Nous vous décrivons ici comment les habitudes de scarifiage ont changé par le biais d’une expérience réalisée en Outaouais entre 2006 et 2008. Divers équipements ont été testés et un nouvel équipement a été développé. Nous vous présentons donc les avantages et les inconvénients de ceux-ci. Comme sylviculteurs, nous savons que le fait de n’avoir vu aucune publication à ce sujet jusqu’ici, nous encourage à parler de cette idée nouvelle et à la faire connaître au monde forestier.
La préparation de terrain est une pratique courante en foresterie pour pallier les échecs de la régénération naturelle. Elle vise l’enlèvement des débris de coupe et de la végétation compétitrice pour développer de bons substrats de germination et créer un environnement favorable à l’établissement et à la croissance de semis. Il s’agit aussi d’une technique qui favorise l’incorporation de la matière organique au sol minéral. Les techniques de scarifiage qui font ce mélange permettent de conserver une source adéquate de nutriments pour les semis tout en favorisant la minéralisation par des conditions favorables de température et d’humidité du sol.
Mise en contexte
En juillet 2006, l’Outaouais a vécu un vaste chablis affectant 25 000 ha du côté du Québec. Cette perturbation naturelle a nécessité de nombreux travaux de remise en production avec récupération des bois renversés, incluant du scarifiage. À l’époque, il était fréquent d’utiliser des excavatrices pour créer des poquets. En général, le peigne et le râteau étaient alors employés pour ramener divers débris vers la machine afin d’exposer le sol minéral.
L’arrivée des poquets
Les poquets sont en général de petites superficies de 6 à 10 m2 raclées ou scalpées à l’aide d’une pelle mécanique. En moyenne, un site contient de 150 à 300 poquets scarifiés à l’hectare selon la grandeur des ouvertures ou des trouées. On a aussi mentionné dans la littérature plus récente, de petites superficies de 3 à 5 m2 pour un total de 325 à 350 poquets par hectare, un traitement qu’on a surnommé : « scarifiage par décapage par placeaux ».
Dans un premier temps, il a fallu convaincre les opérateurs de faire les choses différemment, car l’approche traditionnelle créait beaucoup d’andains, creusait trop profondément et remontait de grosses roches en surface. L’expérience proposait de pousser les débris au loin et de déraciner en même temps les espèces nuisibles déjà en place. Puis, il fallait arriver à un mélange idéal d’humus et de sol minéral. Or, ce mélange n’a pas toujours été recherché, car nous étions alors guidés par l’expression « sol minéral à nu ».
Résultats connus du scarifiage
Les tout premiers travaux sur le scarifiage ont permis de découvrir que la litière était un mauvais substrat de germination pour le bouleau jaune comparativement au sol minéral. Toutefois, les chercheurs ont reconnu que leur méthode consistait uniquement à enlever la couche de litière sans ameublir le sol minéral sous-jacent.
Une litière trop épaisse
Les espèces dont les semences sont très petites, comme celles du bouleau jaune, doivent vaincre la barrière de la litière. Emprisonnée dans une couche épaisse de feuilles, souvent compactées par la neige en hiver, une graine qui germe sera dans l’impossibilité de croître vers la surface ou de traverser les feuilles entrelacées pour atteindre le sol. Les études ont démontré que le scarifiage était essentiel pour régénérer le bouleau jaune et que cette espèce ne pouvait être suffisamment régénérée par la coupe uniquement. Une couche épaisse d’aiguilles de pin est, par ailleurs, un mauvais lit de germination.
