ARTICLES ÉTÉ 2024

Le renversement des arbres : qu’est-ce qui rend nos arbres vulnérables au chablis?

Les tempêtes de vent et autres perturbations naturelles sont de plus en plus intenses et fréquentes avec les changements climatiques. On ne peut rien changer à ce fait individuellement. Toutefois, on peut mieux comprendre le phénomène de chablis, et plus particulièrement celui du renversement, et moduler nos aménagements forestiers de façon à améliorer la résistance des peuplements aux perturbations. 

Le chablis en forêt

Par définition, le chablis est le renversement, le déracinement ou la rupture d’un arbre ou d’un groupe d’arbres en raison du vent, du poids de la neige, de la glace ou de l’âge. Le chablis influence la dynamique forestière de différentes façons. 

  • La régénération peut se transformer face à de nouvelles conditions de croissance. Par exemple, une cohorte tolérante à l’ombre peut être libérée de sa compétition et favorisée. Des espèces intolérantes ou semi-tolérantes peuvent s’installer. 

  • Les conditions de sol et de germination peuvent se transformer par l’exposition du sol minéral, ce qui est favorable à certaines espèces, comme le bouleau jaune. 

  • Le chablis peut causer un rajeunissement de la forêt et être une source de bois mort, ce qui modifie les habitats fauniques et les sources alimentaires. De plus, le bois mort, une fois décomposé, devient un milieu de germination important. 

Du côté sylvicole, le chablis peut évidemment engendrer des pertes monétaires importantes pour le propriétaire. Il n’est pas vraiment possible de prévoir les phénomènes météo causant les chablis. Toutefois, il est possible de limiter les pertes en réduisant les dommages potentiels des futurs chablis, et ce, par une gestion adaptée de sa forêt. 

 

La résistance des arbres

Pour résister aux vents et autres perturbations, les arbres doivent supporter les forces et poids appliqués sur eux, incluant leur propre poids aérien qui peut être un facteur d’entraînement. Pour ce faire, ils s’ancrent au sol grâce à trois forces : 

  • la résistance du sol à la fracture;

  • la résistance des racines à l’arrachement;

  • le poids des racines et de la terre qui les entoure. 

Saviez-vous que les grands vents peuvent briser une part des racines d’un arbre sans qu’il verse? Souvent, le vent nécessaire pour renverser un arbre est supérieur à la résistance du sol à la fracture. Lorsque c’est le cas, des blessures aux racines sont occasionnées. Ces blessures deviennent des portes d’entrée aux pathogènes et peuvent affaiblir l’arbre face à de nouvelles perturbations.

Lorsque la résistance de la tige est inférieure à celle de l’ancrage, on observe une rupture de la tige plutôt qu’un renversement de l’arbre. La densité du bois, la forme de la tige (ex. une fourche) et la carie réduisent la résistance de la tige et augmentent les risques de rupture. 

 

 

Le système racinaire

Le système racinaire a une grosse influence sur la force de l’ancrage. D’abord, l’effet individuel de chaque racine dépend de sa longueur, son diamètre, sa localisation par apport au système racinaire et son anatomie. Globalement, les racines contribuant le plus à l’ancrage sont courtes, trapues, obliques ou horizontales. Toutefois, cette contribution varie en fonction du type de force appliqué. Les grosses racines à proximité de la tige sont plus rigides à la flexion que de nombreuses racines fines alors que les petites racines sont plus résistantes à l’étirement en raison de leur grande concentration en lignine et en cellulose. Une variété de racines est donc favorable à l’ancrage. 

Ensuite, les arbres peuvent moduler la forme et la direction des racines. Par exemple, les racines du côté opposé aux vents peuvent prendre la forme d’une poutre en I ou en T grâce à une croissance localisée à l’intérieur des racines, et ce, pour accroître leur capacité à supporter des charges. Notez que cela peut aussi se produire à la suite d’une éclaircie précommerciale. 

