faire connaître les manifestations attendues en Montérégie et leurs effets potentiels sur les forêts et la sylviculture. Il tente également de proposer une démarche pour intégrer ces nouvelles considérations aux décisions d’aménagement forestier, notamment en proposant des éléments à prendre en compte pour évaluer le niveau de risque et la capacité d’adaptation des peuplements.
Cette connaissance des vulnérabilités d’un peuplement peut certainement orienter le choix des essences à y favoriser vers celles pressenties comme les plus résistantes aux stress attendus. La complexité de la problématique rend difficile de prédire quelle menace frappera le plus fort un boisé donné. Pour faire face à la vaste incertitude entourant les impacts des changements climatiques, la littérature scientifique nous suggère de rester humbles et de miser sur le retour ou le maintien de la diversité des forêts afin qu’elles profitent du large éventail des capacités d’adaptation développées par les espèces d’arbres qui les composent.
Ce guide s’adresse d’abord aux conseillers forestiers, mais aussi aux propriétaires forestiers impliqués activement dans les stratégies sylvicoles touchant leurs boisés. Il se veut un outil d’aide à la décision pour orienter les choix des travaux sylvicoles afin de maximiser les chances de maintenir la santé de nos écosystèmes forestiers à court, moyen et long termes.
Par des choix avisés d’aménagements sylvicoles et les ajustements qu’ils apporteront à leurs approches, les conseillers forestiers joueront un rôle clé pour assurer la pérennité des forêts feuillues du sud du Québec.
Changements climatiques attendus et impacts potentiels sur les forêts
Plusieurs facteurs sont susceptibles d’affecter les forêts dans les années à venir. Voyons un résumé des principales projections présentées dans le guide :
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Augmentation des températures annuelles moyennes;
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Augmentation de la fréquence et de l’intensité de plusieurs types de manifestations climatiques extrêmes, comme les pluies, les gels et dégels, les vents, etc.;
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Profonds changements dans le cycle de l’eau, dont une diminution de l’infiltration de l’eau dans le sol;
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Augmentation des quantités annuelles de précipitations (4 à 9 % de plus en Montérégie en 2050);
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Risque accru de sécheresse estivale;
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Risque accru de stress hydrique causant en outre une baisse de la croissance et de la vigueur des arbres.
L’indice d’humidité climatique (IHC) donne une idée du niveau d’humidité des sols végétalisés. Une valeur positive de l’indice révèle des conditions humides avec des précipitations suffisantes au maintien d’une forêt à couvert fermé. À l’opposé, un IHC négatif révélerait des sols secs qui pourraient, au mieux, soutenir des forêts discontinues. Ainsi, un IHC de 5 suffirait à peine à soutenir le maintien de forêts continues.
L’embolie
Chez les arbres, comme les autres plantes, la sécheresse peut entraîner un dysfonctionnement qu’on appelle l’embolie ou la cavitation. En effet, dans un arbre, l’eau (ou sève brute) se déplace des racines jusqu’aux feuilles dans les vaisseaux du bois. Ce mouvement passif de l’eau vers le haut est provoqué par l’évapotranspiration au niveau des feuilles qui créent une succion dans ces vaisseaux. Comme dans une paille, l’eau est ainsi entraînée par capillarité jusqu’aux feuilles où elle participera à la photosynthèse.
Quand la température augmente, l’évaporation s’accélère, ainsi que le mouvement de l’eau des racines vers l’atmosphère. En période sèche, l’eau du sol ne suffit bientôt plus à approvisionner et à maintenir la colonne d’eau dans les vaisseaux de l’arbre. La succion, en se poursuivant, provoque l’apparition d’une bulle dans le vaisseau, qui crée un bouchon d’air et brise la continuité de la colonne d’eau nécessaire à sa circulation et à l’approvisionnement d’une partie des cellules de la plante. C’est l’embolie.
Enjeux climatiques saisonniers
Habituellement, les interventions sylvicoles sont planifiées en fonction des saisons. Puisque nos quatre saisons seront affectées par les changements climatiques, il est important de connaître les principales modifications à attendre pour chacune, ainsi que leurs impacts, tant sur la forêt que sur les interventions sylvicoles. La figure 2 présente une idée des nouvelles saisons telles que nous pourrions les vivre en 2050.
Impacts potentiels sur la forêt et les activités sylvicoles
Hiver
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Baisse de la protection de la végétation basse, assurée par le couvert de neige, contre le froid et le broutement.
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Risque accru de gel des racines (redoux hivernaux, minces couverts de neige et sols gorgés d’eau augmentant la conduction du gel).
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Meilleurs taux de survie des insectes ravageurs et augmentation des risques de dommages.
