Articles automne 2023

Le mélèze laricin : un potentiel allié pour la productivité des forêts turbeuses

Le mélèze laricin, ou Larix laricina de son nom latin, est le seul représentant indigène de son genre au Canada. Sa capacité à croître dans une large gamme d’environnements fait en sorte qu’on le trouve bien réparti sur le territoire. Espèce pionnière intolérante à l’ombre, elle résiste bien, à contrario, aux inondations. Aujourd’hui, on s’intéresse à sa capacité à modifier son environnement et notamment, à son impact sur les communautés végétales du sous-bois des forêts tourbeuses (Figure 1).

Le mélèze, à l’aise les pieds dans l’eau

Le mélèze est un arbre robuste, produisant un bois dur et résistant relativement bien à la pourriture. Il est notamment connu pour son adaptation aux conditions anoxiques (c’est-à-dire, le manque d’oxygène aux tissus vivants causé par le surplus d’eau) des sols tourbeux. En effet, bien que les jeunes individus soient sensibles à la compétition pour la lumière, les individus matures sont moins sensibles que d’autres essences, dont l’épinette noire, à la compétition pour les éléments nutritifs. Cela fait du mélèze une espèce productive, même lorsque les ressources sont limitantes. L’essence pousse plus rapidement que les autres conifères dans des conditions anoxiques. En plus de représenter une plus-value pour les milieux tourbeux, le mélèze pourrait modifier son environnement et, lorsque mélangé à l’épinette noire, améliorer la qualité du sol. Nous décrivons une étude récente montrant un effet positif de la présence de mélèzes matures sur les conditions de la végétation du sous-bois. 

 

 

Le mélèze augmente la diversité dans les forêts entourbées d’épinette noire

Pour tester l’effet du mélèze sur son milieu, nous avons mesuré diverses variables environnementales dans des sites entourbés du nord de l’Abitibi-Témiscamingue. Les sites ont été sélectionnés afin de représenter un gradient de composition forestière allant d’une dominance de 100 % d’épinette noire à une dominance de 100 % de mélèze. Sur chaque site, nous avons mesuré la végétation de sous-bois et ses caractéristiques, ainsi que le diamètre moyen des arbres et leur densité, l’ouverture de la canopée et les paramètres physico-chimiques du sol. 

Si la composition chimique du sol n’a pas ou peu changé le long du gradient de dominance des épinettes et des mélèzes, l’ouverture de la canopée et le diamètre moyen des arbres ont augmenté avec l’augmentation de la proportion de mélèze. La densité des arbres a, quant à elle, diminué, ce qui représente des forêts moins denses avec l’augmentation de la proportion de mélèze en canopée. L’effet le plus remarquable du changement de la proportion de mélèze fut la transition dans la composition du sous-bois. En effet, l’augmentation du mélèze dans le peuplement est allée de pair avec une augmentation importante du nombre d’espèces de plantes vasculaires et une diminution, plus nuancée, du nombre d’espèces de mousses (les bryophytes, Figure 2). Plus flagrant encore, l’augmentation de la proportion de mélèze a amené une diminution progressive des plantes éricacées et des sphaignes, deux groupes typiques des forêts peu productives. L’augmentation de la proportion de mélèze a finalement été associée à une augmentation de la concentration d’azote dans les feuilles, un marqueur de vigueur chez les végétaux. Tous ces changements dans la strate de sous-bois étaient visibles dès que la proportion de mélèze atteignait 25 %. La cause de ces changements pourrait avoir plusieurs origines.

 

Les aiguilles de mélèze, responsables des changements observés?

Les aiguilles de mélèze, contrairement à celle de l’épinette noire, tombent annuellement. Ceci pourrait expliquer, en partie, les changements observés. Ainsi, nous avons mené une expérience de manipulation de la litière. Nous avons transféré de la litière de mélèze dans des sites dominés exclusivement par l’épinette noire et réalisé des suivis de végétation durant trois années. 

Après trois ans, la composition du sous-bois n’a pas changé. Cependant, nous avons observé d’importants changements dans la vigueur des bryophytes du sous-bois : les sphaignes et les mousses ont noirci sous des amas d’aiguilles de mélèze (Figure 3). Si trois années de présence de litière de mélèze n’ont pas été suffisantes pour imposer un changement des communautés végétales de sous-bois, le traitement semble toutefois avoir eu un fort impact sur les sols. En effet, d’autres études ont documenté une augmentation de la respiration des sols et une diminution de leur humidité avec l’augmentation de la proportion de mélèze, des effets probablement liés, du moins en partie, à un cyclage plus rapide des éléments nutritifs. 

 

 

Le mélèze, le meilleur allié de l’épinette noire sur sols tourbeux?

Ces résultats suggèrent que le mélèze est un atout pour augmenter la diversité des plantes du sous-bois des forêts. Cet effet est visible avec une proportion aussi faible que 25 % de mélèze dans le couvert forestier. Cependant, l’effet observé semble mettre un certain temps à se manifester, trois années de manipulation de la litière n’ont pas été suffisantes pour observer un changement dans la végétation. Quoi qu’il en soit, la présence de mélèze apparaît comme un atout en milieux vulnérables à l’entourbement. Il possède une valeur commerciale non négligeable et améliore globalement les conditions de croissance des autres essences. L’épinette noire et le mélèze, un mariage heureux les pieds dans l’eau.

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