''Après avoir eu la chance d’écrire quelques articles sur les arbres et l’arboriculture, j’ai voulu profiter d’un récent voyage en Angleterre pour comparer la qualité de notre forêt urbaine à celle du vieux continent. Les centaines d’arbres observés et étudiés dans les parcs, les domaines privés et les places publiques m’ont confirmé la nécessité de changer les paradigmes en ce qui a trait à la gestion de notre richesse arborée.''
L’Angleterre est souvent associée à un climat imprévisible, frais et pluvieux. La situation géographique de l’île est impactée par plusieurs systèmes météorologiques venant du nord et du sud ainsi que par les courants marins faisant circuler l’eau chaude provenant des Caraïbes. Ce cocktail météo rend le climat imprévisible, enveloppe le pays d’une fraîcheur estivale tout en favorisant un hiver doux et pluvieux.
L’opulence de la végétation en fait fi. Les arbres sont recouverts d’une mousse verdoyante où les lichens et épiphytes viennent s’installer telle une parure pour son hôte. Un pourcentage élevé de précipitations et d’humidité dans l’air combiné à des zones de rusticité supérieure aux nôtres permettent à bon nombre d’espèces de s’épanouir. Une période de croissance végétative nettement supérieure à la nôtre, avec une moyenne de 270 jours pour l’Angleterre versus 185 jours pour le Québec, favorise l’accroissement en diamètre des arbres.
Une FORÊT URBAINE DE QUALITÉ
Que dire de cette forêt urbaine luxuriante! La densification n’affecte en rien l’espace attribué aux arbres. Bien sûr, les villes et villages sont souvent minéralisés où des bâtiments historiques se multiplient à chaque tournant. Plus modestes, les rues étroites sont souvent bordées d’arbres taillés en tête-de-chat, une technique vieille de centaines d’années visant à stimuler la production de pousses adventives, et ce, à l’époque où le bois était le seul moyen de combustion.
Des espaliers sont également créés dans les endroits restreints où l’étalement naturel du houppier n’est pas possible. Ces arbres, principalement des fruitiers, poussent appuyés à des structures telles murs, murets et tonnelles. L’espace restreint des jardins accueille, malgré tout, les arbres qui sont à la hauteur de l’importance qu’on leur accorde. Le résultat est un mélange d’arbres majestueux où une forêt urbaine en sous-étage s’adapte aux moindres recoins disponibles.
Les « ainés » sont également vénérés pour leurs contributions à l’écosystème. Les arbres sénescents n’ont peut-être plus la vigueur de leur jeunesse, mais ils témoignent du passage du temps. Souvent trapus, rabougris, rongés par les champignons et les insectes, ces arbres sont conservés malgré tout. Des évaluations de risques doivent se faire régulièrement, mais tout est mis en œuvre pour les préserver le plus longtemps possible.
Accompagnée d’un expert réputé du Royaume-Uni, Jeremy Barrell (barrelltreecare.co.uk), j’ai eu la chance de voir des arbres vétérans, des monuments vivants, qui ont traversé les guerres et les événements historiques sur plusieurs siècles, voire des milliers d’années. Ces arbres sont d’une richesse et d’une beauté écologique incomparable. Ils maintiennent les eucaryotes, les insectes et les oiseaux, et offrent des recoins protégés où les plus gros animaux peuvent se réfugier.
EN QUOI L’ANGLETERRE NOUS SURPASSE DANS LA PRÉSERVATION DES ARBRES?
Les arbres anciens sont pour moi une source de richesse, une effigie à honorer dans nos communautés. Cependant, chez nous, ils sont difficiles à trouver. Dès que la population s’insurge, on procède à l’abattage plutôt que d’essayer de changer le paradigme face aux « arbres dangereux ». La notion de dangerosité est propre à chaque personne et un arbre sénescent n’appartient pas nécessairement dans cette catégorie. La préservation de ces arbres demande une gestion de risques et la mise en place de mesures d’atténuation permettant de sécuriser l’arbre et le public.
Nous avons beaucoup à apprendre du vieux continent à ce sujet. Au Royaume-Uni existent des groupes de préservation de milieux naturels au profit du public. Les organisations comme le National Trust (créé en 1895 et incorporé par le National Trust Act de 1907), le Woodland Trust (depuis 1972), The Tree Council (depuis 1973) et le Ancient Tree Forum (depuis 1993) existent dans le but de protéger les arbres et la nature, et sont appuyés par des milliers de bénévoles tout aussi passionnés.
