ARTICLES ÉTÉ 2024

Survol des effets des perturbations naturelles sur nos arbres

Les forêts québécoises sont soumises à une variété de perturbations naturelles. Avec les changements climatiques, ces dernières deviennent progressivement plus intenses et plus fréquentes. Les défis à surmonter pour nos écosystèmes forestiers sont donc en progression. Comprendre les effets de ces perturbations pourrait certainement nous aider à prendre de bonnes décisions quant à la gestion de nos forêts. 

Effets généraux

En définition, une perturbation naturelle est une modification de l’environnement par un facteur naturel qui cause un dérangement ou un bouleversement dans l’évolution de la végétation, du sol ou de tous autres éléments de l’écosystème. Ce peut être un feu, une sécheresse, un verglas, etc. 

Au niveau des arbres, les perturbations causent des effets directs comme des blessures, des pertes de biomasse ou la mort. Elles provoquent aussi des effets indirects. Comme les arbres survivants aux perturbations doivent investir un surplus d’énergie dans leur survie et leur réparation, il en reste moins pour leur croissance, leur reproduction ou leur défense, ce qui les rend, en outre, plus sensibles aux insectes et aux maladies. De plus, les blessures sont des portes d’entrée aux ravageurs. 

Voyons plus en détail quelques effets individuels de diverses perturbations naturelles rencontrées au Québec. 

 

La sécheresse

La hausse des sécheresses est l’une des perturbations particulièrement appréhendées dans le sud du Québec. Les prévisions quant aux volumes des précipitations estivales à venir divergent un peu, mais en moyenne, on ne prévoit pas de baisse significative des pluies totales. Toutefois, le portrait est différent en ce qui concerne l’eau disponible pour la végétation. Il devrait y avoir davantage de pluies fortes et de ruissellement, moins d’infiltration d’eau dans le sol, et par conséquent, les arbres devront évoluer dans des sols globalement plus secs. 

La sécheresse des sols nuit à l’établissement des semis, dont ceux des épinettes, de la pruche et du thuya particulièrement. Elle limite aussi l’établissement de plusieurs feuillus, et ce, jusqu’à ce que leurs racines atteignent les couches minérales. Pensons aux peupliers, aux bouleaux, à l’érable à sucre et au chêne rouge. 

La sécheresse peut évidemment nuire à la croissance et la vigueur des arbres. Elle peut même causer la mort par embolie, soit par la formation de bulles dans les vaisseaux qui empêchent ceux-ci de fonctionner et d’alimenter l’arbre. Une embolie peut causer la mort de quelques feuilles, d’une branche et même d’un arbre si suffisamment de vaisseaux sont obstrués. Une étude québécoise estime qu’un conifère est condamné si 50 à 60 % de ses vaisseaux sont bloqués. S’il y en a moins, l’arbre devrait normalement recréer des vaisseaux et survivre.

Une embolie se forme lorsque la pression est trop élevée dans l’arbre. À la base, l’eau est absorbée par les racines et transportée dans les vaisseaux par un phénomène de succion (la transpiration et l’évaporation de l’eau à la surface des feuilles). Plus il fait chaud, plus l’eau s’évapore rapidement et plus la force de succion augmente. Lorsque l’eau se raréfie dans le sol, une grande force de succion attire des bulles d’air dans les vaisseaux et cause l’embolie. 

Les arbres peuvent se protéger de l’embolie en fermant leurs stomates, soit les trous laissant l’eau sortir à la surface des feuilles. En contrepartie, ils ne sont plus capables de se nourrir. Leur capacité de survie dépend alors de la durée de la sécheresse et de leur réserve en nourriture. 

En moyenne, les feuillus gardent leurs stomates ouverts plus longtemps que les conifères en cas de sécheresse et sont plus à risque d’embolie. Certains arbres tentent d’éviter les sécheresses par leur capacité de puiser de l’eau en profondeur. Il s’agit du micocoulier occidental, du frêne rouge, des noyers cendré et noir, des pins gris, rouge et blanc, du peuplier deltoïde, des chênes rouge et à gros fruits, et du robinier faux-acacia. D’autres espèces vont résister au mieux à la sécheresse en se protégeant de l’embolie et en fermant efficacement leurs stomates. Pensons aux épinettes blanche et noire, et aux cerisiers tardif et de Pennsylvanie. Enfin, les espèces potentiellement les plus sensibles à la sécheresse sont l’aulne rugueux, les bouleaux jaune et à papier, le frêne noir, les peupliers baumier, à grandes dents et faux-tremble, le saule noir, le tilleul d’Amérique et les ormes d’Amérique, rouge et liège. 