Enfin, la forme générale du système racinaire est déterminante. On subdivise les systèmes racinaires en quatre catégories. 

 


 

Le système en cœur retient une masse importante de sol et est probablement l’un des meilleurs systèmes d’ancrage. Les racines pivots sont aussi très efficaces pour les jeunes arbres. Toutefois, le pivot perd de son efficacité avec l’accroissement du tronc. C’est pourquoi les arbres à systèmes pivotants développent en deuxième étape une plaque de racines horizontales. Cette combinaison en fait un système très performant, presque autant que le système en cœur. Chez les systèmes traçants, la position en surface des racines nuit à l’ancrage. Ces arbres sont donc généralement les plus susceptibles au chablis. 

 

 

D’autres adaptations de résistance

Les arbres ont développé des stratégies indépendantes des racines pour résister aux vents et autres perturbations. Voici deux exemples. 

Augmenter la résistance mécanique du bois

Plus la résistance mécanique du bois est grande, plus l’arbre peut supporter de grandes forces. Une grande résistance mécanique peut être induite par les caractéristiques génétiques de l’espèce ou une adaptation individuelle. Lorsqu’un arbre est exposé à des vents importants et récurrents, il peut produire du bois spécialisé (bois de compression, flexion ou tension) dans sa tige ou ses racines afin de supporter au mieux cette force. 

Profiler la cime

Limiter la croissance en hauteur au profit d’une croissance en diamètre augmente la résistance de la tige à la rupture, absorbe une partie de la force et limite l’exposition aux vents. Plus un arbre est grand, plus les risques de chablis augmentent, surtout à partir de 10 m et plus. Par exemple, une étude réalisée dans une sapinière mésique a évalué que des vents de 109 km/h étaient nécessaires pour renverser des arbres de 10 m de hauteur alors que seuls 65 km/h suffisaient à des arbres de 19 m. De plus, les cimes débutant assez bas sur le tronc (faible élagage naturel) abaissent le centre de gravité de l’arbre et augmentent sa stabilité.

Ensuite, l’arbre peut modifier la dimension de sa cime et orienter adéquatement ses feuilles et ses branches de façon à diminuer l’emprise du vent sur lui-même.  

 

Les facteurs de risque

Différents facteurs augmentent ou réduisent les risques de chablis ainsi que l’importance des dommages occasionnés. 

Les rafales de vent

L’alternance d’accalmies et de fortes rafales semble accroître davantage les dommages que la force moyenne du vent. D’ailleurs, la chute des arbres semble parfois incohérente avec la direction des vents. C’est possiblement en raison des rafales qui sont elles-mêmes causées par un phénomène de turbulence et donc, de forces dans différentes directions. 

La direction des vents

Lorsque les vents proviennent d’une direction inhabituelle, le risque de chablis est plus grand, car les arbres n’ont pas développé de mécanismes de résistance particuliers pour cette direction. 

La durée de la tempête

L’ancrage peut progressivement s’affaiblir lors d’une tempête prolongée. Des chablis peuvent donc s’en suivre même si la force des vents ne semble pas critique. 

L’humidité du sol

De façon générale, un sol préalablement humide ou des précipitations causant l’humidification du sol pendant la tempête réduisent l’ancrage des arbres. Toutefois, il y a des exceptions. La cohésion du sol et des racines dans un sable humide est plus grande que dans un sable sec. 

La topographie

L’effet de la topographie est majeur. Le vent peut être canalisé ou accéléré. Par exemple, le vent augmente en turbulence et en vélocité après avoir traversé la crête d’une montagne. 

Les caractéristiques du sol

La résistance des racines à l’arrachement varie en fonction de la texture du sol et du type de systèmes racinaires. Les systèmes pivotants sont mieux ancrés dans les sols sableux alors que les systèmes en cœur sont mieux retenus dans les sols argileux. 

Les sols minces, compactés, mal drainés ou aux nappes phréatiques élevées peuvent favoriser la formation de racines de surface chez certaines espèces et limiter l’ancrage.