Ce qui diffère entre nos pays est la création d’une loi nationale visant la protection des arbres (Town and Country Planning [Tree Preservation] Regulations 2012), les ordonnances de préservation gouvernementales et les standards pour les travaux d’entretien (BS 5837-2012 – Protection Design, Demolition and Construction et BS 3998-2010 – Tree Work). Chez nous, l’équivalent des British Standard (BS) serait les normes du Bureau de normalisation du Québec (BNQ) qui, cependant, ne sont pas appuyées par la législation provinciale ni canadienne.
AU QUÉBEC
De notre côté de l’Atlantique, les arbres sont perçus différemment. Nous avons gardé l’attitude des pionniers envers les arbres et la forêt comme étant principalement une ressource exploitable. Encore aujourd’hui, l’exploitation forestière représente une industrie importante au Québec, ce qui peut biaiser notre perception de l’arbre au-delà de sa valeur monétaire.
Un territoire aussi vaste et faiblement peuplé nuit à l’effort de préservation des forêts et cette abondance est devenue un obstacle dans les milieux urbains et périurbains. Le respect de l’arbre et de ses bienfaits s’effrite chez ceux et celles ayant plus à cœur la minéralisation des espaces publics et des propriétés privées. « Ce n’est pas grave, » disent certains. « Nous pouvons les couper et les remplacer », clament d’autres.
Pourtant, les arbres urbains rendent nos quartiers et villes accueillant tout en fournissant les services écosystémiques essentiels à notre bien-être. Sans en dresser la liste exhaustive, un des plus grands bienfaits dont tout un chacun peut apprécier est la réduction des îlots de chaleur. Qui ne recherche pas l’ombre d’un arbre pour s’y rafraîchir? Les cases de stationnement sous les arbres ne sont-elles pas les premières à être convoitées l’été? Et qui ne souhaite pas se prélasser sous un arbre en temps de canicule, en sirotant une boisson fraîche sur la terrasse? Chose certaine, notre qualité de vie est en symbiose avec les arbres qui méritent notre respect.
Dans nos villes, ce sont les forestiers urbains qui veillent à maintenir les arbres et à augmenter le pourcentage de la canopée. L’accomplissement de cette mission n’est certes de tout repos. La peur des grands arbres, les valeurs sociales changeantes et le manque de connaissances des citoyens se répercutent sur la volonté de la population à participer à l’effort de verdissement. Que dire de la protection des arbres sur les chantiers, autre que nous en sommes encore à l’époque du Far West. Pour ce qui est des arbres sénescents, très peu réussissent à traverser le temps. Le milieu politique vient souvent trancher, et ce, rarement en faveur de l’arbre.
À NOUS DE CHANGER LES CHOSES
Qu’à cela ne tienne. Nous pouvons améliorer le sort de notre forêt urbaine. Pour y arriver, nous devons cependant avoir l’appui du public. La base même d’une société composée d’individus venant d’ici et d’ailleurs est la volonté de vouloir améliorer son sort. Un peu drastique dites-vous d’appliquer cette nécessité viscérale aux arbres, mais vivre en harmonie avec la nature est fondamentalement liée à notre qualité de vie.
Ce changement sociétal doit prendre naissance dès le jeune âge, c’est-à-dire dès le préscolaire et se poursuivre jusqu’à la fin du secondaire. L’éducation et la promotion de la responsabilité sociale envers les bienfaits des arbres engendreront de futurs citoyens avisés.
C’est ainsi qu’avec l’appui du public, les règlements et lois nécessaires à la protection de nos forêts urbaines pourront être créés et appliqués, car nul n’est plus puissant qu’un citoyen. L’engagement politique doit refléter les valeurs de son électorat et une société engagée peut exiger des changements positifs dans sa communauté. Un encadrement politique approprié pourrait donner une voix aux arbres en acquiescent leur importance grâce à une législation nationale ou provinciale. L’Angleterre est le seul pays ayant pris cette initiative et le résultat est tangible.
C’est ainsi qu’une société informée accepterait de préserver les vieux arbres par une gestion de risques mise en place par la réglementation. Les arbres sénescents sont la preuve vivante du passage du temps et leurs valeurs historique et patrimoniale sont d’une importance capitale pour notre jeune pays. L’orme au boulet du vieux Québec me vient à l’esprit, sans compter les milliers d’arbres sénescents qui ont disparu de nos villes par manque d’éducation.
L’Angleterre reste pour moi un modèle à suivre. En faisant des citoyens des alliés et des ambassadeurs, le sentiment de fierté engendré par l’accomplissement de la préservation des arbres favoriserait la rétention de notre forêt urbaine. À nous d’engendrer le pas.