Articles été 2023

Comportement de quelques espèces à l’extérieur de leur aire naturelle de distribution

L’objectif de mon article est de caractériser le comportement de plusieurs essences feuillues à l’extérieur de leur aire de distribution. Pour ce faire, j’ai réalisé divers tests à Saint-Raphaël de Bellechasse avec des espèces indigènes au Québec, au Canada et quelques essences exotiques. Voyez les résultats obtenus. 

Dispositif expérimental

Les essais sont localisés sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent à Saint-Raphaël de Bellechasse. Cette municipalité est située à 60 kilomètres au sud-est de Québec (latitude : 46° 47’N, longitude : 70° 42’O) à une altitude de 220 mètres. Selon la nomenclature du système des unités homogènes du Québec méridional, ce terrain se situe dans l’unité FOTt3a.

Les plantations ont été effectuées dans des friches arbustives qui étaient âgées d’environ 30 ans lors des premiers reboisements. Elles étaient réparties en îlots de moins de 1 ha à travers la forêt mélangée. Deux catégories de plants ont été utilisées. La première, constituée de plants à racines nues âgés de trois ans, comprend les caryers ovales et cordiformes, les chênes blancs, pédonculés et bicolores. La hauteur moyenne des caryers était inférieure à 1 m et celle des chênes avoisinait 1 m. Quant aux plants des autres essences feuillues, ils furent produits en récipients sur deux ans chez moi. La première année, les plants ont grandi dans des Styroblocs 28-340 et ils ont été transplantés au printemps suivant dans des pots carrés de trois litres. La hauteur de ces arbres variait entre 50 cm et 1 m lors de la plantation. Une seule exception : pour le noyer cendré, j’ai mis en terre des noix directement à leur place définitive. Il est important de noter que tous ces arbres proviennent de graines non sélectionnées ou améliorées génétiquement.

 

Résultats

Pour chacune des espèces citées, je vous donnerai : le nom français, le nom latin, les dimensions qu’elles peuvent atteindre dans leur lieu d’origine, son aire de distribution naturelle, son écologie, la provenance des semences (lorsque connue), la date de plantation et finalement, les résultats de croissance obtenus ainsi que la mortalité. Les arbres ont été mesurés à deux moments, soit le premier novembre 2022 pour les caryers ovales et les chênes blancs puis le 13 avril 2023 pour toutes les autres espèces.

 

Arbres indigènes au Québec

Cette espèce méridionale atteint sa limite nordique à Neuville. Elle colonise les sols riches, humides, bien drainés, dérivés des calcaires. Les noix provenaient de la région d’Oka. Près d’une dizaine de semis à racines nues furent mis en terre au printemps de 1993. Les quatre plus beaux individus ont atteint une hauteur moyenne de 13 m et un diamètre à hauteur de poitrine (DHP) moyen de 16,5 cm.

 

C’est l’une de nos essences indigènes des plus méridionales. La limite de son aire de distribution est le lac Saint-Pierre. Ce caryer préfère le même type de sol que le caryer cordiforme et les semences utilisées ont aussi la même provenance. J’ai planté environ une vingtaine de semis à racines nues aux printemps 1993 et 1995. Après 30 ans de croissance, les cinq individus les plus performants mesurent en moyenne 13,5 m de hauteur avec un DHP de 20 cm. De plus, la production de fruits a commencé sur deux arbres depuis environ 7 ans et les semences sont viables et comestibles.

 

On le trouve à l’est jusqu’à Saint-Marc-des-Carrières et Grondines. Sa limite septentrionale est à Ville-Marie au Témiscamingue. Ce chêne colonise les sols riches et souvent humides. La provenance des semences est inconnue. En 1993, je plantais une quinzaine de semis. Quelques beaux individus (5) atteignent une hauteur moyenne de 14 m avec un DHP moyen de 24 cm. 

 

Sa distribution est située au sud-ouest du Québec, limitée au Richelieu. Il préfère les sols riches et humides, et les bordures de ruisseaux. Les glands provenaient de la région d’Oka. Une trentaine de plants à racines nues d’environ 50 cm ont été mis en terre en trois vagues, en 2001, 2003 et 2004. Les cinq arbres les plus performants atteignent une hauteur moyenne de 10 m avec un DHP moyen de 16 cm.

 

Il a la même distribution que le chêne bicolore. Cette espèce pousse dans des sols variés, mais au sud du Québec, il préfère les sols secs. Les semences provenaient d’un arbre situé dans les jardins de l’Hôpital général de Québec. La mise en terre de cinq plants à racines nues a été effectuée au printemps de 1994. Tous les arbres furent mesurés. Le résultat fut une hauteur moyenne de 14,5 m et un DHP moyen de 30 cm.

 

Cette essence du sud-ouest du Québec atteint sa limite nord-est aux portes de la Ville de Québec. Il existe aussi une petite station près du pont de l’Île d’Orléans. Elle préfère les sols humides, les bords de cours d’eau, les berges des lacs et les zones inondables. Les graines provenaient de Sainte-Foy. Moins de dix plants furent mis en terre en 1994. J’ai mesuré les deux plus grands qui font 16 m de hauteur en moyenne avec un DHP moyen de 32 cm.

