La plantation d’arbres feuillus en grande quantité prend un essor important dans les coulées agricoles du Québec. Depuis seulement cinq ans, les différents intervenants régionaux et les entreprises agricoles de la Montérégie initient des projets afin d’aménager ces friches avec plus de 15 espèces d’arbres et arbustes pour les enrichir en diversité. De multiples bénéfices sont associés à ces plantations, dont la mise en place d’une meilleure connectivité entre les boisés agricoles.
FORMATION ET HISTORIQUE DES COULÉES
Les coulées sont un type de terrain formé il y a près de 12 000 ans avec le retrait de la mer de Champlain. Leur relief accidenté présente des pentes plus ou moins prononcées vers les cours d’eau. Au sud du Saint-Laurent, elles sont concentrées au nord de Saint-Hyacinthe, le long de la rivière Yamaska et de ses tributaires et dans la région de Baie-du-Febvre. En Montérégie, les coulées typiques ont une superficie moyenne de 8 à 20 hectares qui peut inclure une partie en culture. Le long d’un cours d’eau d’importance, leur largeur moyenne est de 150 m à 300 m et leur dénivelé est d’environ 15 à 50 m. Elles sont bordées de ravines étroites, souvent boisées et à pentes fortes vers un ruisseau.
Avant le grand déboisement des années 1850-1880, les forêts de coulées étaient occupées par des érablières à sucre accompagnées principalement de frênes blancs ou de pins blancs dans les zones plus sableuses. L’expansion de l’industrie laitière a favorisé l’établissement de pâturages dans les pentes et les replats de coulées jusqu’aux années 1970. Dans les années 1980-1990, le MAPAQ, par l’intermédiaire de programmes ponctuels, a financé des plantations de résineux, majoritairement en épinettes blanches pour les papetières, mais aussi en pins blancs afin de valoriser ces superficies disponibles.
PLANTATIONS D’ARBRES FEUILLUS EN COULÉES
À partir des années 2010, plusieurs coulées agricoles ont été aménagées avec plus de cinq espèces de feuillus de valeur (chênes, érables, noyers noirs, etc.) le long des rivières Nicolet, Bécancour et Chibouet à St-Hugues. En 2021, l’Organisme de bassin versant de la rivière Yamaska et CLG AGFOR ont démarré le projet Corridor Vallée Yamaska qui vise à planter 200 000 arbres sur plus de 300 hectares d’ici 2035. À ce jour, l’OBV Yamaska et ses partenaires ont réalisé des projets totalisant près de 25 000 arbres, en majorité des feuillus, sur 35 hectares chez une quinzaine d’entreprises agricoles.
Dans un objectif d’adaptation aux changements climatiques, les intervenants (clubs conseils, organismes de bassins versants, entrepreneurs en agroforesterie, etc.) réalisent des plantations ayant une grande diversité d’espèces d’arbres indigènes feuillus du sud du Québec selon les principes de la migration assistée. Depuis cinq ans, une quinzaine d’essences feuillues, comme les érables à sucre et rouge, les chênes blanc, rouge, à gros fruits et bicolore, le tilleul d’Amérique, les caryers ovale et cordiforme, le micocoulier occidental, le cerisier tardif et le bouleau jaune, ont été plantées dans ce corridor riverain et ses tributaires. Dans une perspective de réchauffement du climat, certaines espèces du Nord-est américain ont été ajoutées : le noyer noir, le platane occidental, le tulipier de Virginie et le chêne des marais sont les principales. Cette diversité offre une meilleure résilience à ces nouveaux boisés agricoles. Dans une proportion de 10 à 15 % du nombre d’arbres total, les aménagements incluent aussi des résineux tels l’épinette blanche, le mélèze laricin, le pin blanc et la pruche du Canada, et ce, afin de diversifier les habitats fauniques grâce à leur feuillage plus fermé. Ces nouveaux boisés diversifiés en feuillus de valeur, d’espèces rares ou hors de leur zone de répartition naturelle deviendront, après 25 ans, des îlots de propagation pour les autres boisés et friches de la localité.