 

Les sécheresses selon les saisons

La tolérance à la sécheresse varie au cours de l’année. Elle est à son maximum l’hiver et à son minimum lors du débourrement au printemps. En fait, les mois d’avril à juillet sont déterminants dans la croissance des arbres. Un déficit en eau au printemps retarde la période de végétation et la croissance des arbres. C’est au printemps que ces derniers fabriquent de nouvelles racines destinées à l’absorption de l’eau. Leur capacité d’absorption est donc moindre à ce moment. Selon une étude, une sécheresse de plus de 6 jours entre avril et juillet peut provoquer l’arrêt de la croissance radiale et la formation de fentes. 

 

Les inondations et surplus d’eau

Les arbres ont besoin de respirer de l’oxygène par leurs racines. Lors d’inondations ou d’importants surplus en eau, le sol se gorge et les bulles d’air sont expulsées. La respiration des racines devient alors impossible et ces dernières s’asphyxient progressivement causant l’arrêt de leurs fonctions et de l’alimentation de l’arbre. 

Considérant les valeurs écologique, sociale et économique des milieux humides et des plaines inondables, il est de loin préférable d’envisager la plantation d’arbres tolérants aux inondations que de drainer les sols. Par conséquent, voici quelques espèces intéressantes pour ces milieux. 

Le chêne bicolore est très tolérant aux inondations. Il peut supporter jusqu’à 30 jours d’inondation en pleine saison de croissance. Il pousse d’ailleurs naturellement en bordure des cours d’eau. L’érable argenté, le frêne noir et le peuplier baumier sont aussi des espèces intéressantes en zone inondable. À noter : la plantation de frênes noirs n’est pas conseillée en raison de leur grande vulnérabilité à l’agrile du frêne. Mieux vaut attendre la disponibilité de variétés résistantes. 

Le micocoulier occidental a une bonne tolérance ponctuelle aux inondations. C’est-à-dire qu’il peut tolérer une année complète d’inondation, mais cela ne doit pas se répéter l’année suivante. Il doit se rétablir. C’est donc un arbre indiqué en cas de risques occasionnels d’inondation. 

Le chêne à gros fruits tolère modérément les inondations, mais sa croissance est réduite si cette perturbation survient au printemps ou en été. 

Enfin, plusieurs espèces sont intolérantes ou très intolérantes aux inondations, dont le cerisier tardif, le hêtre à grandes feuilles, les chênes blanc et rouge ainsi que l’érable à sucre. Puis, de façon générale, les conifères sont peu tolérants aux inondations. 

 

 

 

D’autres coupables à l’asphyxie

L’asphyxie des racines ne se limite pas aux inondations. L’activité humaine peut en être la cause. Par exemple, compacter un sol par la circulation de véhicules élimine l’air du sol et tue les racines de la zone. Même marcher suffit à compacter un sol. C’est pourquoi les arbres à proximité d’un sentier pédestre ont plus de dommages racinaires que les arbres distancés. En circulant uniquement dans les sentiers, on évite que ce phénomène se répercute à tous les arbres. 

 

Les variations de température

Les températures extrêmes

Les températures très élevées bloquent la photosynthèse, réchauffent les tissus végétaux et peuvent détruire certaines protéines. D’ailleurs, une étude a démontré qu’au-delà de 42 oC, des protéines de l’épinette blanche étaient détruites dans les feuilles. Les températures élevées peuvent aussi causer des manques d’eau chez les arbres, car ces derniers sont parfois incapables de s’approvisionner aussi vite qu’ils perdent leur eau par évapotranspiration. Les stomates se ferment alors et l’arbre doit se réapprovisionner en eau au cours de la nuit, à condition que le sol ait suffisamment d’eau. 

Les semis en général et les jeunes conifères en plantation sont particulièrement sensibles aux températures élevées. Les températures létales des semis varient entre 30 oC à plus de 45 oC  au niveau du sol (figure 1). Les sols foncés accumulent de la chaleur et augmentent les risques. 

 

 

Les redoux hivernaux

Les arbres en dormance l’hiver ont une bonne résistance au froid. Toutefois, les redoux importants ou persistants peuvent mettre fin à la dormance et déclencher le débourrement des bourgeons. Cela induit une perte de résistance au froid. Puis, au retour des températures normales hivernales, des dommages aux branches et aux racines sont plus que probables, surtout si le retour du froid est drastique et que le couvert de neige est faible. 
L’épinette rouge, les bouleaux à papier, à feuilles cordées et jaune, ainsi que le frêne d’Amérique réagissent mal aux longs redoux hivernaux. Un dépérissement en cime est possible. 

Le gel tardif

Les risques de gel tardif devraient s’accroître par la combinaison de deux conséquences des changements climatiques : le devancement de la saison de croissance et les hausses des variations de température. D’ailleurs, un gel tardif a frappé le sud du Québec au printemps 2023 affectant plusieurs feuillus en débourrement. De nombreux chênes rouges, dont les feuilles étaient particulièrement vulnérables au moment du gel, ont été touchés sévèrement (figure 2). 

