ARTICLES AUTOMNE 2024

Les plantations : un outil sylvicole pour l'adaptation aux changements globaux

Plusieurs stratégies d’adaptation aux changements globaux impliquent d’accroître la diversité des essences dans un peuplement et/ou d’y introduire de nouvelles espèces mieux adaptées aux conditions futures. La plantation d’arbres représente donc une composante importante des stratégies actuelles d’adaptation aux changements globaux. Cet article vise à présenter l’adéquation entre les stratégies d’adaptation et les différentes modalités de plantation ainsi qu’à fournir des orientations quant au choix des espèces à planter.

UN PORTFOLIO DE STRATÉGIES D’ADAPTATION

Les changements globaux plongent l’avenir dans l’incertitude, car il est difficile de prédire avec précision quelles seront les conditions qui prévaudront dans un site donné. Devant cette incertitude, le milieu académique semble unanime : la variété est gage de résilience et de succès. Le principe étant qu’une forêt diversifiée favorise le partage des ressources pour la croissance des arbres, réduit les dommages causés par les insectes et maladies, et augmente les chances d’inclure des espèces qui pourront résister ou persister suite à une perturbation ou à un stress. Parallèlement, il est aussi préconisé de s’adapter à des conditions incertaines en optant pour un portfolio diversifié d’options sylvicoles : l’équivalent du principe de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.

En ce sens, la sylviculture d’adaptation aux changements globaux est souvent décrite selon un portfolio de trois approches distinctes :

  • La résistance, qui vise à améliorer la capacité d’un peuplement à absorber une perturbation donnée, évitant ainsi que celle-ci ne l’affecte négativement;

  • La résilience, qui vise à améliorer la capacité d’un peuplement à retrouver son état initial à la suite d’une perturbation pour lequel il n’était pas résistant.

  • La transition, qui vise à rediriger une forêt vers un autre état (structure et composition) lorsqu’il est attendu que sa résistance et sa résilience ne lui permettront pas de se maintenir, ou de revenir à son état initial à la suite d’une perturbation importante.

La sélection de l’approche d’adaptation repose sur l’évaluation de la vulnérabilité du peuplement. Celle-ci découle de la combinaison du niveau d’exposition à un changement et de la sensibilité de l’écosystème forestier à ce changement. Cette combinaison donne ce que l’on nomme l’impact potentiel du changement sur la forêt. Cet impact peut ensuite être atténué par la capacité d’adaptation de l’écosystème et des espèces à s’adapter au même changement (Figure 1).

 

 

Les approches de résistance auront plus de chances de succès dans les forêts peu vulnérables alors que celles très vulnérables seront propices aux approches de transition. Alors que l’approche de résistance mise majoritairement sur la composition initiale d’une forêt, les approches de résilience et de transition nécessitent des ajouts ou des changements à la composition forestière. En effet, la résilience mise majoritairement sur le fait d’accroître la diversité des essences dans un peuplement alors que la transition implique de remplacer certaines essences vulnérables aux conditions futures par de nouvelles essences mieux adaptées. La plantation d’arbres est donc un des outils importants de la sylviculture d’adaptation aux changements globaux.

 

DIAGNOSTIC ET JUSTIFICATION SYLVICOLE

Le diagnostic sylvicole menant à l’utilisation des plantations repose essentiellement sur une insatisfaction au niveau de l’abondance1 ou de la composition2 de la régénération. De plus, le diagnostic doit porter sur l’évaluation de l’adaptation de la régénération déjà en place au site et aux conditions climatiques actuelles et futures.

Selon le Guide sylvicole du Québec, la plantation en milieu forestier se décline en trois variantes (ceci exclut les systèmes agroforestiers) :

  • La plantation uniforme, soit une plantation standard;

  • La plantation d’enrichissement qui vise à enrichir une régénération déjà établie avec d’autres espèces;

  • Le regarni qui vise à restaurer la densité initiale d’une plantation suite à un événement de mortalité.

Pour justifier une plantation uniforme, le diagnostic sylvicole doit conclure à l’absence (moins de 60 % de coefficient de distribution), ou la convenance à court terme de la régénération en place, soit à cause des caractéristiques du site ou des conditions climatiques actuelles ou futures.

L’enrichissement se justifie lorsque les essences présentes dans la régénération naturelle sont considérées comme vulnérables à moyen et long terme, mais bien adaptées au site. On peut utiliser l’enrichissement, peu importe le coefficient de distribution des essences naturelles

Le regarni est justifié lorsque les essences en place sont insuffisantes (coefficient de distribution entre 60 et 80 %), mais bien adaptées au site et aux conditions climatiques actuelles et futures.

Les plantations peuvent également être effectuées selon deux modalités différentes, soit monospécifique (une seule espèce) ou en mélange (plusieurs espèces). La modalité la plus fréquemment utilisée au Québec est la plantation monospécifique. Elle s’applique surtout dans les plantations uniformes. Dans un contexte de sylviculture d’adaptation, la plantation monospécifique uniforme se justifie lorsque l’essence sélectionnée est très peu vulnérable et est très bien adaptée au site.