Certains croyaient que la récolte mécanisée allait favoriser la création de bons lits de germination, mais cela ne faisait pas l’unanimité. Des essais réalisés en Ontario et dans les Maritimes ont montré des résultats très encourageants. Par exemple, 98 % des quadrats scarifiés avaient un nombre de nouveaux semis de bouleau jaune suffisant comparativement à 12 % des quadrats sans scarifiage. La couverture du traitement atteignait même 72 % de la superficie ce qui faisait dire à l’auteur que le scarifiage était essentiel à la régénération du bouleau jaune dans la zone de l’érablière. Un guide de la région des Grands Lacs recommande de scarifier de 50 à 75 % de la superficie prévue. Des résultats de scarifiage faits au Québec sont proches de ces valeurs avec 70 %, 55 % et 40 % de sol minéral exposé et de litière perturbée selon trois méthodes différentes expérimentées par la Direction de recherche forestière du Québec. De plus, au parc Algonquin, le taux de survie des semis de bouleaux jaune 8 ans après un traitement de jardinage par trouée combiné à un brûlage a été de 63 % dans les endroits scarifiés et nul dans les témoins.
Dans la région des Grands Lacs, une note technique décrit l’effet spectaculaire du scarifiage sur la densité de semis de bouleau jaune, mais le manque de lumière subséquent a fait en sorte que très peu de semis ont pu survivre au-delà de 5 ans; le peuplement ayant conservé une densité de 20, 22 ou 25 m2/ha après le jardinage. Dans de telles conditions, seul un suivi à plus long terme permet de juger des résultats, car même avec six millions de semis la première année, la survie peut évoluer rapidement avec le bouleau jaune. On a aussi relevé quelques cas où la croissance de bouleaux jaunes témoins et celle issue de traitements scarifiés devenaient comparables après quelques années alors que la différence entre elles était significative au cours des deux premières saisons. Cela signifie que le moment où les lits de germination demeurent réceptifs est de courte durée. Également, le scarifiage peut augmenter l’agressivité de la concurrence et la densité des espèces en début de succession peut augmenter avec son intensité.
La question des débris ligneux
Les débris ligneux, houppiers et pièces de bois non utilisables peuvent être abondants après une coupe partielle, en particulier dans le cas des feuillus. Ils peuvent empêcher le scarifiage en plus de prendre plusieurs années à se décomposer en forêt. Sur un site d’étude de la rivière Coulonge, un chercheur a observé que 35 % de la superficie était recouverte de débris, mais aucun traitement particulier des déchets de coupe n’avait été prévu. Dans le Bas-Saint-Laurent, une expérience de coupe avec rétention de semenciers de bouleau jaune avait permis de constater qu’une coupe seule des arbres, sans débusquage des houppiers ni autre préparation de terrain, n’avait pas permis à un nombre suffisant de bouleaux de s’établir et de s’accroître. La végétation indésirable n’a pu être éliminée et la forte quantité de déchets de coupe a empêché le scarificateur de pénétrer le sol de façon continue.
Lorsqu’on réalise des poquets, la superficie scarifiée (ou scalpée) demeure faible dans les trouées ou les plus grandes ouvertures. Plusieurs constatent que les microsites demeurent entourés de concurrence végétale. Alors, même si l’on a obtenu plus de semis dans les poquets par rapport aux endroits situés hors poquet, la survie de la régénération est compromise par le problème de compétition. Un nettoiement ou un suivi de la régénération est alors nécessaire. Les semis de moins de 15 cm de haut ne peuvent concurrencer des espèces non commerciales dépassant 2 m. D’ailleurs, on observe fréquemment que les bouleaux les plus hauts se trouvent en bordure des poquets ou entre la portion non scarifiée et la portion scarifiée.
Un sous-étage encombrant
Les deux plus vieilles placettes permanentes du Service canadien des forêts ont une longue histoire. La placette témoin de la forêt de Petawawa illustre très bien un phénomène d’envahissement du sous-étage, et ce, même si le peuplement est très dense. Quelques 2 346 gaules d’érable rouge et 300 gaules de sapin baumier ont été observés sous la pinède blanche témoin, mais aucune gaule de pin. Dans la placette éclaircie, un nombre de 2 776 gaules de pin blanc et seulement 450 gaules d’érable et de sapin ont pu s’établir. Dans ce cas précis, le scarifiage indirect survenu au moment du traitement, soit par les houppiers traînés sur le sol, fut suffisant pour créer des lits de germination. Le sous-étage en développement était la cause pouvant expliquer l’absence complète de régénération du pin blanc. Il existe d’autres endroits au Québec où un envahissement à la fois graduel et important du sapin et de l’érable rouge a été observé, par exemple, la rivière de l’Aigle et la forêt de Waltham. Ces espèces moins longévives peuvent malheureusement remplacer le pin blanc si l’on ne leur prête attention.
