Articles automne 2023

Où en sommes-nous avec les pluies acides

L’augmentation des émissions de polluants atmosphériques acidifiants au cours du dernier siècle a perturbé le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Heureusement, les mesures mises en place dans les années 1990 ont permis de réduire les émissions de ces polluants. Les suivis environnementaux de bassins versants forestiers réalisés par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) démontrent les effets bénéfiques de ces mesures sur la qualité des précipitations et sur la santé des écosystèmes forestiers.

Les suivis environnementaux de bassins versants forestiers

Les connaissances des effets des pluies acides sur les écosystèmes forestiers ont été acquises en grande partie grâce aux suivis environnementaux de bassins versants forestiers effectués à différents endroits à travers le monde. Au Québec, à la suite de l’implantation du « Réseau d’étude et de surveillance des écosystèmes forestiers (RESEF) », à la fin des années 80, la Direction de la recherche forestière (DRF) du MRNF réalise le suivi environnemental de bassins versants calibrés représentatifs de chacune des trois grandes zones forestières du Québec, soit : une érablière à bouleau jaune et à hêtre située à la Station forestière de Duchesnay, près de Québec,  une sapinière à bouleau blanc dans la Forêt Montmorency, dans la réserve faunique des Laurentides, et  une pessière noire à mousses située dans la réserve faunique Ashuapmushuan. Ces suivis environnementaux incluent l’échantillonnage récurrent de la composition chimique des précipitations, des pluviolessivats (pluie sous la canopée forestière), de la solution de sol et de l’eau à l’exutoire du bassin versant. La fertilité du sol, le statut nutritif des arbres et la dynamique forestière sont aussi réévalués périodiquement.
 

Les effets des pluies acides sur les écosystèmes forestiers


En plus des gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques, la consommation de combustibles fossiles génère des émissions atmosphériques de polluants acidifiants comme le dioxyde de soufre (SO2) et les oxydes d’azote (NOx). Au contact de la vapeur d’eau de l’atmosphère, ces polluants se transforment respectivement en acide sulfurique (H2SO4) et en acide nitrique (HNO3), lesquels peuvent être transportés sur de longues distances et retomber au sol sous forme de précipitations. Ces polluants sont à l’origine des « pluies acides », un phénomène dont les dommages causés aux écosystèmes terrestres et aquatiques, ainsi qu’aux infrastructures, sont bien démontrés.


Les pluies acides appauvrissent et acidifient les sols des écosystèmes forestiers, ce qui menace le maintien à long terme de la productivité des forêts. En effet, certains éléments présents dans le sol, comme les ions de calcium (Ca2+) et de magnésium (Mg2+), que l’on appelle aussi des cations basiques, contribuent à neutraliser l’acidité des précipitations (figure 1), ce qui les rend alors moins disponibles pour la nutrition des arbres. Ce facteur a contribué au déclin contemporain de la régénération et de la croissance de l’érable à sucre, et à la prolifération du hêtre à grandes feuilles au Québec. 

 

 

 

La baisse de l’acidité des précipitations

Les suivis réalisés dans ces trois bassins versants révèlent une baisse marquée des concentrations de polluants acidifiants et de l’acidité des précipitations au cours des 30 dernières années. Par exemple, pour l’érablière, la concentration de SO4 dans la précipitation a baissé de 78 % entre les cinq premières années de mesures (1989 à 1993 : 2,1 mg/L) et les cinq années les plus récentes (2016 à 2020 : 0,4 mg/L, figure 2). Une tendance similaire est observée pour la concentration de NO3, qui a baissé de 61 % au cours de la même période. Cette baisse de polluants acidifiants se traduit par une hausse marquée du pH (baisse de l’acidité) de la précipitation, qui est passé de 4,3 à 5,3 au cours de la même période. En d’autres mots, les précipitations ont été 10 fois moins acides à la fin des années 2010 comparativement au début des années 1990. Ces résultats sont une belle démonstration de l’efficacité des mesures mises en place par le Canada et les provinces, sur le plan national et international, pour remédier aux problèmes causés par la pollution atmosphérique transfrontalière.

 

 

Des effets bénéfiques pour les écosystèmes forestiers suivis par la DRF

Les effets bénéfiques de cette baisse de polluants s’observent plus particulièrement dans l’érablière, qui a apparemment été l’écosystème le plus fragilisé par l’acidité des précipitations dans le passé. Parmi les indicateurs, on observe notamment une baisse de 64 % (4,0 à 1,5 mg/L) de la concentration de SO4 dans la solution de sol, accompagnée d’une baisse de 69 % (0,95 à 0,29 mg/L) du calcium (Ca) et de 52 % (0,11 à 0,05 mg/L) du magnésium (Mg) au cours de la même période de référence (figure 2). Cette baisse de la concentration en Ca et en Mg ne doit pas être interprétée comme un appauvrissement du sol, mais plutôt comme une diminution du lessivage et de la perte des éléments nutritifs causés par la baisse du flux de SO4 (figure 1). La diminution de ces pertes permet aux réservoirs de cations basiques dans les sols de se reconstituer et contribue ainsi au maintien à long terme de la fertilité des sols et de la productivité des forêts.

D’autres indicateurs nous démontrent que les arbres réagissent positivement à l’amélioration de la fertilité des sols. Nous observons, entre autres, que la litière qui tombe au sol chaque année est 33 % plus riche en Ca (7,2 à 9,5 g/kg, figure 2) et 59 % plus riche en Mg (0,8 à 1,2 g/kg) à la fin des années 2010 comparativement au début des années 1990, ce qui indique une amélioration du statut nutritionnel des arbres. La couche de matière organique au sol est aussi 52 % plus riche en Ca (976 à 1488 mg/kg) et 250 % plus riche en Mg (50 à 175 mg/kg) à la fin des années 2010 comparativement à la fin des années 1980. À moyen terme, ces changements devraient se traduire par l’amélioration de la croissance et de la régénération de l’érable à sucre dans cette érablière dépérissante. Les analyses à venir des suivis quinquennaux de la végétation dans cet écosystème permettront d’approfondir l’étude de ces effets.

 

Un élément clé d’acquisition de connaissances dans un contexte de changements climatiques

Les suivis environnementaux de bassins versants forestiers réalisés par la DRF permettent aussi de suivre les effets des changements climatiques sur les écosystèmes forestiers. En effet, les conditions météorologiques, l’épaisseur du couvert de neige, la température et l’humidité du sol ainsi que le débit des ruisseaux sont mesurés en continu. Des caméras capturent quotidiennement des images du couvert forestier pour permettre d’en déduire l’activité photosynthétique et de documenter l’étude des changements de phénomènes phénologiques comme le débourrement au printemps et la chute des feuilles à l’automne. Certains arbres sont équipés de sondes électroniques permettant de mesurer la croissance, le statut hydrique et le flux de sève avec une résolution temporelle de 30 minutes. Ces connaissances contribuent à la mesure et au suivi de certains critères d’aménagement durable des forêts. Ainsi, il a récemment été suggéré de désigner certaines données environnementales à long terme comme « jeux de données du patrimoine mondial » afin d’assurer leur pérennité et de favoriser leur accessibilité.



 

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