ARTICLES AUTOMNE 2024

Succès de la régénération forestière : les facteurs écologiques priment sur l'intensité de la coupe

Les forêts sont des écosystèmes essentiels qui jouent des rôles cruciaux, notamment en améliorant la qualité de l’air et de l’eau, et en protégeant les sols. Elles servent de puits de carbone importants, fournissent des habitats pour de nombreuses espèces et revêtent des valeurs spirituelles et culturelles, notamment pour les peuples autochtones. Les forêts sont également une source de fibres de bois, un matériel utilisé dans l’industrie de la construction, pour la production de pâtes et papiers et de nombreux autres produits. La fibre de bois possède par ailleurs un potentiel pour alimenter la filière de la bioénergie.

À ce titre, il importe de vérifier comment les pratiques forestières associées à la récolte de bois pour les industries conventionnelles et les industries émergentes, comme la bioénergie, influencent la résilience des écosystèmes. Une récente étude que nous avons publiée dans la revue Forestry met en lumière les dynamiques complexes de la régénération forestière après les activités de coupe. Nos résultats montrent que les caractéristiques écologiques naturelles ont un impact plus significatif sur la régénération des sites que l’intensité de la coupe de bois.

 

APERÇU DE L’ÉTUDE

Nous avons mené notre étude sur six sites expérimentaux dans le sud et l’est du Québec, englobant des forêts boréales et tempérées (Figure 1). Ces sites ont été choisis pour leurs diverses caractéristiques forestières, y compris la composition des espèces d’arbres et les types de sols. Notre objectif était d’examiner les relations entre différents niveaux d’intensité de la coupe, les débris ligneux et le succès de la régénération forestière.

 

 

CONCEPTS CLÉS

INTENSITÉ DE LA COUPE

Elle réfère à la quantité de bois extraite lors des opérations de récolte. Notre étude a évalué quatre niveaux d’intensité, allant de minimal à très élevé et incluant la récolte de biomasse en complémentarité aux bois pour les industries conventionnelles, créés sur la base de critères plus ou moins sévères dans la sélection des sections de tiges d’arbres prélevées.

RÉGÉNÉRATION

Le processus par lequel les forêts se renouvellent, soit par régénération naturelle (nouveaux arbres poussant à partir de graines, de drageons, ou de rejets de souches), soit par régénération artificielle (plantation de nouveaux arbres).

 

 

MICROSITE PROPICE

Un environnement favorable à l’établissement et à la croissance de la régénération forestière en regard, notamment, de sa capacité à fournir un niveau adéquat de lumière, d’eau, d’éléments nutritifs, ainsi que l’espace nécessaire au développement des semis établis naturellement ou des plants mis en terre.

DÉBRIS LIGNEUX

Ce sont les restes de bois, tels que les branches et les parties de troncs, laissés sur le sol forestier après la coupe. Ces débris contribuent à maintenir la santé du sol et à fournir des habitats pour la faune. Ils peuvent cependant nuire à l’établissement et à la croissance de la régénération forestière. S’ils sont trop abondants, ils doivent parfois être déplacés et mis en andains en bordure des sites de récolte ou à même ces derniers.

 

 

PRINCIPAUX RÉSULTATS 

IMPACT SUR LES DÉBRIS LIGNEUX

On pourrait s’attendre à ce qu’une intensité plus élevée de la coupe réduise la quantité de débris ligneux laissés au sol. Notre étude a révélé que, bien que l’intensité accrue de la coupe réduise la quantité de débris ligneux, l’effet sur la disponibilité de la lumière et de l’espace au sol pour l’établissement de la régénération n’était pas aussi significatif que nous l’avions prévu. Au contraire, le type de forêt et ses conditions avant la coupe étaient plus déterminants pour ces caractéristiques de microsites. Par exemple, les débris ligneux dans les forêts de conifères, dominées par les épinettes et les sapins, recouvraient généralement plus le sol comparativement aux débris ligneux dans les forêts de feuillus, telles que celles dominées par les érables et les bouleaux (Figure 2).