Les plantations en mélange sont quant à elles peu utilisées encore au Québec. Elles le sont surtout dans le cadre de plantations d’enrichissement, mais elles sont exclues des regarnis et gagneraient à être mieux intégrées dans les plantations uniformes. Bien qu’il soit encore possible de faire des plantations monospécifiques, il apparaît judicieux de limiter l’usage de cette pratique et de favoriser plutôt les plantations en mélange puisque ces dernières sont mieux adaptées aux objectifs de sylviculture d’adaptation aux changements globaux.

Le tableau suivant présente les approches sylvicoles les plus cohérentes avec les différentes variantes des plantations et leurs modalités.

 

 

QUELLES ESSENCES PLANTER?

Pour qu’une plantation puisse jouer pleinement son rôle en sylviculture d’adaptation, les espèces la constituant doivent être adaptées :

  • Au climat actuel (ex. : tolérance au froid);

  • Au climat futur (ex. : résistance à la sécheresse);

  • Aux conditions du site (ex. : drainage, texture, pH).

 

 

De plus, il est important que les espèces choisies soient peu vulnérables aux risques actuels et futurs propres au site de plantation ou à la région (ex. : proximité avec des foyers d’épidémie de ravageurs connus).

La combinaison de ces adaptations influencera les risques de mortalité à court, moyen et long termes des arbres plantés. Pour une plantation, nous définissons ces horizons temporels d’analyse comme suit :

  • Le court terme correspond à la période entre l’établissement de la plantation et l’atteinte du stade gaulis, soit environ le tiers de la durée totale de la révolution de la plantation;

  • Le moyen terme correspond au stade du perchis, soit le second tiers de la révolution;

  • Le long terme vise le stade de la futaie, soit le dernier tiers de la révolution.

Dans le contexte des changements globaux, le risque minimal de mortalité dans les plantations se trouve à la jonction des caractéristiques du site aux espèces plantées et des conditions climatiques actuelles et futures favorables comme l’illustre la Figure 2. Ne pas tenir compte de l’un ou l’autre des besoins ou adaptations de l’espèce amènera des risques à court ou moyen terme. Par exemple, conduire la migration assistée d’essences ne pouvant tolérer nos conditions hivernales actuelles représente un très fort risque de mortalité à court terme. 

 

 

Afin d’aider le sylviculteur dans cette analyse de risques, le CERFO a produit une série de fiches d’informations sur les besoins et l’adaptation de 24 espèces propices pour la plantation dans le sud du Québec. Ces fiches (une par espèce) offrent un bilan vulgarisé de la littérature scientifique concernant la vulnérabilité des essences forestières face aux changements globaux. Elles sont à utiliser en complément d’autres sources reconnues en sylviculture, tel le Guide sylvicole du Québec. En plus d’exposer des informations de base sur les conditions « idéales » de plantation de chaque espèce, les fiches fournissent des informations sur leur habitat futur, tel que fourni par la plateforme Devenir des habitats sous l’influence des changements climatiques de la chercheuse Catherine Périé du ministère des Ressources naturelles et des Forêts. On y trouve également les indices de sensibilité et de capacité d’adaptation développés par l’équipe de la chercheuse Isabelle Aubin du Service Canadien des Forêts. Enfin, chaque fiche offre une liste d’essences compagnes qui seraient intéressantes à planter pour améliorer la diversité fonctionnelle du peuplement selon l’approche développée dans le laboratoire du professeur Alain Paquette. Les fiches d’information sont disponibles en ligne (voir le lien à la fin du texte).

 

CONCLUSION

Les plantations peuvent jouer un rôle crucial dans l’adaptation des peuplements aux changements globaux, à condition d’être utilisées adéquatement. Elles permettent de constituer des peuplements résistants et résilients face aux perturbations causées par les changements globaux et peuvent aussi contribuer à la migration assistée des espèces. Toutefois, l’incertitude liée aux changements globaux rend ces projets plus risqués qu’auparavant. Ce risque, combiné à l’importance des investissements que constituent les plantations, impose donc un suivi plus rigoureux que par le passé.

L’intégration des informations provenant des suivis d’efficacité permet d’adapter les scénarios sylvicoles en cours de route et d’améliorer les outils d’aide à la décision pour les futurs projets. Un suivi rigoureux est donc essentiel pour une approche sylvicole concertée visant à réduire les risques à court, moyen et long termes. Les pratiques d’amélioration continue et de gestion agile s’appliquent donc à toute intervention de sylviculture d’adaptation et d’autant plus aux plantations, en raison de leur rôle clé dans l’ensemble des approches de ce type de sylviculture.

 

 


EN SAVOIR PLUS

Les fiches d’informations sur les besoins et l’adaptation de 24 espèces propices pour la plantation dans le sud du Québec sont disponibles à la page : www.cerfo.qc.ca/nos-essences-forestieres-vers-le-futur

 

1 évaluée par le coefficient de distribution ou « stocking »
2 évaluée par la proportion des différentes essences

 

 

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