La préparation de terrain doit tenir compte de l’importance de conserver la matière organique et d’éviter les horizons trop profonds du sol, lesquels sont pauvres en éléments nutritifs et parfois compactés. La pratique du décapage élimine l’humus en plus de la litière. Des spécialistes du sol ont démontré dans les années 1960 que la proportion d’humus dans le sol augmente fortement la biomasse et aussi la vigueur des semis de bouleau jaune. Selon eux, la sylviculture doit prévenir toute perte excessive d’éléments nutritifs de l’humus, soit par l’érosion, le feu ou encore par extension, si l’approche de scarifiage n’est pas correcte. Il faudrait donc conserver la petite quantité d’éléments nutritifs et réserver ce capital de croissance aux tiges d’avenir uniquement. Finalement, l’humus permet de conserver l’humidité du sol qui est essentielle à la germination et la survie des petites plantules.
Mise au point d’un prototype sur skis en Outaouais
Le prototype a été développé par Gilles, en collaboration avec un équipementier entre 2006 et 2008. Il s’agit d’un peigne sur skis. Cet outil pouvait alors être rattaché à une débusqueuse. Ce choix permettait de limiter le coût total vu qu’une excavatrice s’avère plus dispendieuse qu’une débusqueuse.
Sous la supervision de Gilles, on a réussi à créer un engin spécialement conçu pour agir en surface. Les roches situées à plus de 10 cm allaient donc rester enfouies. Deux pièces de métal disposées de façon transversale aident à déraciner de nombreuses petites tiges et gaules d’espèces non désirées. Le prototype imite donc un chablis naturel, évite les accumulations d’andains et en même temps, brasse suffisamment la litière et l’humus avec la première couche de sol minéral.
Avec lui, nous avions une première bonne étape de franchie, soit de pousser au lieu de ramener le râteau en creusant le sol trop profondément. Cette façon de faire s’annonçait prometteuse. D’ailleurs, plusieurs opérateurs ont constaté que leur machine brisait moins souvent. Le fait de ramener en surface de grosses roches causait des bris et en rétrospective, c’était complètement inutile et très coûteux.
Des tests devaient être faits rapidement afin de démontrer l’utilité de ce prototype. On a testé le nouvel équipement dans divers types de forêts, incluant des forêts feuillues ou mixtes, et dans des strates forestières vouées à la production prioritaire de pin blanc dans un contexte de coupes progressives.
Le prototype de peigne sur skis permet de bien répartir les déchets de coupe sur le terrain au lieu de créer des andains et d’y enfouir beaucoup de matière organique. Ce concept et ce design permettent un scarifiage en surface et un bon mélange d’humus avec le premier horizon de sol minéral. Nous avons pu observer un déracinement de plus de 95 % de toutes matières végétales à l’aide des deux couteaux de surface, ce qui permet de contrôler la concurrence future. Enfin, un autre avantage est une qualité de scarifiage acceptable à un coût bien moindre qu’avec les excavatrices et les pelles mécaniques. Les opérateurs apprécient le fait qu’il y ait moins d’arrêts de production à cause de bris mécaniques, réduisant les difficultés d’exécution vécues par les travailleurs avant l’arrivée de cette nouvelle approche en Outaouais. Nous espérons que d’autres régions pourront aussi faire leurs propres tests avec une telle approche. On pourrait aussi essayer cette méthode dans des endroits fortement envahis par les nerpruns. On ne sait pas s’il faudra répéter l’opération de déracinement puisqu’il restera toujours des fragments de racines dans le sol, mais nous croyons que ce concept sera plus efficace qu’une opération avec débroussailleuse, qui souvent, est à refaire l’année suivante.