 

Une autre espèce du sud-ouest, dont la limite nord-est est le lac Saint-Pierre. Elle pousse près des cours d’eau et des lacs, mais aussi dans divers sols, préférant les sols calcaires. De provenance inconnue, un seul plant fut introduit à Saint-Raphaël en 2011. Il mesure présentement 5 m de haut avec un DHP de 9 cm.

 

Notre noyer, localisé au sud-ouest du Québec, pousse dans les érablières riches. La station la plus au nord se situe à Petite-Rivière-Saint-François et à l’est, à l’Île d’Orléans. Cette essence préfère les sols riches dérivés des calcaires avec un niveau moyen d’humidité. Les noix provenaient de Beauport. À l’automne 1993, j’ai semé un panier de noix à divers endroits. Les semences qui ont réussi à produire un arbre ont été peu nombreuses, mais le résultat fut spectaculaire pour deux arbres dont la hauteur moyenne est de 14 mètres et le DHP de 40 cm.

 

Une autre de nos essences des plus méridionales. Sa limite septentrionale se situe à Sheenboro et à Waltham dans la région de Pontiac. Cette plante calcicole affectionne aussi bien les milieux secs qu’humides. La provenance des graines est inconnue. Je n’ai planté qu’un seul semis en 2009. Les premières années, cet orme a végété. J’ai réalisé qu’il était très exigeant en calcium. Après un apport de poussière de pierre calcaire et de cendre de poêle, il a repris sa croissance. Il atteint présentement 5 m de haut avec un DHP de 6 cm.
Pour toutes ces espèces, le taux de mortalité fut très faible. Je ne peux le quantifier, car je n’ai pas enregistré les pertes.


 

Arbres indigènes du reste du Canada

Localisée dans le sud de l’Ontario et le nord-est des États-Unis, cette espèce a presque disparu suite à l’arrivée de la brûlure du châtaignier provenant d’Asie. Elle croît dans divers types de sols, mais elle préfère les sols sablonneux et graveleux. La provenance des châtaignes est inconnue. J’ai mis en terre deux semis en 2007. Je signale la perte d’un plant à cause d’une maladie fongique au collet suite à une blessure. L’arbre restant mesure 9,5 m de hauteur et son DHP est de 13 cm.

 

Ce chêne est présent dans le sud de l’Ontario. Il préfère les sols humides, marécageux et les bords de l’eau. La provenance des glands est inconnue. J’ai planté moins de 10 semis en 1997. Notons la perte de 2 à 3 plants; cette espèce étant sensible aux champignons du genre nectria. Le plus bel arbre atteint 16 m de haut et a un DHP de 30 cm.

 

C’est une essence rare du sud-ouest de l’Ontario qui pousse dans les sols riches. Les semences proviennent du Jardin botanique de Montréal. Un seul individu a survécu après la plantation en 2000.  Haut de ses 5 m avec 6 cm de DHP, il résiste au climat plus nordique.

 

Une autre espèce rare au Canada, elle se retrouve dans le sud-ouest de l’Ontario. Elle préfère les sols secs, profonds et fertiles. Les graines proviennent du jardin Van Den Hende de l’Université Laval. Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul individu après la plantation de quelques semis en 1996. L’arbre mesure 7,5 m de hauteur avec un DHP de 23 cm.

 

Ce frêne est présent dans le sud-ouest de l’Ontario. Il pousse dans divers sols et il est résistant à la sécheresse. La provenance des samares est inconnue. Les trois semis plantés en 1998 sont encore vivants. L’arbre le plus grand atteint 8 m de haut avec un DHP de 14 cm.

 

Cette essence rare au Canada croît au sud de l’Ontario. Ce noyer exige un sol riche et bien drainé. Les noix proviennent de Pointe Platon dans Lotbinière. En 1993, j’ai planté 8 semis. J’ai perdu un plant dans les premières années. J’ai d’ailleurs remarqué une grande sensibilité aux champignons du genre nectria. Une sélection de génotypes résistants à cette pathologie serait à réaliser. Les trois arbres les plus performants atteignent une hauteur moyenne de 14,5 m et un DHP moyen de 28 cm.


 

Arbres exotiques

Cette essence est originaire de l’ouest de la Chine. Cet arbre se développe bien dans différents types de sols, mais ils ne doivent pas être trop humides. Les graines provenaient du jardin Van Den Hende de l’Université Laval. Je n’ai transplanté qu’un seul plant en 1998 qui mesure actuellement 6,5 m avec un diamètre de 9 cm.

 

Ce châtaignier est originaire de la Chine et de la Corée. Il est plus résistant à la brûlure du châtaignier que son cousin américain, mais il n’est pas immunisé. Il pousse dans des sols frais  limono-sableux et limono-graveleux. La provenance des semences est inconnue. Un seul plant fut mis en terre en 1993. Il a subi des dégâts par le gel en 2003. Il mesure présentement 11 m de hauteur et son DHP atteint 15 cm.

