ARTICLES ÉTÉ 2024

Faux printemps : quelles conséquences sur la croissance d’un arbre?

Des travaux réalisés en conditions expérimentales ont permis de mieux comprendre comment l’arbre réagit aux gels tardifs, tant au niveau de ses branches que de son architecture générale. Un sujet d’étude particulièrement d’actualité au regard du dérèglement climatique et de ses conséquences qui se font sentir un peu plus chaque année.

Le phénomène de faux printemps correspond à un hiver doux suivi de gelées tardives. C’est ce qui s’est produit en France les 6, 7 et 8 avril 2021 : des bourgeons se sont développés dès le mois de mars pour mieux geler en avril. Les conséquences sur la production fruitière ont été terribles et ont marqué les mémoires. Pour tenter de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la réponse de l’arbre à ces variations de températures, parfois extrêmes, les scientifiques de l’unité de recherche Physique et physiologie intégratives de l’arbre en environnement fluctuant (UMR PIAF) de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de France ont conçu un dispositif expérimental original, alliant chauffage différencié des branches et gel ponctuel.

En pratique, vous l’avez déjà peut-être perçu avec vos mains : entre le côté ensoleillé et la face ombragée du tronc d’un arbre, la température n’est pas la même. Une différence d’une dizaine de degrés a été mesurée par l’équipe de recherche. Une observation que les chercheurs ont exploitée astucieusement en serre à l’échelle des branches d’un noyer, afin de regarder si cela modifiait la reprise de la croissance au printemps, que ce soit la croissance primaire (formation de nouvelles branches à partir des bourgeons) ou secondaire (production de nouveau bois sur le pourtour du tronc, au niveau du cambium, permettant l’augmentation du diamètre de l’arbre).

 

AU CŒUR DU DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL

L’équipe s’est intéressée à des noyers âgés de 5 ans, placés initialement en conditions de repos végétatif ou dormance. Elle les a suivis ensuite tout au long de la saison de la végétation, de février à août. Le noyer est un arbre sur lequel l’unité de recherche a déjà consacré de nombreux travaux. De plus, il présente un débourrement tardif et une résistance au gel marquée au cœur de l’hiver.

Des résistances chauffantes enroulées autour de certaines branches ont permis de chauffer ces dernières (en moyenne +7 °C par rapport à l’air ambiant), à l’image d’un hiver doux.

Le gel tardif a été reproduit à l’aide d’une boîte réfrigérée (soit un gel ponctuel de -5 °C) en ciblant la période de début de débourrement des bourgeons des branches chauffées. 

Les branches ont été équipées de dendromètres pour mesurer leur croissance en diamètre et de caméras pour observer le débourrement des bourgeons.

Les chercheurs ont également suivi l’évolution de la teneur en eau des bourgeons (elle traduit la réactivation des tissus végétaux à l’origine de la croissance) ainsi que leur teneur en sucre. Les sucres constituent la réserve alimentaire carbonée de l’arbre en hiver. Convertis en forme soluble durant les mois les plus froids, ils assurent la survie de l’arbre. De plus, leur présence augmente la résistance au gel (le sirop de sucre gèle moins vite que l’eau).

 

 

Des bourgeons qui débourrent plus tôt, mais qui sont surtout plus sensibles au gel

Le premier résultat marquant est un effet net de la température sur la reprise de la croissance primaire, avec une différence de 10 jours observée dans les conditions expérimentales. Concrètement, cela signifie que les branches chauffées débourrent, c’est-à-dire voient leurs premiers bourgeons démarrer 10 jours plus tôt que les branches non chauffées.

Le second point concerne la croissance secondaire. Si l’on n’a pas observé de différence dans la date de reprise, la croissance mesurée sur les branches chauffées s’avère cependant plus importante sur l’ensemble de la saison de végétation que sur les branches non chauffées : les branches chauffées sont plus longues et plus larges en diamètre, suggérant que l’activité cellulaire est plus importante quand les températures sont plus élevées.

« Nous voulions mettre en évidence un lien entre les deux méristèmes, c’est-à-dire les tissus végétaux à l’origine des phénomènes de croissance : le méristème apical, permettant l’élongation des branches, et le cambium à l’origine de l’accroissement du diamètre. Un lien qui semble logique quand on évoque la continuité hydraulique entre les feuilles, le tronc et les racines. Nous avons été surpris d’observer un décalage entre les croissances primaire et secondaire. Une explication plausible est que cela doit varier en fonction du type d’arbre », explique Nicolas Dusart, ingénieur responsable de l’expérience au sein de l’équipe « micro-environnement et arbre » de l’unité.

« Quant à la sensibilité au gel, on observe des bourgeons détruits sur les branches chauffées (et même parfois des atteintes du cambium) contrairement aux branches non chauffées. La différence de reprise de croissance induite par le chauffage est suffisante (10 jours de différence entre les deux modalités expérimentales) pour qu’un épisode gélif survienne pendant cette période-là et vienne altérer une partie des bourgeons », précise le chercheur.

 

 

 

 

Un arbre qui voit son architecture modifiée

En parallèle de la reprise de croissance, un épisode de faux printemps impacte l’arbre dans son architecture même. En effet, en chauffant de manière différenciée les branches des noyers, puis en gelant les arbres, les chercheurs ont observé que la partie la plus apicale des branches chauffées était détruite par le froid. Les dégâts cellulaires concernent les bourgeons et le cambium sur environ un tiers de la branche, ce qui entraîne une réelle modification de l’architecture de l’arbre.

Par ailleurs, en cas de gel tardif, la mortalité est plus forte dans les branches chauffées, qui ont commencé leur croissance plus tôt et sont donc plus sensibles au froid, que dans les branches non chauffées. En revanche, en l’absence de gel, la croissance est plus importante du côté chauffé, plus précoce. Il en résulte une asymétrie de l’architecture de l’arbre.

« Dans les vergers par exemple, cela pourrait avoir des conséquences sur la taille des arbres, laquelle pourrait être un des moyens de lutte face au gel. Néanmoins, une meilleure compréhension de la remobilisation des réserves, et notamment les transports de sucres entre les branches, est nécessaire », indique Nicolas Dusart.

« Il existe un compromis nécessaire pour la vie des plantes, entre démarrer la croissance très tôt dans la saison pour avoir le temps de faire des branches ou bien éviter le gel tardif, mais risquer une période de croissance plus faible avant les périodes de sécheresse de l’été. Et cela va conditionner la survie de l’arbre », conclut le scientifique.

 

 


EN SAVOIR PLUS

Cet article est repris de Nicolas Dusart, Guillaume Charrier, Félix Hartmann. Faux printemps, quelles conséquence sur la croissance d’un arbre?. 2023. hal-03998211

Deux articles scientifiques sur cette étude sont en préparation. L’un d’eux est en révision et est disponible ici.

 

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