 

 

SUCCÈS DE LA RÉGÉNÉRATION

Nous avons observé que le succès de la régénération forestière dépendait davantage des caractéristiques naturelles de la forêt que de l’intensité de la coupe. Les facteurs clés comprenaient l’épaisseur de l’humus forestier, la composition de la forêt, la régénération déjà établie avant la coupe ainsi que la quantité de lumière atteignant le sol forestier. Dans les forêts de conifères, une intensité de coupe plus élevée améliorait les conditions pour l’établissement des semis en créant des microsites propices. En revanche, les forêts de feuillus montraient peu de différence dans la régénération à travers différents niveaux d’intensité de la coupe.

RÔLE DE LA VÉGÉTATION CONCURRENTE

La végétation concurrente, comme les arbustes et les graminées, prolifère souvent après la coupe et peut gêner la croissance des nouveaux arbres en compétition pour les ressources environnementales. Notre étude a révélé que, dans les deux années immédiates après la coupe, la gestion de cette végétation concurrente joue un rôle crucial sur la présence de microsites pour la plantation d’arbres, mais a peu d’effet sur la régénération naturelle des espèces d’arbres souhaitées. De plus, l’intensité de la coupe contribue peu à la gestion de cette végétation concurrente, puisque sa présence est davantage associée à des facteurs écologiques propres aux sites.

 

IMPLICATIONS PRATIQUES

Notre étude a des implications significatives pour la sylviculture, particulièrement dans un contexte d’intégration des opérations de récolte pour les produits conventionnels et la biomasse. Nos principales recommandations sont à l’effet que les stratégies de récolte, en regard de son intensité, devraient être adaptées aux caractéristiques spécifiques de chaque forêt. Par exemple, une intensité de coupe plus élevée qui permet le prélèvement de biomasse pourrait être bénéfique pour la régénération dans les forêts de conifères, mais apporte peu de bénéfices à cet égard dans les forêts de feuillus. La promotion de la régénération naturelle doit être priorisée, car c’est une méthode rentable et efficace pour assurer la santé et la durabilité à long terme des forêts. Dans un contexte d’aménagement extensif, la plantation est utile pour suppléer aux carences de la régénération naturelle, tant en quantité qu’en qualité. Nos résultats démontrent que l’intensité de récolte associée au prélèvement de biomasse peut faciliter le reboisement, particulièrement dans les forêts denses de conifères.

 

CONCLUSION

Notre étude met en évidence la complexité des écosystèmes forestiers et l’importance des facteurs écologiques dans la régénération des forêts. Bien que l’intensité de la coupe ait un impact, les caractéristiques inhérentes de la forêt sont plus influentes pour déterminer son succès de régénération. En ajustant les pratiques sylvicoles avec ces facteurs naturels, nous pouvons favoriser des forêts plus saines et résilientes qui continueront de fournir des services écologiques essentiels pour les générations futures.

 

REMERCIEMENTS

Ce projet a été financé par le conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) en partenariat avec Énergir. Nous exprimons notre gratitude envers le personnel de la Forêt Hereford, de la Forêt Montmorency, de la Société d’Exploitation des Ressources de la Vallée Inc. (SERV), de la Coopérative forestière de la Matapédia, de Temrex Produits Forestiers, de l’Association Coopérative Forestière de Saint-Elzéar, et du ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec en Gaspésie pour leurs conseils, leurs ressources et leur collaboration dans la planification et la mise en place de cette expérience. Nous sommes reconnaissants envers les opérateurs et les entrepreneurs forestiers, les techniciens forestiers de la Coopérative forestière de la Gaspésie, et les nombreuses personnes qui ont contribué aux travaux de terrain et à la compilation des données.

 

 


EN SAVOIR PLUS

Consulter l’article scientifique complet (Canuel, C.-M., Thiffault, É. et Thiffault, N. 2024. Post-harvest regeneration is driven by ecological factors rather than wood procurement intensity in eastern Canadian forests publié dans le journal Forestry: An International Journal of Forest Research) disponible en libre accès à l’adresse : https://doi.org/10.1093/forestry/cpae008

Vous pouvez également joindre l’auteure principale à l’adresse : claudie-maude.canuel.1@ulaval.ca

 

 

Retour vers la liste des articles

Suivez l’actualité de l’AFSQ   

S'abonner à l'infolettre