En hiver, les arbres ont des mécanismes de protection contre le froid. Au printemps, ces mécanismes se résorbent pour faire place au débourrement des feuilles et à une nouvelle saison de croissance. Les phénols et les tannins, qui chargent et protègent les bourgeons en hiver, se diluent dans les nouvelles pousses, laissant ces dernières sans protection significative face au gel. Le résultat d’un gel tardif : le bris ou la mort des rameaux et des feuilles vulnérables. 

La vulnérabilité des arbres et de leurs feuilles varie avec le temps et les arbres. D’abord, le débourrement des feuilles est étalé sur plusieurs semaines. Les arbres affectés seront ceux ayant des feuilles fraîches au moment du gel. Ensuite, les couches d’air les plus froides lors d’un gel sont au niveau du sol. Les petits arbres sont donc plus sensibles que les grands. Enfin, un arbre en altitude, exposé au nord et dans un milieu dégagé sera plus vulnérable qu’un arbre à basse altitude, exposé au sud et sous un couvert végétal protecteur. 

La tolérance au gel est aussi variable. D’abord, les arbres indigènes québécois et bien implantés dans leur milieu vont généralement survivre à un gel tardif. Leur croissance peut être retardée s’ils doivent fabriquer de nouvelles feuilles. Plus un arbre est vigoureux au départ, plus son rétablissement sera rapide. Par contre, si l’arbre est très affaibli ou s’il subit une série de stress (ex. nouveau gel, sécheresse, bris par le vent, etc.) dans les semaines ou mois suivant le gel, ses capacités de rétablissement ou de survie seront amoindries. 

 

 

Chez les semis ou les jeunes gaules en milieu ouvert, les gels tardifs sont plus ravageurs. C’est pourquoi les pertes de plants en pépinière sont élevées lors de gels tardifs. 

Enfin, les gels tardifs peuvent aussi affecter la reproduction de certains arbres, surtout les espèces aux fleurs hâtives comme les peupliers et les érables rouges. Cela réduit ponctuellement la production de semences et peut affecter la concurrence au sein de la future régénération.

Le verglas

Plusieurs d’entre nous se rappellent le verglas de 1998. Jusqu’à 100 mm de verglas sont tombés par endroit et environ 1,8 million d’hectares de forêt ont été affectés dans le sud du Québec. Les dommages directs furent des flexions d’arbres, des cassures de branches, de cimes et de troncs, ainsi que des renversements d’arbres. 

Les verglas importants sont de réels défis pour les arbres, car un poids considérable s’accroche à eux, jusqu’à 30 fois le poids des branches. Les verglas causent généralement peu de mortalité immédiate. Ça se limite normalement à des bris à la portion aérienne. Comme les dommages aux racines sont souvent faibles, voire nuls, les arbres vigoureux et résilients ont une bonne capacité de régénérer leur cime avec le temps. Il faut toutefois surveiller les arbres en perdition ainsi que les effets indirects du verglas. Le couvert végétal est plus ou moins réduit selon l’intensité du verglas et les caractéristiques du peuplement. Cela génère une entrée de lumière dans le peuplement et peut modifier sa dynamique.

Effets indirects potentiels du verglas 

  • Ralentir la croissance des arbres par la perte de nombreux rameaux et bourgeons. 

  • Compromettre la survie des semis tolérants à l’ombre (ex. celle de l’érable à sucre).

  • Favoriser certaines espèces indésirables (ex. les espèces exotiques envahissantes), fortement compétitives (ex. le framboisier) ou de valeurs monétaires moindres (ex. le peuplier et le sapin).

  • Causer des insolations aux troncs.

  • Assécher le sol et induire une perte de productivité.

  • Favoriser la formation de pousses adventives réduisant la valeur des billes.

La vulnérabilité des arbres au verglas dépend de leur capacité à supporter un poids additionnel qui elle-même dépend de plusieurs aspects.  

Facteurs de vulnérabilité au verglas

  • Un verglas abondant et d’une grande durée  augmente les dommages.

  • Une cime large, volumineuse et contenant de nombreuses branches, ramilles fines ou fruits persistants retient plus de glace. 

  • Une cime haute ou asymétrique est moins stable. 

  • Une cime préalablement lourde (ex. contenant de nombreux cônes sérotineux) peut supporter moins de charge additionnelle. 

  • Un bois mou a tendance à fléchir alors qu’un bois dur résiste à la charge jusqu’à ce que celle-ci atteigne le point de rupture du bois. 

  • Une structure conique (ex. celle des conifères) est avantageuse, car une tige verticale et centrale, accompagnée de branches qui se supportent les unes sur les autres, est stable. 