 

Cette espèce est originaire du sud-est de l’Europe. Ce chêne préfère les sols limono-argileux, de frais à sec. Les glands provenaient de l’arboretum Morgan à Sainte-Anne-de-Bellevue. J’ai planté deux semis en 2001 qui sont toujours vivants. La hauteur du plus grand est de 11 m et son DHP est de 20 cm.

 

Originaire d’Europe, de la Russie et de l’Asie du Sud-ouest, ce chêne pousse dans des sols variés. Les glands provenaient de Saint-Michel de Bellechasse. En 1994, 10 plants ont été mis en terre. Aucune perte de plants n’a eu lieu au fil des ans. La moyenne des cinq arbres les plus performants donne une hauteur de 14 m et un DHP de 25 cm.

 

Cette essence est présente dans presque toute l’Europe occidentale. Sa croissance optimale est obtenue dans un sol profond et bien drainé. Cette espèce est très voisine de la précédente avec qui elle s’hybride. Ces deux essences peuvent vivre plus de 600 ans. Les glands provenaient de France. En 2003,  j’introduisais environ 10 plants. Cette espèce française en arrache sous nos conditions climatiques. Le plus beau spécimen mesure 8 m de hauteur et atteint un DHP de 11 cm.

 

Cette espèce est originaire du nord-est de l’Asie. Elle pousse dans des sols drainés de divers types. Je ne connais pas l’origine des graines. J’ai planté une vingtaine de semis à l’automne 1993. Aucune perte à signaler pour cette espèce. Les cinq arbres mesurés atteignent en moyenne 10,5 m de hauteur et un DHP de 18 cm.

 

Ce noyer est originaire d’Asie orientale (Chine et les deux Corées). Il se développe bien dans les sols fertiles et bien drainés. Les noix provenaient d’un arbre situé dans un parc de l’Université Laval. Un seul individu a été planté en 1994. Il mesure maintenant 11 m de haut et possède un surprenant DHP de 45 cm.

 

Cette essence est originaire d’Asie (Japon). Elle pousse dans divers types de sols, mais elle préfère les sols riches, profonds et humides. Je ne connais pas la provenance des semences utilisées. Deux semis furent plantés en 1998. Le plus beau spécimen atteint 13 m de haut avec 32 cm au DHP.

 

C’est un arbre originaire de l’est des États-Unis. Il croît bien dans tous les sols, même les pauvres. C’est une espèce héliophile résistante à la sécheresse. Les graines proviennent du jardin Van Den Hende de l’Université Laval. Deux plants ont survécu après la mise en terre de 1996. La mesure moyenne de ces arbres est de 14 m en hauteur et de 19 cm de diamètre.

 

Conclusion

En conclusion, la majorité de ces espèces ont montré une grande adaptabilité et une bonne amplitude écologique hors de leurs aires de distribution. La croissance de toutes les espèces indigènes du Québec est bonne ou très bonne dans un climat plus nordique sauf pour l’orme de Thomas, pour qui les facteurs édaphiques limitent son développement. Pour les autres essences québécoises, les résultats de croissance sont très éloquents, entre autres pour deux espèces parmi les plus méridionales : le chêne blanc et le caryer ovale. Si l’on tient compte de la hauteur et du diamètre des plants à la plantation, l’accroissement annuel moyen a été de 50 cm en hauteur et de 1 cm de diamètre pour le chêne blanc. Quant au caryer ovale, il a obtenu un accroissement annuel moyen en hauteur de 45 cm et en diamètre de 0,7 cm.
Pour les essences indigènes du reste du Canada, je dois mentionner l’excellente croissance du noyer noir, et ce, malgré sa sensibilité aux champignons du genre nectria. L’arbre le plus beau atteint 15 m de haut avec un DHP de 30 cm, en plus d’être exempt du pathogène.

Concernant les essences exotiques, je constate la très bonne performance des chênes pédonculés et des deux espèces de noyer. Le fort diamètre (45 cm) du noyer de Mandchourie peut s’expliquer en partie par son emplacement en plein soleil et son immense cime. 

Les changements climatiques vont s’amplifier ce qui n’augure rien de bon pour nos écosystèmes. Les soubresauts météorologiques vont s’accentuer ce qui favorisera les épidémies d’insectes et la présence d’agents pathogènes. Lors de la planification de travaux de reboisement forestier et urbain, l’utilisation d’une grande diversité floristique arborescente pourrait diminuer l’impact de tous ces effets. 

 

Remerciements

En terminant, j’aimerais remercier le professeur Louis Parrot, Ph. D., In Memoriam, pour m’avoir fourni les caryers et les chênes blancs ainsi que mon ami Patrick Lupien, ing. f., pour sa collaboration dans la récolte de certaines semences forestières incluses dans mon arboretum.

 

 

 


En savoir plus

Voyez les précédents articles rédigés par l’auteur traitant de la croissance et du développement de 10 espèces de feuillus nobles en plantation à Saint-Raphaël de Bellechasse (Progrès Forestier de l’hiver 2012 et de l’hiver 2016).

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