Comme plusieurs autres organisations, le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec s’est engagé à contribuer à la lutte contre les changements climatiques. En plus de chercher à éviter et à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le Ministère explore le potentiel de séquestration du carbone associé à la gestion des sites routiers sous sa responsabilité, et notamment la plantation d’arbres sur des sites qui en sont dépourvus.
Les gaz à effet de serre et la lutte contre les changements climatiques
Dans la foulée de l’Accord de Paris, un traité international visant à limiter le réchauffement du climat, plusieurs pays, régions, villes, entreprises et autres organisations se sont fixé les objectifs de limiter et/ou réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.
Le GES le plus abondant dans l’atmosphère est le dioxyde de carbone (CO2). C’est un gaz qui est produit lors de la combustion des énergies fossiles, mais qui est également un élément central du cycle du carbone des êtres vivants. En effet, il est absorbé par les végétaux lors de la photosynthèse, stocké sous forme de molécules organiques dans la biomasse et les sols, et rejeté lors de la respiration des plantes, des animaux et autres organismes vivants. Les micro-organismes qui se nourrissent de matière organique morte rejettent notamment du CO2 dans le processus de décomposition. De grandes perturbations naturelles comme les feux causent aussi des émissions importantes de CO2. En tant que GES, le CO2 est utilisé comme unité de mesure pour quantifier et comparer l’ensemble des GES pour simplifier les bilans. C’est pourquoi le terme « équivalent CO2 » est souvent utilisé pour parler d’émissions de GES.
Le ministère des Transports et le carbone
Pour s’engager dans la lutte contre les changements climatiques, toute organisation doit d’abord identifier et mettre en œuvre des actions d’évitement et de réduction à la source des émissions de GES générées par ses activités. C’est un volet essentiel et crucial de tout plan climatique crédible, et cela ne peut pas être remplacé ou compensé par quelque autre action.
Dans un souci d’exemplarité de l’État, le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTMD) s’est engagé, dans son Plan d’action de développement durable 2020, à contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Pour ce faire, le Ministère analyse l’ensemble de ses émissions de GES et identifie les possibilités d’éviter ces émissions à la source ou de les réduire. Pour les émissions ne pouvant être ni évitées ni réduites, le Ministère explore des avenues de compensation.
Pour la dimension de la compensation du MTMD, des actions sur le terrain sont envisagées, mettant à profit le rôle important que les végétaux et les écosystèmes qui les abritent jouent dans le cycle du carbone. D’une part, les écosystèmes existants peuvent contenir des quantités importantes de carbone dans la masse végétale et les sols. Leur protection empêche ainsi ce carbone de s’en aller vers l’atmosphère. D’autre part, la création de nouveaux écosystèmes ou l’amélioration d’écosystèmes existants peuvent accroître la séquestration de CO2 en créant de nouveaux puits. Au-delà de la question de compensation pour une organisation spécifique, la gestion des écosystèmes par le maintien des puits de carbone existants et la création de nouveaux puits doit aussi être vue comme une contribution essentielle à la lutte globale contre les changements climatiques.
Dans cet esprit et en tant que propriétaire et gestionnaire de superficies importantes à proximité du réseau routier, le MTMD explore le potentiel de pistes de solution comme :
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protéger des boisés existants qui seraient autrement voués à faire place au développement routier;
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planter des arbres dans des boisés existants en vue de les rendre plus denses;
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créer de nouveaux boisés en plantant des arbres sur des sites qui en sont dépourvus.
Le MTMD réalise déjà des actions de végétalisation, de boisement et d’entretien de la végétation des sites à proximité de son réseau routier. L’introduction de la notion de séquestration du carbone dans les pratiques courantes du MTMD pourrait être une occasion de compenser progressivement une partie des émissions de GES générées par ses activités et surtout, de contribuer activement à maintenir et augmenter les puits de carbone pour la lutte contre les changements climatiques.
En plus de leur capacité à absorber et stocker le CO2 atmosphérique, les écosystèmes situés en milieu urbanisé comme les bords de route peuvent procurer une foule d’autres retombées environnementales connexes. Par exemple, ils favorisent la réduction de l’érosion, le développement de niches écologiques pour plusieurs espèces et l’amélioration des paysages du milieu urbain. Les écosystèmes composés d’arbres ont aussi le potentiel de réduire la température et de lutter contre les îlots de chaleur, un enjeu particulièrement important dans un contexte de changements climatiques, et ce, en créant de l’ombre au-dessus des surfaces minéralisées et en rafraîchissant l’air par l’évapotranspiration.
Les critères d’une compensation de GES réussie
La compensation des émissions de GES par la protection, la création ou l’aménagement de boisés qui vont séquestrer et stocker du carbone exige le respect de critères très stricts.
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Il faut, d’une part, que le projet de compensation soit suffisamment documenté et puisse être validé, vérifié et suivi dans le temps pour en confirmer les bénéfices réels.