  • La présence des défauts, tels des fentes, des fourches, de l’écorce incluse, de la pourriture ou un chancre, augmente les risques de dommages. 

  • Un milieu fermé avec une densité d’arbres suffisante pour permettre l’entremêlement des branches permet de répartir la charge et limite le balancement des arbres. 

  • Un milieu ouvert expose les arbres à l’effet combiné du verglas et des vents, ce qui augmente les risques de dommages. 

 

Les ramilles fines

Une abondance de ramilles favorise les dommages en cas de verglas, car cela accroît le volume de glace capté. De plus, ces petites branches, bien qu’elles soient flexibles et plient, s’appuient sur les branches principales qui sont peu flexibles et qui se brisent sous un poids excessif.  

Certaines espèces ont tendance à former de nombreuses ramilles. Il s’agit du micocoulier occidental, du frêne de Pennsylvanie, du chêne des marais et du févier épineux. À l’inverse, le noyer noir, les chênes blanc et rouge sont plus résistants grâce à leurs branches de plus gros diamètres. 

 

 

Les conifères sont en moyenne plutôt résistants au verglas. Toutefois, les pins, qui ont une structure plus étalée, sont davantage vulnérables. Chez les feuillus, le classement des espèces selon leur résistance varie en fonction des sources. De plus, certaines observations suivant le verglas de 1998 viennent à l’encontre de quelques classements. Par exemple, le bouleau jaune a subi davantage de dommages que prévu, surtout ceux en peuplement fortement éclairci. Voici néanmoins une compilation moyenne des résistances : 

  • Vulnérables : bouleau jaune, orme d’Amérique, érable argenté, cerisier tardif et tilleul d’Amérique;

  • Intermédiaires : érables à sucre et rouge, frêne d’Amérique, chêne rouge et pin blanc;

  • Résistants : pruche du Canada, épinette blanche et caryers. 

Enfin, le rétablissement des arbres suite à un verglas est favorisé par un bon état de santé au préalable ainsi que de bonnes conditions de croissance. À noter : des essais de coupes fortes suivant le verglas de 1998 ont retardé le rétablissement des arbres. La patience et les conseils d’un ingénieur forestier sont donc recommandés en cas de verglas important.  

Les feux de forêt

Les feux de forêt sont des perturbations importantes en forêt boréale, mais moins courantes dans le sud du Québec. Néanmoins voici quelques éléments intéressants à savoir sur les feux : 

  • Une grande hauteur, une cime élevée, une écorce épaisse et un grand diamètre limitent la sensibilité aux dommages;

  • Les arbres à racines profondes et capables de se régénérer végétativement peuvent se rétablir malgré des blessures importantes;

  • Les pins gris et les épinettes noires dépendent des feux pour se régénérer. D’ailleurs, les cônes du pin gris s’ouvrent généralement à partir de 50 oC;

  • Un faible couvert de neige favorise les feux dans l’année qui suit;

  • Si les feux deviennent trop intenses ou trop fréquents, les écosystèmes forestiers boréaux pourraient se transformer en milieux semi-ouverts. Les suivis après feux sont donc nécessaires ainsi que les reboisements en l’absence de régénération suffisante. 

 

Recul possible de la forêt boréale face à la hausse des feux 

Une étude des sédiments en profondeur du Manitoba a relevé des similitudes entre les feux d’aujourd’hui et ceux d’il y a 7000 ans. Selon les auteurs de l’étude, les superficies de forêts boréales pourraient se réduire comme cela s’est produit il y a 7000 ans. À l’époque, le Manitoba était couvert de forêt boréale dense. Un réchauffement climatique causé, notamment par l’axe de la Terre par rapport au Soleil, a créé des conditions propices aux feux. Considérant que le réchauffement climatique actuel est plus ou moins 10 fois plus rapide que celui observé il y a 7000 ans, les conséquences des feux d’aujourd’hui pourraient être plus graves. 

 

Connaissez-vous les feux zombies?

Ces feux sont aussi appelés : feux dormants, feux hibernants ou incendies résiduels. Ce sont des feux qui perdurent dans le sol après la saison des feux. Ils peuvent resurgir plus tard, voire au printemps, lors de conditions sèches, et ce, à de nombreux kilomètres du feu d’origine parfois. 

C’est un phénomène relativement courant et celui-ci devrait être de plus en plus fréquent avec les changements climatiques. La saison sèche et les feux historiques vécus en 2023 dans plusieurs régions du Canada furent idéaux pour ce type de feu. D’ailleurs, le nombre de feux zombies au Canada au printemps 2024 est particulièrement élevé. Les techniques de détection de ces feux souterrains sont donc à améliorer pour limiter les dommages. Certains d’entre eux n’émettent aucune fumée, ils sont donc difficiles à détecter sans inspecter chaque mètre carré de forêt. 

 


 

 

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