ASPECTS TECHNIQUES
Les superficies de coulées en friche mises à disposition par les entreprises agricoles ont en moyenne 1 à 5 hectares et les parties à pente faible sont souvent cultivées. Dans la vallée de la rivière Yamaska, les friches sont souvent recouvertes d’herbacées basses et denses (ex. : carex sp.) et ont des sols argileux compactés depuis des décennies par les bovins de pâturages. Les hauts de coulées sont mieux drainés alors que les pentes ont souvent des sols plus compactées. Les bas de pentes ont des sols plus meubles et profonds. Les ravines adjacentes aux pentes abruptes sont colonisées par de grands saules et des érables à Giguère. Elles offrent une protection contre les vents et quelques heures d’ombre au site, ce qui est adapté aux érables, aux bouleaux jaunes et aux pruches entre autres. Cette variété d’habitats est donc appropriée pour la plantation d’une grande variété d’espèces d’arbres. La croissance des feuillus observée est en général meilleure en haut de pente. Des travaux d’entretien sur plus de 15 ans sont importants pour limiter la venue des peupliers et l’envahissement du site par l’érable à Giguère.
HABITATS POUR LA BIODIVERSITÉ
Lors de l’élaboration des plans d’aménagement, une analyse du paysage environnant du site est importante. Une faible présence de boisés avoisinants favorisera la plantation d’arbres couvrant la totalité de la superficie en friche pour maximiser la superficie du nouveau boisé en coulée. Pour un site à proximité de plusieurs haies et boisés, il est recommandé d’y aménager un nouveau boisé combiné à des zones de bosquets constituées d’arbrisseaux (amélanchiers, cerisiers de Pennsylvanie et de Virginie, noisetiers) et d’arbustes (viornes, sureaux, aronies, etc.). Les biologistes proposent de maintenir une superficie en herbacées d’au moins 20 % du total afin de maximiser la structure verticale de la zone (une variété d’étages de végétation). Ces nouvelles coulées riveraines boisées composées de plus d’une trentaine d’espèces ligneuses deviennent des habitats de choix pour la faune grâce à leurs fruits, noix et drupes.
Afin de multiplier le boisement de coulées riveraines favorable à la biodiversité en Montérégie, un site de démonstration public a été aménagé en 2024 à Saint- Aimé, à 1 km au sud de Massueville. La coulée est située entre le chemin du Bord-de-l’eau et la rivière Yamaska, propriété de la Ferme Libert Enr. Cette coulée riveraine en territoire de grandes cultures (maïs et soya) est d’une superficie de 3,75 hectares. La plantation comprend 1 100 arbres feuillus de valeur de 18 espèces différentes, dont certaines sont rares (micocoulier, chêne bicolore et caryer ovale). Des bosquets de 100 arbres résineux ainsi que 1 400 arbrisseaux et arbustes de 15 espèces ont été ajoutés. L’ensemble a été réparti le long d’une bande d’herbacées auquel s’ajoutent des abris pour l’herpétofaune et des nichoirs à oiseaux champêtres. Un petit verger de 60 arbres fruitiers rustiques accessible aux visiteurs et un panneau d’interprétation expliquant les aménagements bonifient le projet. Enfin, une plantation adjacente a été aménagée en 2021 sur 4,5 hectares avec 2 400 arbres. Le projet totalise 8,25 hectares et comprend 3 500 arbres.
Les sources de motivation de M. Jacques Cartier, propriétaire du site de démonstration, furent de remettre en valeur sa friche, de participer à l’amélioration de la qualité de l’eau de la rivière Yamaska et de léguer aux générations futures un boisé de grande valeur en héritage. Depuis quelques années seulement, de nouveaux chantiers agroforestiers prennent forme chez des producteurs agricoles du sud du Québec très enthousiastes. Différents gestionnaires de territoires agricoles et chercheurs universitaires amorcent ces projets, qui ne seraient pas possibles sans l’aide précieuse des propriétaires.
Il commence à y avoir un trafic dans les coulées agricoles et c’est pour le mieux!
LES BÉNÉFICES DU BOISEMENT EN COULÉES AGRICOLES
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Prévenir ou corriger les phénomènes d’érosion qui y prennent place
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Produire une valeur ajoutée dans ces friches au bénéfice des entreprises agricoles
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Augmenter la biodiversité faunique et floristique du secteur, en plus de tous les services écologiques associés à celle-ci
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Séquestrer davantage de carbone
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Améliorer la qualité de l’eau par un meilleur captage des sédiments et des éléments nutritifs en provenance de l’agriculture
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Diversifier les paysages des secteurs en grande culture
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Augmenter la connectivité des milieux