Le 19 septembre dernier, l’AFSQ a organisé, en partenariat avec l’Association forestière de Lanaudière, une visite d’information à la pépinière de Berthierville. Les participants ont eu la chance de voir les lieux et les équipements, ainsi que d’en apprendre plus sur l’histoire de cette pépinière, son mode de fonctionnement et sa production. Voyez dans cet article un résumé de leurs découvertes.
l’Histoire de la pépinière
La pépinière de Berthierville fut fondée par Gustave Clodomir Piché en 1908. Cette personne fut le premier ingénieur forestier canadien-français. À cette époque, il se questionnait sur l’avenir de la forêt et de sa régénération. Il a donc suivi une formation sur ce thème aux États-Unis. Puis, de retour au Québec, il a exposé ses idées et a reçu la mission de créer un programme scientifique sur les forêts. L’implantation de la pépinière fut son point de départ. Le premier objectif de la pépinière était de produire des plants pour reboiser la région de Berthier. Aujourd’hui, elle est la seule pépinière publique productrice de feuillus nobles destinés au reboisement du Québec.
La production de plants
Entre 1908 et 1960, la production a progressé jusqu’à 2 millions de plants par année (plants à racines nues seulement). Entre 1960 et 1970, de nouvelles pépinières gouvernementales se sont ajoutées haussant la production annuelle à près de 50 millions de plants. Dans les années 80, un programme de reboisement intensif a été favorisé pour relancer l’économie. L’objectif était alors de produire entre 250 et 300 millions de plants par année. Pour ce faire, des pépinières privées ont été établies et la production de plants en récipients a commencé. À la fin des années 80, il y avait 8 pépinières gouvernementales et 25 privées. Ensembles, elles ont produit un milliard de plants entre 1988 et 1991, 20 % de ceux-ci étaient des arbres à racines nues et 80 % en récipients.
De nos jours, l’objectif de production a diminué en raison des nouvelles pratiques sylvicoles qui favorisent, en outre, la régénération naturelle. Cet objectif est de 130 millions de plants annuellement. Parmi cette production, 4,5 millions de plants sont issus de la pépinière de Berthierville. Les espèces produites en ce moment sont présentées dans le tableau ci-dessous.
La récolte des fruits
La production de plants commence par la récolte de semences. Pour ce faire, de nombreuses personnes s’affairent en été à la cueillette de fruits dans les arbres. La pépinière de Berthierville a créé 26 hectares de vergers à graines. Il s’agit d’une succession de plantations d’arbres choisis pour leurs qualités (vigueur, qualité de bois, résistance aux maladies, adaptations aux changements climatiques, etc.).
Créer un verger à graines peut s’avérer très long, car les arbres ne produisent pas naturellement de semences en bas âge. L’âge du début de production varie selon l’espèce et cette production s’accroît jusqu’à un âge optimal. Par exemple, l’érable à sucre débute sa production de fruits vers 25 ans et cette dernière devient optimale à plus ou moins 40 ans, puis régresse à partir de 200 ans environ. Pour accélérer la production de fruits des arbres, les pépiniéristes utilisent la greffe. On greffe la tige d’un arbre apte à produire des fruits sur un réseau racinaire de 2 ans de même espèce, ce qui fait gagner un bon nombre d’années. Notez que les fruits produits auront la génétique de la tige greffée.
Ensuite, pour multiplier la production de fruits, les pépiniéristes taillent la tête des arbres afin de stimuler la production de têtes multiples.
Enfin, la récolte des fruits doit se faire avant la chute de ceux-ci. Cela implique que les fruits ne sont pas nécessairement matures à 100 %. Les fruits sont donc entreposés environ deux mois pour compléter leur processus de maturation.
L’extraction des semences des fruits
Une fois les fruits mûrs, il faut, pour plusieurs espèces, en extraire les semences. Par exemple, les conifères produits à la pépinière sont issus de semences contenues dans des cônes. Les cônes sont introduits dans un « tarare » où ils sont chauffés et entraînés dans un mouvement rotatif. Selon l’espèce, les cônes sont chauffés à une température variant entre 50 et 70oC et sont agités dans l’équipement pendant 14 à 22h. À la fin du processus, on récolte deux produits. Le premier contient les semences et quelques débris qui devront être retirés ultérieurement. Puis, le deuxième contient les squelettes de cônes et d’autres débris. Ce dernier est utilisé pour chauffer l’ensemble des installations de la pépinière.