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Aussi, il faut que le projet de compensation soit additionnel et cause une séquestration de CO2 supplémentaire par rapport au cours normal des affaires. Le projet doit donc expressément avoir lieu pour la compensation (et non pour des obligations légales ou des raisons économiques sans lien avec la lutte contre les changements climatiques). Il doit permettre de séquestrer plus de CO2 et limiter les émissions de GES à l’atmosphère de manière plus importante que si le projet n’avait pas eu lieu. Dans le contexte de la plantation d’arbres, ce dernier point est plus compliqué qu’il n’en a l’air, car il faut pouvoir démontrer que les arbres plantés sur un site vont pousser plus et mieux que la végétation naturelle qui aurait pu s’installer par elle-même sur ce site.
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De plus, il faut aussi s’assurer que le projet ne cause pas de changements contre-productifs ailleurs sur le territoire. Par exemple, il faut éviter que la plantation sur un site donné ne cause le déplacement d’une activité de développement urbain causant la destruction d’écosystèmes situés sur d’autres sites.
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Enfin, il faut que le projet conduise à une compensation réelle et permanente des émissions de GES et des impacts que ces émissions ont sur le climat. Cela est d’autant plus crucial dans le cas de projets de plantation d’arbres. En effet, la séquestration de CO2 par les arbres s’étale généralement sur une longue période et le carbone ainsi stocké dans l’écosystème est susceptible d’être éventuellement relâché vers l’atmosphère en cas de mortalité des arbres ou autres perturbations du site planté.
Les sites routiers et la séquestration du carbone
C’est pourquoi le MTMD a fait appel au milieu de la recherche pour l‘aider à assurer la fiabilité scientifique des actions de séquestration du carbone et de compensation des émissions de GES qu’il pourrait mettre en place. Grâce à des travaux de recherche utilisant à la fois des expériences sur le terrain dans différentes régions du Québec et des simulations, il a ainsi été possible de formuler des recommandations quant aux meilleures pratiques de gestion de sites à proximité du réseau routier pour contribuer aux objectifs climatiques du MTMD et pour maximiser d’autres retombées environnementales possibles, notamment le contrôle des îlots de chaleur.
Les travaux de recherche ont ainsi permis de faire les constats et les recommandations qui suivent.
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La plantation d’arbres sur des sites issus de l’abandon de l’agriculture et n’ayant pas subi d’autres pressions humaines importantes ne serait pas nécessairement appropriée pour un objectif de séquestration de carbone et de compensation d’émissions de GES. En effet, des observations terrain réalisées dans différentes régions du Québec suggèrent que ce genre de site semble pouvoir retourner assez facilement à un état naturel après l’abandon de l’agriculture. Des espèces végétales diverses (herbes, arbustes et arbres) peuvent s’y installer par elles-mêmes si on leur en laisse la chance et évoluer vers une forêt, même si le site porte peu d’arbres présentement (Figure 1). Cette végétation naturelle permet avec le temps une séquestration de CO2 significative, ce qui limite grandement l’intérêt du boisement par plantation. Dans ce cas, la plantation procurerait peu ou pas de bénéfices additionnels de séquestration de carbone et donc ne répondrait pas aux critères d’une compensation réussie. Évidemment, il existe une variété de situations différentes à travers le territoire québécois. Il y a certainement des cas pour lesquels les friches agricoles ne se régénèrent pas naturellement et pour lesquels la plantation permettrait une séquestration additionnelle de CO2. Les données terrain actuelles suggèrent toutefois qu’il faut faire preuve de prudence avec ce genre de site et bien documenter l’effet additionnel d’une plantation par rapport à la succession naturelle.
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Les sites plus artificialisés, qui ont subi une plus forte pression humaine, par exemple des emprises routières (Figure 2), seraient quant à eux de meilleurs candidats pour la plantation visant la séquestration du carbone. Dans ce cas, la plantation permettrait de créer un couvert forestier à un endroit où la végétation naturelle aurait vraisemblablement de la misère à le faire par elle-même. La nouvelle plantation augmenterait donc la séquestration de carbone par rapport à un scénario où le projet n’aurait pas lieu.
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En revanche, il faudrait éviter de faire, avant la plantation, une préparation de terrain intense comme le labourage, car cette préparation peut causer des émissions de CO2 à l’atmosphère importantes, en accélérant la décomposition de la matière organique du sol. Ces émissions en tout début de projet retardent la création d’un véritable bénéfice de compensation.
