ARTICLES ÉTÉ 2024

La coupe progressive irrégulière comme outil pour favoriser la résilience des forêts tempérées nordiques?

Au Québec, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) a établi les balises d’application de la coupe progressive irrégulière (CPI) pour les principaux types forestiers dans le Tome 2 du Guide sylvicole du Québec (2013). Depuis, elle gagne en popularité et environ 20 000 ha reçoivent ce traitement chaque année en forêt publique. Grâce à sa capacité à promouvoir la complexité des peuplements, en structure et en composition, ce procédé de régénération pourrait s’avérer un atout pour favoriser la résilience face aux changements climatiques.

Qu’est-ce que la CPI? 

La CPI, ou Femelschlag, a été conçue en Europe centrale et a d’abord été décrite par Gayer en 1880. Elle consiste à récolter le peuplement avec une série de coupes partielles successives dans le but d’établir, sous le couvert protecteur d’arbres semenciers, une nouvelle cohorte de régénération après chaque coupe. En plus de créer des conditions environnementales favorables à l’établissement de la régénération et au dégagement de la régénération préétablie, la CPI vise à récolter les arbres matures et à améliorer la qualité du peuplement en éliminant les arbres faibles et défectueux. 

La CPI génère des peuplements ayant une structure d’âge irrégulière, car ceux-ci comprennent au moins deux classes d’âge. La structure n’est donc pas équienne (avec une seule classe d’âge); elle se distingue aussi de la structure inéquienne équilibrée par le fait qu’elle ne comprend pas toutes les classes d’âge nécessaires à la production d’un volume constant de bois à intervalles réguliers, comme on l’obtiendrait avec le procédé de régénération par jardinage. La répartition des coupes dans l’espace et le temps ainsi que leur effet sur la structure changeront selon la variante retenue. 

 

Les principales variantes de CPI 

C’est la structure initiale du peuplement, le nombre et l’arrangement spatial de cohortes ainsi que les objectifs d’aménagement qui guideront le choix de la variante la plus appropriée. Les formes de CPI utilisées au Québec peuvent être regroupées en trois principales variantes (figure 1).

 

 

CPI par trouées agrandies 

La CPI-TA vise à régénérer de nouvelles cohortes sous forme de trouées qui sont graduellement agrandies, sans que l’on circule sur les superficies en régénération avec la machinerie, et ce, jusqu’à ce que l’ensemble du peuplement soit récolté. La coupe finale est toutefois facultative. Cette variante convient aux peuplements de structure équienne composés de mélanges de résineux et de feuillus avec des essences peu tolérantes à l’ombre.

CPI à couvert permanent

Avec la CPI-CP, la séquence des coupes est appliquée plus librement dans l’espace et le temps, ce qui permet de maintenir un couvert continu et une structure comportant plusieurs cohortes d’âges différents. La principale différence avec les autres variantes est l’absence de coupe finale. Cette coupe se rapproche de la coupe de jardinage par pied d’arbres et groupes d’arbres, sans toutefois nécessairement viser une structure inéquienne équilibrée. Cette variante s’applique aux peuplements de structure irrégulière composés majoritairement d’essences qui tolèrent l’ombre (figure 2). Les arbres à récolter sont choisis en fonction des conditions du peuplement, en priorisant les arbres faibles et d’essences peu longévives. De petites trouées sont créées à la fois pour prélever des groupes d’arbres matures, non vigoureux ou infectés par des insectes ou des maladies et pour favoriser la régénération des essences semi-tolérantes à l’ombre. 

CPI à régénération lente

La CPI-RL vise à régénérer l’ensemble du peuplement en conservant une structure plus régulière, mais avec une rétention prolongée du couvert pour faire croître une strate de haute régénération à l’abri de conditions adverses. En comparaison avec la coupe progressive régulière (CPR), la période de régénération est allongée, car elle s’étale sur l’équivalent de plus de 20 % de la révolution (durée du cycle de développement d’un peuplement traité en futaie régulière, depuis son origine jusqu’à son âge d’exploitabilité). Par ailleurs, la CPI-RL ne comporte pas de coupe finale, contrairement à la CPR. Au Québec, la CPI-RL est proposée au lieu de la CPR lorsque le but est de maintenir ou de favoriser une structure irrégulière dans un peuplement qui sera composé d’au moins deux classes d’âges (figure 3).

 

 

 

 

Bénéfices et défis

Au Québec, la CPI est utilisée en forêt publique, notamment pour le maintien de la structure irrégulière et d’attributs de vieilles forêts, ainsi que pour favoriser la régénération d’essences en raréfaction. La CPI-CP favorise la conciliation de la production de bois avec les autres usages de la forêt. En contexte de réhabilitation de peuplements dégradés, la CPI peut contribuer à restaurer une structure irrégulière et à améliorer tant la composition en essences que la qualité. 

Le programme de recherche de la Direction de la recherche forestière du MRNF montre que la CPI peut s’appliquer dans six types de peuplements importants situés dans la forêt décidue, mixte et boréale du Québec. En forêt mixte tempérée, elle s’inspire du cycle des perturbations naturelles causées par la tordeuse des bourgeons de l’épinette. La CPI-CP s’est révélée particulièrement efficace pour régénérer une cohorte diversifiée d’essences désirées de même que pour conserver la structure irrégulière et les attributs de vieilles forêts. En forêt feuillue nordique, la CPI s’inspire des perturbations d’intensité modérée et a pour objectif de réhabiliter les peuplements appauvris (figure 4). La CPI-CP et la CPI-RL, jumelées à un contrôle du hêtre et à un scarifiage, permettent de maintenir une structure irrégulière tout en améliorant la qualité des peuplements et la régénération du bouleau jaune lorsque le broutement par les cervidés est contrôlé (figure 5). En présence d’une forte densité de cerf de Virginie, la régénération du bouleau jaune et des essences compagnes est toutefois compromise à cause de la dominance des rejets et drageons de hêtre qui repoussent vigoureusement après le dégagement mécanique (voir le Progrès Forestier de l’hiver 2024).

 

 

L’application du procédé de régénération par CPI comporte plusieurs défis. Par exemple, on doit être en mesure de mieux définir les scénarios sylvicoles permettant d’assurer le maintien d’un couvert forestier de structure irrégulière et une production de bois suffisante et assez soutenue pour être opérationnelle. De plus, il faut aussi minimiser les conséquences des opérations de récolte sur le peuplement résiduel, notamment les blessures aux arbres et le chablis. La gestion de la végétation concurrente en sous-étage et celle du broutement par les cervidés constituent aussi des défis importants pour l’atteinte des objectifs de régénération, en particulier pour les essences feuillues comme le bouleau jaune et l’érable à sucre, de même que pour les conifères appétant comme le thuya.

La CPI est de plus en plus considérée comme un outil favorisant la résilience et l’adaptation des forêts tempérées nord-américaines face aux changements globaux. Elle est par exemple expérimentée dans des projets de recherche de sylviculture d’adaptation en forêt feuillue nordique (https://doi.org/10.1016/j.foreco.2024.121990), de pins et de chênes (https://doi.org/10.5558/tfc2024-016).

Les résultats de recherche à venir, ainsi que ceux du suivi provincial de la CPI en conditions opérationnelles (suivi des effets réels), permettront de quantifier les effets à plus long terme sur la régénération, la production de bois, la séquestration du carbone et la résilience face aux changements climatiques. Nous prévoyons tester certaines mesures d’adaptation comme l’enrichissement d’essences commerciales et de provenances potentiellement mieux adaptées aux conditions changeantes.

 


 

 

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