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Risques d’embolies hivernales : les cycles de gel et de dégel successifs induisent la formation de bulles dans les vaisseaux du bois entravant, le printemps venu, la circulation de la sève brute.
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Augmentation des épisodes de verglas hivernaux risquant de causer des blessures aux arbres qui serviront de portes d’entrée aux maladies.
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Fragilisation des sols forestiers par les températures clémentes et le couvert de neige restreint limitant l’accès à la forêt pour la récolte hivernale du bois.
Printemps
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Raccourcissement de la période propice aux travaux de récolte de bois par des dégels hâtifs.
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Jeunes feuilles rendues plus vulnérables au gel par le débourrement hâtif des bourgeons combiné aux risques de gel tardifs.
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Devancement de la saison propice à la plantation des arbres.
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Broutage accru des cervidés causé par leur meilleure survie hivernale (hivers plus courts avec un couvert de neige plus mince).
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Augmentation des chablis causés par une augmentation des vents violents et des précipitations printanières (l’humidité du sol réduit la qualité de l’ancrage des arbres).
Été
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Augmentation du ruissellement de l’eau au détriment de son infiltration dans le sol (grandes quantités de précipitations concentrées dans des laps de temps très courts).
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Augmentation de la sécheresse du sol résultant de la demande accrue en eau de la part des végétaux (augmentation de l’évapotranspiration causée par les températures élevées).
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Problème d’établissement des semis causé par la sécheresse des sols (plus grave pour les espèces qui se reproduisent mal de façon végétative et dont les semences nécessitent un substrat humide pour germer).
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Accroissement de la fréquence des embolies et du stress hydrique, causé par les sols plus secs, affectant la santé, la croissance et la survie des arbres.
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Érosion accentuée des sols, notamment dans les sentiers de débardage et les chemins forestiers, causée par les pluies torrentielles.
Automne
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Allongement, durant l’automne, de la saison de croissance des arbres et des autres végétaux.
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Mise à profit différente de cet allongement par les différentes espèces végétales : les plus promptes à s’adapter conserveront leur feuillage plus tard, poursuivront leur croissance plus longtemps et deviendront plus compétitives. C’est notamment le cas du nerprun bourdaine, une espèce exotique envahissante.
Adapter sa forêt aux changements climatiques
Rendre les forêts mieux adaptées aux conditions climatiques qui s’annoncent nécessitera de revoir quelque peu nos façons de faire de l’aménagement forestier. C’est surtout à l’étape du diagnostic sylvicole et de la planification des travaux que les efforts devront être mis pour intégrer ces nouvelles préoccupations aux décisions d’aménagement forestier.
La démarche suggérée dans le guide pour intégrer des changements climatiques aux décisions d’aménagement forestier propose les 5 étapes suivantes. Celles-ci sont bien décrites dans le guide, mais elle se résume ainsi :
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Identifier le peuplement visé et ses caractéristiques;
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Évaluer le niveau de risque du peuplement;
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Évaluer la capacité d’adaptation et les enjeux du peuplement;
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Déterminer l’approche à adopter;
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Identifier les objectifs d’aménagement et les moyens à mettre en œuvre.
Conclusion
Le guide tente de dresser quelques grandes lignes du portrait des effets des changements climatiques sur les forêts montérégiennes. Il espère orienter le travail des intervenants forestiers afin qu’ils intègrent ces nouveaux enjeux à leurs décisions et qu’ils dirigent le développement des forêts de façon à les prémunir au mieux contre quelques menaces connues.
Plusieurs enjeux forestiers se dessinent en Montérégie en lien avec les changements climatiques. Les interactions entre les composantes des écosystèmes forestiers sont si multiples, complexes et mal connues qu’on ne peut prévoir toutes les réactions en chaîne qui résulteront des changements attendus. Il est surtout impossible de prédire lesquels auront le plus d’incidence sur une forêt donnée.
Les conseillers et propriétaires forestiers seront emmenés à jouer un rôle important pour l’adaptation des forêts. La connaissance d’une partie des menaces et des risques pourra influencer leurs choix d’objectifs d’aménagements et de travaux sylvicoles. Malgré la responsabilité qui leur reviendra de développer des solutions et des façons de faire innovatrices, ils devront rester conscients que persiste une incertitude substantielle sur la nature et l’ampleur des menaces auxquelles feront face les forêts. À la manière d’un financier qui a intérêt à diversifier les investissements de son portefeuille en période d’incertitude économique, un conseiller forestier devra lui aussi éviter de mettre tous ses œufs dans le même panier et travailler à favoriser la diversité de la forêt.
En savoir plus
Consultez le guide complet sur le site Internet de l’AFM : www.afm.qc.ca