La pépinière de Berthier est la seule installation ayant un système de traitement des semences. Elle traite donc des semences issues de vergers et forêts naturelles des différentes régions du Québec. Chacun des lots est bien identifié de sorte que les semences sont utilisées pour la production d’arbres qui seront plantés sur des sites adaptés au climat d’origine des semences.
Le triage des semences
À cette étape, il faut séparer les semences des débris résiduels. Il faut aussi, pour certaines espèces, retirer l’aile entourant la semence. Puis, il faut séparer les semences viables de celles non viables. Pour ce faire, une succession de manipulations est faite. La première étape est d’utiliser un tamis. La deuxième est d’utiliser un équipement appelé la « désailleuse », soit une machine conçue pour retirer l’aile entourant la semence. L’équipement envoie un jet d’air et d’eau sur les semences pour briser l’aile et la détacher. La troisième est de plonger les semences dans l’eau. Les bonnes semences flottent alors que la résine et les semences fissurées coulent. La quatrième est le séchage des semences dans trois fours successifs pendant quelques heures. Chaque espèce de semence doit atteindre un niveau de déshydration précis, généralement 35 % d’humidité. Notez que les glands de chêne ne tolèrent pas d’être déshydratés. La cinquième étape est réalisée par un nouvel équipement qui trie les semences par couleur. Cela permet un triage très fin des semences et des quelques déchets encore présents. La sixième et dernière étape du triage est une séparation par gravité. Grâce à un souffle d’air, les semences sont séparées en fonction de leur poids, soit un excellent indice de la viabilité des semences.
L’entreposage des semences
La pépinière de Berthier possède deux chambres froides pour l’entreposage des semences. L’une d’elles est ajustée à une température de -3 oC et l’autre à 3 oC. Ces entrepôts contiennent environ cinq milliards de semences afin de soutenir l’ensemble de la production québécoise. Il est important pour Berthier d’entreposer bien plus de semences que les besoins annuels en nouveaux plants. D’abord, le taux de germination n’est jamais de 100 % (généralement 96 % et plus). Ensuite, les pépiniéristes doivent prévoir la perte de plants : des maladies peuvent se développer, des gels tardifs peuvent affecter les plants, etc. Enfin, la production de semences dans les vergers à graines et les forêts naturelles n’est pas constante. Les arbres ont des années de production fruitière abondantes cycliques. C’est-à-dire que la production de fruits peut-être abondante une année, puis réduite, voire nulle, pendant une ou quelques années. Par exemple, le chêne rouge produit des fruits annuellement ou aux deux ans, mais les années de grande production surviennent aux deux à cinq ans.
En résumé, la pépinière de Berthier doit avoir de bonnes réserves de semences pour assurer une production annuelle de plants à la hauteur des besoins, et ce, pour l’ensemble des pépinières gouvernementales. Les entrepôts de semences contiennent aussi des semences destinées à la recherche. C’est pourquoi des lots sont conservés depuis 1979.
La stratification
La stratification est la levée de la dormance des semences. Cette étape est nécessaire pour permettre à plusieurs semences de germer. En nature, la stratification se produit naturellement grâce à l’humidité et à la température qui varient avec les saisons. En milieu contrôlé, comme en pépinière, la stratification est effectuée en plaçant les semences dans un sac contenant du sable humide. Le sac est maintenu à une température définie selon l’espèce et brassé une fois par semaine, et ce, pendant quatre semaines.
La mise en terre des semences
La majorité des plants de la pépinière de Berthier sont produits en récipients, communément appelés caissettes. Seules quelques espèces sont plantées en champs. De façon générale, la proportion d’arbres produits en champs versus ceux produits en récipients est en baisse. Toutefois, certaines espèces, comme le cerisier tardif, possèdent un gros réseau racinaire difficilement compatible avec de petits récipients. C’est pourquoi la plantation en champs demeure nécessaire. Les pépiniéristes utilisent alors des sols relativement sableux afin de faciliter l’extraction des arbres.