Il faut en effet réaliser qu’une émission de CO2 (ou autre GES) qui se retrouve dans l’atmosphère contribue au réchauffement climatique tout au long de la durée de vie du gaz. Dans une optique de compensation véritable, il faut pouvoir retirer de l’atmosphère une quantité de GES suffisante pour compenser tout l’effet réchauffant que l’émission a pu causer. Prenons le cas où l’on veut compenser le dommage climatique causé par les émissions de GES d’un projet de construction routière qui a eu lieu il y a quelques années. Pour cela, il faudra planter un grand nombre d’arbres pour qu’ils puissent séquestrer une quantité de CO2 suffisamment élevée pour contrecarrer tout l’effet réchauffant causé par les GES depuis leur arrivée dans l’atmosphère. La quantité de CO2 à séquestrer devrait donc être plus élevée que la quantité d’émissions de GES que l’on veut compenser pour tenir compte du dommage climatique causé par ces émissions au cours des années. De la même manière, des émissions de CO2 causées par le labourage du sol avant la plantation nécessiteront une séquestration de carbone importante pour compenser leur effet réchauffant. Le fait que les arbres prennent plusieurs années à croître et à accumuler des stocks de carbone rend d’autant plus importante la prise en compte de l’effet temporel des émissions de GES dans l’atmosphère.
Cela dit, on peut estimer, à titre d’exemple, que la plantation effectuée sur des sites artificialisés (sur lesquels la végétation naturelle ne s’installerait pas d’elle-même), sans labourage préalable, pourrait procurer une compensation cumulative sur un horizon de 100 ans variant de 313 à 465 tonnes1 d’équivalent CO2 par hectare selon la composition des espèces plantées, pour une moyenne annuelle de 3,1 à 4,7 tonnes d’équivalent CO2 par hectare, et ce, en tenant compte de l’effet climatique du CO2 dans l’atmosphère (qu’on calcule par le forçage radiatif2).
Par ailleurs, ces conclusions sur la compensation de GES que peut procurer la plantation d’arbres en contexte routier sont très sensibles aux hypothèses utilisées dans le cadre des travaux de recherche. Par exemple, des hypothèses ont été faites sur le taux de croissance de différentes espèces d’arbres et sur l’évolution de la végétation naturelle qui s’installerait par elle-même sur les sites en l’absence de projet de plantation. Même si on s’assure dans la mesure du possible que ces hypothèses reflètent les meilleures connaissances disponibles, il sera nécessaire de suivre sur le terrain des sites réels avec et sans plantation pour évaluer dans le temps la séquestration de carbone et son stockage dans la végétation et les sols afin de valider les conclusions. Le suivi, la vérification et la validation dans le temps représentent de toute façon un aspect fondamental de la compensation des GES, mais aussi de tous les projets visant à maintenir et augmenter la séquestration de carbone.
Dans tous les cas, une façon peu coûteuse pour augmenter la séquestration de carbone des sites routiers serait de changer les pratiques habituelles d’entretien de ces sites. Il faudrait voir à y favoriser la végétation naturelle par diverses mesures de protection, dont l’arrêt de la tonte ou autre contrôle mécanique de la végétation. On pourrait aussi envisager de planter des arbres en accompagnement des arbres et autres végétaux installés naturellement sur les sites. Cela permettrait de favoriser un plus grand mélange d’espèces d’arbres aux caractéristiques variées, avec des retombées environnementales positives. En effet, au-delà des effets sur le stockage de carbone, les travaux de recherche ont montré que la présence d’une diversité d’arbres sur les sites routiers permet de diminuer significativement la température de l’air. Toute action qui permet de conserver ou d’augmenter la présence d’arbres sur les sites routiers peut ainsi jouer un rôle dans le contrôle des îlots de chaleur, un aspect important de l’adaptation aux changements climatiques.
Conclusion
Des actions simples, mais bien ciblées, comme la plantation d’arbres sur des sites artificialisés, sur lesquels la succession naturelle n’arriverait pas à s’installer, et la promotion et la protection de la végétation naturelle, pourraient être déployées et contribuer aux objectifs de lutte contre les changements climatiques du MTMD et d’autres organisations ayant des visées semblables. Dans le cas de la plantation, le choix des sites à privilégier et la prise en compte de la temporalité des émissions et de la séquestration de carbone sont particulièrement cruciaux pour s’assurer de générer un bénéfice climatique réel. Même si la plupart des protocoles de crédits carbone forestier sur le marché volontaire n’intègrent pas encore l’aspect temporel des émissions/séquestrations de CO2, le nouveau Règlement relatif aux projets de boisement et de reboisement sur des terres du domaine privé admissibles à la délivrance de crédits compensatoires du gouvernement du Québec en tient compte. Cela assure une plus grande intégrité pour l’atteinte d’objectifs de lutte contre les changements climatiques. D’autres enjeux tels que la récolte des arbres rendus à maturité ainsi que le changement d’albédo de surface causé par la plantation devraient aussi faire partie de la réflexion.
En-tête : site routier. Crédit photo : Université Laval
1 On parle ici de la tonne métrique, qui correspond à 1 mégagramme ou 1 000 kilogrammes.
2 Ce calcul peut se faire très facilement à partir d’un calculateur sous forme de fichier Excel fourni par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, ainsi que par le modèle DynCO2, également sur Excel et disponible à l’adresse : https://ciraig.org/index.php/fr/project/dynco2-calculateur-dempreinte-carbone-dynamique/.