L’état de santé des arbres

La présence de fentes ou de carie du tronc réduit la résistance mécanique de la tige. Puis, la carie de racines rend l’arbre susceptible au renversement. Notez que certaines espèces sont plus vulnérables à la carie de racines, tel le sapin baumier, et que cette vulnérabilité augmente avec l’âge. 

Le type de milieu

La force du vent diffère selon l’ouverture du milieu. Elle peut être réduite par quatre en milieu fermé par apport à un milieu ouvert. En fait, l’énergie du vent se dissipe au contact des arbres et de l’entremêlement des cimes. 

 

 

Les peuplements denses sont donc soumis à des vents plus faibles. Les arbres se soutiennent entre eux par un phénomène de résistance collective grâce aux contacts des cimes, à l’entrelacement des racines et des possibles greffes de racines. Toutefois, les arbres en peuplement dense ont généralement des cimes élancées et hautes, ce qui est propice au renversement. 

En peuplement clair, la force du vent est plus grande, mais les arbres ont en moyenne une bonne croissance, une forme peu élancée et de nombreuses racines de support, toutes des caractéristiques propices à la résistance mécanique. Cela est valable pour un peuplement qui a été maintenu clair au fil de sa croissance. Si on éclaircit un peuplement dense (arbres aux caractéristiques propices au renversement) et qu’on l’expose brusquement à des vents importants, les arbres pourraient ne pas avoir la résistance nécessaire pour supporter les perturbations, occasionnant des chablis potentiels.

 

 

 

Une sylviculture adaptée au risque de chablis

Les forêts feuillues sont globalement moins susceptibles aux chablis que les forêts résineuses. C’est pourquoi la grande majorité des études et des recommandations disponibles dans la littérature portent sur les conifères. Les conseils suivants s’appliquent donc aux forêts et plantations résineuses seulement. Notez qu’elles sont basées sur un document de formation continue de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec réalisé par M. Jean-Claude Ruel, ingénieur forestier de formation, actuellement professeur retraité de la Faculté de foresterie et de géomatique de l’Univeristé Laval.

Les actions du sylviculteur peuvent augmenter ou réduire la résistance moyenne d’un peuplement au chablis. 

  • Pour un projet de plantation, une bonne préparation  du sol peut réduire la compaction et favoriser un bon enracinement et une stabilité future des arbres. Choisir une espèce capable de développer un bon système racinaire en fonction des caractéristiques du sol peut aussi réduire les risques futurs. 

  • En jeune peuplement, réduire la compétition peut favoriser l’enracinement, la croissance et la résistance au renversement. Il ne faut pas trop attendre, car les arbres pourraient prendre des formes élancées et perdre une partie de leur cime par élagage naturel. L’effet de la densité sur la forme des arbres met en évidence l’importance du maintien d’une densité favorable à la croissance par des éclaircies au bon moment.

  • Réaliser une éclaircie permet au vent de s’infiltrer à l’intérieur du peuplement. Des turbulences se créent et la force appliquée aux arbres augmente. Selon certaines études, l’effet pourrait durer de 2 à 5 ans ou jusqu’à ce que le couvert se referme. On pourrait même devoir attendre jusqu’à 15 ans si les arbres doivent créer des adaptations individuelles (ex. un arbre isolé qui ne peut compter sur la fermeture du couvert). La durée de vulnérabilité dépend de la croissance et de l’âge du peuplement. Une éclaircie tardive dans un peuplement âgé est particulièrement risquée. 

  • Les coupes totales sont susceptibles d’engendrer des chablis au pourtour de la coupe, car les arbres se trouvent nouvellement exposés à des vents forts et turbulents. 

 


En savoir plus 

Pour des conseils personnalisés, consultez un ingénieur forestier dans votre région

Pour consulter le document de formation cité dans le texte, l’article scientifique original qui lui est associé ou des ressources supplémentaires

 

 

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