La production en récipient
La plantation des semences est réalisée à la main ou avec des équipements automatisés, et ce, en fonction de la taille des semences. Les grosses semences, soit celles des érables et des chênes, sont mises en terre manuellement alors que les petites le sont mécaniquement. Une à trois semences sont déposées par cellule en fonction de l’espèce et de la taille des récipients. Lorsque plus d’un plant émerge d’une même cellule, les plants additionnels viables sont transplantés dans une nouvelle cellule ou éliminés et mis au composte.
Saviez-vous que les glands de chêne doivent être mis en terre selon un angle précis pour en maximiser le taux de germination? Certains spécialistes croient que les écureuils entreposent les glands dans le mauvais sens pour limiter leur germination et maintenir leur réserve.
La mise en terre des semences de conifères se fait dans des récipients aux cellules très petites. Puis, les semis sont transplantés environ un mois plus tard dans des caissettes plus grandes. À l’opposé, les semences de feuillus sont plantées directement dans le format final de récipients, car les jeunes semis de feuillus sont trop fragiles pour la transplantation.
La majorité des semences sont mises en terre en mai. Seuls les chênes et les noyers sont mis en terre à l’automne, après la récolte des fruits vu que ces derniers ne tolèrent pas la déshydration, ni l’entreposage.
La plantation de chênes en champs est un défi. Cela crée un garde-manger intéressant pour les écureuils. Les pépiniéristes ont développé des stratégies pour limiter la prédation. Ils émettent des sons de pygargue à tête blanche et font voler des cerfs-volants pour simuler la présence de ces prédateurs.
La croissance des arbres
Les récipients d’arbres sont disposés à l’extérieur. Puis, certaines conditions de croissance sont contrôlées et adaptées aux besoins de chacune des espèces. Pour ce faire, il y a des systèmes d’arrosage programmables. Des toiles sont utilisées pour moduler la quantité de lumière reçue par les arbres. Par exemple, les semis d’érable à sucre ont une croissance en hauteur maximale sous une intensité lumineuse de 45 à 60 %. L’ensoleillement des semis est donc tamisé selon les besoins jusqu’à ce que les plants atteignent la taille désirée. Ensuite, les toiles sont retirées pour exposer les plants à la pleine lumière. Cela induit un changement de croissance des arbres. Ils cessent de grandir en hauteur pour se concentrer sur le volume de la tige et du réseau racinaire. Notez que cette réaction est comparable à celle des arbres en milieu naturel qui compétitionnent pour atteindre la canopée et une bonne exposition à la lumière.
La durée de croissance en pépinière varie selon les espèces. En moyenne, les feuillus passent une saison de croissance à Berthier. À la fin de celle-ci, les feuillus en récipients sont ensachés et entreposés. Puis, ils sont livrés au printemps suivant. Les feuillus ayant grandi en champs sont idéalement extraits à l’automne. Les pépiniéristes doivent attendre la chute des feuilles, une exigence de l’équipement. Au besoin, ils peuvent accélérer le processus avec des souffleurs. Si le gel du sol survient avant la chute des feuilles, les arbres doivent être extraits au printemps suivant, ce qui cause potentiellement des retards dans la livraison des plants.
Dans le cas des conifères, les arbres ont besoin en moyenne de deux saisons de croissance pour atteindre les tailles désirées. À l’approche du premier hiver, les caissettes de plants, qui sont disposées à une certaine distance du sol en été, sont déposées directement au sol afin que le couvert de neige protège les plants. Au printemps suivant, les plants sont relevés de sorte que les racines de l’arbre ne s’infiltrent pas dans le sol, étant donné que le fond des récipients est perforé pour l’écoulement de l’eau.
La livraison des arbres
Tout ce processus se termine par la distribution et la plantation des arbres. Les arbres sont livrés directement dans leur récipient ou ensachés en paquets de 50 arbres généralement.
La majorité des arbres sont plantés en forêt publique, mais une certaine proportion des 130 millions de plants sont destinés à la forêt privée. Pour avoir accès à une part de ces arbres, il faut en faire la demande auprès de votre conseiller forestier. Les conseillers forestiers offrant ce service pourront vous expliquer les modalités de réservation.